
Fraude aux certificats d'économie d'énergie : un avis du Conseil d’Etat favorable aux obligés de bonne foi
Publié le :
16/03/2021
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Saisi par le Tribunal administratif de DIJON d’une demande d’avis sur les effets de la fraude aux CEE à l’égard de sociétés tierces, le Conseil d’Etat a rendu le 24 février 2021 un avis sur cette question de droit nouvelle se posant dans de nombreux litiges en cours d’instruction devant les juridictions administratives françaises.
Le dispositif des certificats d’économie d’énergie, instrument majeur de maîtrise énergétique mis en place en France depuis 2006, repose sur une obligation de réalisation d’économie d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie.
Chaque fournisseur d’énergie, encore appelé « obligé », se voit ainsi attribuer un quota d’économie d’énergie à réaliser sur une période de trois ans, en fonction de son volume de vente, sous peine d’une pénalité financière.
Les obligés peuvent se libérer de ces obligations soit en réalisant eux-mêmes des économies d’énergie, leur permettant d’obtenir des certificats d’économie d’énergie (ci-après CEE), soit en achetant de tels certificats sur le marché auprès d’entreprises tierces.
Les règles de délivrance des CEE ont été allégées en 2015 avec la mise en place d’un régime quasi déclaratif et de contrôles a posteriori, lesquels ont révélé dans certains cas (exceptionnels selon le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire) des pratiques de nature frauduleuse.
Le dossier soumis pour avis au Conseil d’Etat est une illustration de cette dérive :
La société T, comme vingt-trois autres vendeurs d’énergie, a acquis auprès de sociétés intermédiaires des volumes de CEE, que ces sociétés avaient elles-mêmes acheté auprès du premier détenteur, contre lequel le Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire a prononcé des sanctions administratives pour fraude le 15 juin 2018 en application de l'article L. 222-2 du code de l'énergie.
Parallèlement à ces sanctions, le Ministre a informé les différents obligés détenteurs de ces CEE que les décisions de délivrance de ces derniers avaient été obtenues de manière frauduleuse et qu’il prononçait en conséquence le retrait de ces décisions, conduisant à la suppression sur leur compte des volumes de CEE correspondant.
La société T, à l’instar d’autres obligés de bonne foi, a saisi le Tribunal administratif de DIJON d’une demande d’annulation de cette décision du 28 juin 2018.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat s’est vu soumettre une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, de savoir si :
« Dans l’hypothèse où des certificats ont été obtenus par fraude par leur premier détenteur, l’administration peut se fonder sur cette fraude pour prononcer le retrait du volume correspondant inscrit sur le compte de la société détentrice de ces certificats, alors même qu’aucun élément ne permet de considérer que cette dernière était en mesure d’en connaître le caractère frauduleux lors de leur inscription sur son compte ».
Par une décision n°447326 du 24 février 2021, le Conseil d’Etat a rendu l’avis suivant :
« 4. Il résulte des dispositions du code de l’énergie citées aux points 1 et 2 ci-dessus qu’en définissant, aux articles L. 222-2 et L. 222-8 du code de l’énergie, les sanctions administratives et pénales auxquelles s’expose l’auteur d’un manquement aux dispositions législatives et règlementaires relatives aux certificats d’économies d’énergie, le législateur a déterminé l’ensemble des conséquences légales susceptibles d’être tirées d’un tel manquement.
5. Par suite, lorsque le ministre chargé de l’énergie établit que des certificats d’économies d’énergie ont été obtenus de manière frauduleuse par leur premier détenteur, il peut prononcer à l’encontre de celui-ci, dans les conditions et selon la procédure prévues au code de l’énergie, les sanctions mentionnées à l’article L. 222-2 de ce code et notamment, en application du 3° de cet article, l’annulation des certificats d’économie d’énergie qu’il détient, pour un volume égal à celui concerné par la fraude. Mais ces dispositions particulières font obstacle à ce que le ministre puisse, indépendamment de leur mise en œuvre, prononcer le retrait de la décision d’octroi des certificats sur le fondement des dispositions générales de l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration citées au point 3 et à ce qu’il procède à l’annulation de ces certificats en conséquence de ce retrait.
6. Il s’ensuit qu’en l’absence de toute disposition du code de l’énergie l’y habilitant, le ministre chargé de l’énergie ne peut, dans l’hypothèse où des certificats d’économie d’énergie acquis de manière frauduleuse par leur premier détenteur ont été cédés à un tiers, faire procéder à l’annulation des certificats litigieux dans le compte du nouveau détenteur ».
Par cette décision, le Conseil d’Etat a entendu rappeler que l’existence d’une loi spéciale faisait obstacle à ce que le Ministre puisse se fonder sur un principe général du droit, désormais retranscrit dans le Code des relations entre le public et l’administration, pour retirer des CEE, « biens meubles négociables », acquis par une société qui n’est pas l’auteur de la fraude.
Cette solution est protectrice des tiers de bonne foi, dès lors qu’il paraissait peu légitime de permettre à l’administration de faire peser les conséquences de la fraude sur une entreprise tierce de bonne foi, qui ne disposait d’aucun moyen pour détecter une éventuelle fraude, les lacunes éventuelles du dispositif étant uniquement imputables au Ministre de l’Energie.
Pour éviter que de telles dérives ne se reproduisent, la loi énergie climat de novembre 2019 a d’ailleurs réintroduit une obligation de contrôle a priori (article L221-9 du Code de l’énergie) d’un échantillon d’opérations faisant l’objet de demandes de CEE, ainsi qu’une obligation renforcée de contrôle à la charge des entreprises antérieurement sanctionnées pour un taux de manquement supérieur à 10 % de volume de CEE contrôlé (nouvel article L222-2-1 du Code de l’énergie).
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

DANDON Cécile
Avocate Associée
DU PARC - MONNET - DIJON
DIJON (21)
Historique
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