Objet de l'obligation in solidum : un rappel utile et nécessaire
Publié le :
26/11/2024
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L’obligation in solidum ne peut avoir pour objet de mettre à la charge d’une partie les conséquences de la faute des autres parties.Le principe posé par un arrêt publié de la 2ème chambre civile en date du 11 avril 2013 (Cass, 2ème civ, 11 avril 2013, n°11-24.428, Publié au bulletin) a encore été rappelé par deux arrêts de la 3ème chambre civile du 3 octobre 2024 :
Il est en effet constant que le prononcé d’une condamnation in solidum implique que les fautes commises respectivement par les constructeurs ont contribué à la réalisation d’un même dommage dans son intégralité (Cass, 3ème civ, 9 juillet 2020, n°19-16.843).
Sur ce, dès lors que chaque débiteur a concouru à la réalisation de l’entier dommage, chacun doit le réparer intégralement.
Dans son arrêt en date du 11 avril 2013, la Haute juridiction avait clairement rappelé qu’en prononçant une condamnation in solidum, le juge ne statue pas sur l’appel en garantie exercé par l’un des codébiteurs condamnés à l’encontre de l’autre, de la même façon qu’il ne préjudicie pas de la manière dont la contribution à la dette entre tous les codébiteurs concernés devra s’effectuer.
1. Dans le premier arrêt rendu le 3 octobre 2024 (pourvoi n°23-15.152), des maîtres de l’ouvrage avaient procédé à l’acquisition d’un terrain constructible auprès d’un vendeur professionnel, assuré auprès de la société ALBINGIA pour son activité de marchand de biens.
Après avoir entrepris la construction d’une maison d’habitation par un constructeur assuré auprès de la société ELITE INSURANCES COMPANY LIMITED, le chantier avait été suspendu en raison de l’apparition de fissurations apparues sur un mur séparatif de la propriété voisine.
Par un arrêt en date du 12 janvier 2023, la Cour d’appel de Montpellier avait condamné in solidum la société ALBINGIA et la société ELITE INSURANCES COMPANY LIMITED à indemniser les maîtres de l’ouvrage de leurs différents préjudices matériel et immatériel.
Le marchand de biens, qui n’avait pas informé les acquéreurs de l’existence d’un rapport d’expertise judiciaire concluant que le mur sinistré ne pouvait être utilisé en fonction de soutènement qu’avec une faible hauteur de remblais, avait alors été condamné sur le fondement de la perte de chance des acquéreurs de ne pas procéder à l’acquisition du terrain, ou à un moindre prix, s’agissant d’une infraction substantielle compte tenu de la configuration du terrain.
La société ALBINGIA, en sa qualité d’assureur du marchand de biens, a alors formé un pourvoi en cassation, au motif que la condamnation in solidum ne pouvait être prononcée qu’à concurrence de la partie du préjudice total de la victime à la réalisation de laquelle les co-responsables ont l’un et l’autre contribué.
Or, en l’espèce, la société ALBINGIA, qui répondait donc de sa garantie sur le fondement d’une perte de chance imputée à son assuré, estimait ne pas devoir supporter avec l’assureur du constructeur l’indemnisation du coût des travaux de reprise, ainsi que les dommages consécutifs au titre des préjudices immatériels.
La Cour de cassation lui donne raison sur le fondement des anciennes dispositions de l’article 1147 du code civil et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit, et sanctionne les juges d’appel en rappelant que, dès lors qu’il a contribué à la réalisation de l’entier dommage subi par les acquéreurs, le vendeur et le constructeur, ainsi que leurs assureurs respectifs, doivent indemniser l’acquéreur maître de l’ouvrage de ses préjudices.
Pour autant, la condamnation du vendeur, qui repose en l’espèce sur le fondement de la perte de chance, ne peut être prononcée in solidum avec le constructeur, de sorte qu’il incombait à la cour d’appel d’évaluer la perte de chance, puis de condamner le vendeur à hauteur de la perte de chance retenue :
« En statuant ainsi, sans limiter la condamnation de l’assureur du vendeur, in solidum avec l’assureur du constructeur, à hauteur de la perte de chance, qu’il lui incombait au préalable d’évaluer, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés »
2. Dans le second arrêt rendu le 3 octobre 2024 (pourvoi n°23-12.535), une entreprise avait confié à un maître d’œuvre, assuré auprès de la société GAN ASSURANCES et depuis lors placé en liquidation judiciaire, la réalisation d’une ligne de production.
Les travaux relatifs au réseau de collecte des produits concassés à recycler de la scierie avaient été confiés à une entreprise également placée en liquidation judiciaire, assurée auprès des sociétés MMA.
Se plaignant d’un dysfonctionnement de la ligne de production, le maître de l’ouvrage avait fait assigner au fond, à l’issue d’une expertise judiciaire, les sociétés MMA, assureur du constructeur de la ligne, ainsi que le liquidateur judiciaire, afin de solliciter l’indemnisation de ses préjudices.
Les sociétés MMA ont alors assigné la société GAN ASSURANCES, afin de solliciter sa garantie en qualité d’assureur du maître d’œuvre.
Par un arrêt en date du 4 octobre 2022, la Cour d’appel de Rennes a retenu la responsabilité de l’entrepreneur et du maître d’œuvre et, dans leurs rapports entre eux, a condamné la société GAN ASSURANCES à garantir les sociétés MMA à hauteur de 33%.
La société GAN ASSURANCES a alors inscrit un pourvoi en cassation, au motif que seul un préjudice en lien de causalité avec la faute peut être indemnisé, alors que les juges d’appel l’avaient condamnée au titre de préjudices consécutifs sans rapport avec le dommage pour lequel la faute de son assuré avait été retenue.
La Cour de cassation lui a également donné raison et a cassé l’arrêt d’appel :
« En se déterminant ainsi, sans caractériser le lien de causalité entre la faute imputée à la société Ciris résultant du seul sous-dimensionnement de l’auge tamisante 204 et les différents chefs de préjudice du maître de l’ouvrage résultant notamment des malfaçons affectant les autres éléments de la chaîne, dont elle avait retenu qu’elles étaient exclusivement imputables à la société Ciris, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Les deux arrêts rendus par la Haute juridiction le 6 octobre 2024 s’inscrivent donc dans le même esprit que l’arrêt du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n°22-18.672), en ce sens que la condamnation in solidum n’a pas lieu d’être prononcée lorsque plusieurs constructeurs sont impliqués dans la réalisation d’un même dommage, dès lors qu’ils n’ont pas contribué de la même façon dans son intégralité.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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