
Bail commercial : obligation de délivrance du bailleur et prescription
Publié le :
13/10/2025
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Une SCI (bailleur) a aménagé une partie de la surface louée en construisant un hangar et un parking pour un tiers, réduisant ainsi l’assiette du bail de son locataire. Le locataire soutient que cet empiètement entrave son accès aux bâtiments et porte atteinte à sa jouissance.Il assigne la SCI en résiliation du bail et en indemnisation du préjudice.
En appel, la Cour de COLMAR dans son arrêt du 17 mai 2023 a déclaré l’action en résiliation « prescrite » pour la surface excédentaire au-delà de 30,74 ares, en retenant que le délai de prescription devait courir à compter de la connaissance de la réduction de surface.
La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi sur ce point.
Le locataire prétendait que la prescription ne pouvait courir tant que le manquement (ici la réduction et l’empêchement d’accès) persistait, et ce délai ne pourrait donc avoir débuté tant que la réduction de surface persistait
La Cour de cassation a rappelé que, en vertu de l’article 2224 du Code civil, l’action se prescrivait par cinq ans à compter du jour où le droit est connu ou aurait été connu.
Mais elle rappelle aussi que le bailleur a une obligation continue de délivrance et de jouissance paisible tout au long du bail (article 1719 du Code civil).
En l’espèce, la Cour de cassation a noté que le manquement en cause était persistant et continu la réduction de surface n’était pas temporaire.
Dès lors, elle a jugé que la Cour d’appel a erronément déclenché le délai de prescription à la date de “connaissance” du défaut, alors que le manquement perdurait.
Il y a violation des articles 1709, 1719 et 2224 du Code civil.
La Cour casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel : uniquement pour ce chef relatif à la prescription de l’action en résiliation concernant la surface supplémentaire.
Elle annule également, par dépendance, les dispositions condamnatoires liées à cette portion prescrite.
Les autres moyens du pourvoi ne sont pas examinés (cassation partielle).
L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de NANCY pour qu’elle statue à nouveau sur ce point.
Le raisonnement de la Cour renforce la protection du preneur face à des manquements persistants du bailleur.
Il rappelle que la prescription ne peut être retenue de façon anticipée quand le manquement perdure : c’est la persistance qui permet l’action.
Sur le plan pratique, cela impose aux bailleurs d’être vigilants : une atteinte continue à la jouissance ne se “prescrit” pas dès son début si elle perdure.
Ce positionnement est utile pour la sécurité juridique, mais exige une grande rigueur dans la détermination du point de départ du délai.
Rappelons que l’obligation de délivrance du bailleur est d’ordre public aux termes de l’article 1719 du Code civil.
Tant que le bailleur ne rétablit pas la jouissance paisible ou la surface louée, le délai de prescription de 5 ans (article 2224 du Code civil) ne commence pas à courir.
Cela protège durablement le preneur, qui peut agir à tout moment pendant la persistance du trouble.
Cela clarifie la distinction entre obligation ponctuelle (prescriptible dès le fait générateur) et obligation continue (prescription suspendue tant que le manquement dure).
Enfin, cela sécurise la pratique des baux commerciaux en rappelant que l’obligation de délivrance et de jouissance paisible (article 1719 du Code civil) s’impose pendant toute la durée du bail.
Cet arrêt consacre la non-prescription des manquements continus du bailleur, ce qui renforce la protection du locataire commercial et consacre le caractère d’ordre public de l’obligation de délivrance du bailleur.
Cour de cassation, 3ᵉ civ., 10 juillet 2025, n° 23-20.491
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

MEDINA Jean-Luc
Avocat Associé
CDMF avocats , Membres du conseil d'administration, Arbitres
GRENOBLE (38)
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