L'indemnisation du préjudice découlant de la rupture unilatérale de marché de travaux implique qu'il soit demandé au juge de constater la résiliation et à défaut de la prononcer préalablement
Publié le :
07/05/2024
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Un particulier a confié à une entreprise la réalisation des travaux de rénovation de sa piscine.
Alors que les travaux avaient été entrepris, mais non réceptionnés, n’étant pas réglée de sa facture, l’entreprise a fait assigner en paiement le maître d’ouvrage qui, à titre reconventionnel, a sollicité l’indemnisation de ses différents chefs de préjudices.
Dans le cadre de la procédure, le maître d’ouvrage n’a pas demandé au tribunal de constater la résiliation du marché de l’entreprise à ses torts exclusifs, ni même n’a sollicité le prononcé d’une résiliation judiciaire à défaut.
Par un arrêt en date du 20 septembre 2022, la Cour d’appel de Pau a condamné l’entreprise à payer des dommages intérêts au maître d’ouvrage en réparation de ses préjudices et a prononcé une compensation judiciaire avec le solde du marché restant dû.
Pour condamner l’entreprise au paiement de dommages intérêts en réparation du préjudice matériel du maître d’ouvrage, les juges d’appel ont considéré que le marché de travaux avait été résilié sans que les désordres apparents aient été constatés, « de sorte que l’entrepreneur ne pouvait pas contester la mauvaise exécution des travaux, ni le droit du maître d’ouvrage à obtenir réparation. »
Et pour condamner l’entreprise au paiement de dommages intérêts en réparation du préjudice immatériel, les juges d’appel ont considéré que le marché de travaux avait été rompu de façon unilatérale et injustifiée à son initiative, ce dont il résultait un préjudice indemnisable.
Un pourvoi a été inscrit au visa des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
L’article 4 du code de procédure civile dispose que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
Quant à l’article 5 du code de procédure civile, il dispose que le juge doit se prononcer sur tout ce qui lui est demandé et seulement sur ce qui lui est demandé.
La cassation est prononcée par l’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-23.045), au motif que :
« En statuant ainsi, alors que, dans leurs conclusions, ni M.D, ni la société ADOUR PISCINES ne demandait de constater la résiliation du contrat par l’une des parties ni de prononcer la résolution judiciaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Cette décision est l’occasion de rappeler qu’en l’absence de prononcé de la réception des travaux, les parties restent contractuellement liées l’une à l’égard de l’autre.
Sur ce, si le maître d’ouvrage entend se prévaloir d’un préjudice qui découlerait d’une rupture du marché, en cours de chantier, à l’initiative de l’entreprise, il lui incombe alors d’associer à sa demande de dommages intérêts une demande de constatation préalable de la résiliation du marché et à défaut une demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’entrepreneur.
A défaut, le tribunal ne saurait statuer sur les conséquences préjudiciables d’une rupture des relations contractuelles à l’initiative d’une des parties, qu’il ne lui a pas été demandé de constater ou de prononcer.
A cet égard, il sera précisé qu’étant saisi d’une demande de prononcé de la résiliation du marché de travaux aux torts exclusifs d’une partie, le juge peut parfaitement, et sans méconnaître l’objet du litige cette fois-ci, rechercher de sa propre initiative si l’autre partie n’a pas elle-même commis un manquement à ses obligations contractuelles pour en définitive prononcer une résiliation aux torts partagés (Cass, com, 27 octobre 2009, n°08-17.305).
Par ailleurs, il ne sera jamais suffisamment rappelé qu’en cas de résiliation du marché de l’entrepreneur avant le prononcé de la réception des travaux, il est absolument indispensable de faire constater, si possible contradictoirement, l’état d’avancement du chantier et les éventuelles malfaçons constatées.
Si la matérialité des malfaçons peut être rapportée par tous moyens, il n’en reste pas moins que la jurisprudence la plus récente sur la recevabilité des rapports d’expertise amiable, qui plus est non-contradictoirement établis, doit inciter à la plus grande prudence (Cass, 3ème civ, 23 septembre 2020, n°19-10.529).
En dernier lieu, l’arrêt du 21 mars 2024 apporte un rappel fort précieux sur les modalités d’application des intérêts sur le solde du marché, lorsque le maître d’ouvrage prétend pouvoir échapper à leur paiement dans le cadre d’un processus de compensation judiciaire en invoquant le principe d’exception d’inexécution, qui légitimerait à postériori son défaut de paiement.
Un tel raisonnement constitue ni plus ni moins qu’une violation des dispositions de l’article 1153 alinéa 3 du code civil, dès lors que les intérêts afférents à une dette déjà déterminée, que le juge constate, sont dus de plein droit dès la sommation de payer, sauf au débiteur à établir une faute du créancier l’ayant empêché de s’acquitter du montant de sa dette.
L’attitude du créancier, ayant empêché fautivement le débiteur de s’acquitter du solde du marché de travaux, constitue donc le seul et unique critère d’appréciation pour refuser une condamnation au paiement des intérêts de retard (Cass, com, 19 octobre 1993, n°91-17.703).
En l’espèce, l’arrêt déféré est donc cassé, dès lors qu’en refusant d’appliquer les intérêts de retard sur le solde du marché, la Cour d’appel ne s’est pas attachée à contrôler l’attitude du créancier, mais s’est uniquement fondée sur l’importance des fautes qui lui étaient reprochées dans l’exécution des travaux qui lui avaient été confiés.
A bon entendeur donc …
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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