
Le Conseil d’État valide le décret sur la présomption de démission et encadre son application : éclairages sur la FAQ ( Foire aux questions) ministérielle retirée
Publié le :
29/04/2025
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2025
Par une décision du 18 décembre 2024 (CE, 1re et 4e chambres réunies, n°473640 et autres), le Conseil d’État a rejeté les différentes requêtes introduites notamment par des organisations syndicales contestant la légalité du décret n°2023-275 du 17 avril 2023. Ce décret précise les modalités d’application de la présomption de démission instaurée par l’article 4 de la loi du 21 décembre 2022.En validant le texte réglementaire, le Conseil d’État clarifie également les garanties entourant ce mécanisme et précise la portée juridique d’une communication ministérielle contestée, la FAQ du 18 avril 2023.
Un nouveau régime de rupture du contrat de travail : la présomption de démission
L’article L.1237-1-1 du Code du travail, issu de la loi du 21 décembre 2022, prévoit qu’un salarié ayant volontairement abandonné son poste et ne reprenant pas le travail dans un délai fixé après mise en demeure, est présumé avoir démissionné. Cette procédure vise à limiter le recours à l’abandon de poste comme alternative à la démission pour percevoir l’assurance chômage, la démission ne donnant en principe pas droit à l’indemnisation.Le décret du 17 avril 2023 est venu encadrer ce dispositif : il impose à l’employeur d’adresser une mise en demeure écrite, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, invitant le salarié à justifier son absence ou à reprendre son poste. Ce courrier doit prévoir un délai minimal de quinze jours à compter de la date de présentation de la lettre. À l’issue de ce délai, si le salarié ne reprend pas son poste sans motif légitime, la rupture du contrat est présumée être une démission. Le salarié peut alors saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, qui statue dans un délai d’un mois.
Les griefs invoqués par les syndicats : concertation, droit international et garanties procédurales
Les organisations syndicales requérantes faisaient valoir plusieurs moyens d’annulation.Elles soutenaient notamment que le décret aurait dû faire l’objet d’une concertation préalable au titre de l’article L.1 du Code du travail et du Préambule de la Constitution de 1946.
Le Conseil d’État rejette ce grief, rappelant que le décret n’a fait qu’appliquer la loi sans constituer une réforme nécessitant l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle.
Elles invoquaient également une violation de la convention OIT n°158, qui protège les salariés contre les licenciements injustifiés. Le Conseil d’État écarte cet argument, précisant que ladite convention ne s’applique qu’à la cessation du contrat à l’initiative de l’employeur, or en l’espèce, la rupture est imputable au salarié, en raison de son comportement fautif et persistant.
Enfin, le Conseil d’État rappelle que la présomption ne peut s’appliquer que si le salarié est informé, lors de la mise en demeure, des conséquences d’un défaut de justification ou d’une absence de reprise du travail. Il précise que cette information, bien que non explicitement prévue par le décret, constitue une condition de validité de la procédure.
Par ailleurs, certains motifs légitimes — maladie, grève, droit de retrait, refus d’un ordre illégal ou modification unilatérale du contrat — font obstacle à la qualification d’abandon volontaire de poste.
La FAQ ministérielle du 18 avril 2023 : un outil d’interprétation retiré et partiellement contesté
Dans la foulée de la publication du décret, le ministère du Travail avait diffusé sur son site une foire aux questions (FAQ) intitulée « Questions-réponses – Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié », destinée à accompagner les acteurs de terrain (employeurs, salariés, RH) dans la mise en œuvre de la nouvelle procédure.Cette FAQ, bien que dépourvue de valeur normative, avait soulevé des critiques. Elle répondait à une série de questions pratiques : définition de l’abandon de poste, procédure de mise en demeure, contenu du courrier, délais, articulation avec les procédures disciplinaires ou de licenciement, conséquences en matière d’assurance chômage, etc.
Certains passages contestés ont cristallisé l’attention des requérants. En particulier, la FAQ laissait entendre que l’employeur aurait le choix entre engager une procédure de licenciement pour faute ou recourir à la présomption de démission. Les syndicats y voyaient un contournement des garanties légales liées au licenciement, ainsi qu’une confusion entre les régimes juridiques.
Toutefois, le Conseil d’État constate que cette première version de la FAQ a été retirée du site du ministère en juin 2023, et qu’une nouvelle version, épurée des éléments litigieux, a été mise en ligne. Il en conclut qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes d’annulation ou d’injonction à ce sujet, ces dernières étant devenues sans objet.
Une validation encadrée du dispositif
En définitive, le Conseil d’État valide le décret sur la présomption de démission, tout en affirmant que le salarié doit être informé des effets juridiques de son inaction après mise en demeure.La haute juridiction opère ainsi un équilibre entre l’objectif de lutte contre les abus en matière d’abandon de poste et le respect des droits fondamentaux du salarié.
En revanche, elle ne reconnaît aucune valeur contraignante à la FAQ ministérielle, tout en soulignant qu’une mauvaise communication de l’administration peut, le cas échéant, prêter à confusion si elle s’écarte de la lettre de la loi ou du décret.
Cette décision constitue une clarification jurisprudentielle importante, tant pour les employeurs que pour les salariés et praticiens du droit du travail, dans l’application d’un mécanisme encore récent et potentiellement source de contentieux.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

Christophe Delahousse
Avocat
Cabinet Chuffart Delahousse, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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