Prise en charge des préjudices immatériels par l'assureur RC décennale, oui ... mais
Publié le :
04/03/2024
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Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.179
Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 21-22.457
Il est constant que les dommages immatériels qui sont consécutifs à un désordre matériel de nature décennale ont vocation à être pris en charge par l’assureur RC décennale au titre de ses garanties facultatives (Cass, 3ème civ, 13 juillet 2022, n° 21-13.567 ; Cass, 3ème civ, 7 décembre 2023, n° 22-20.699).
Dans son arrêt en date du 13 juillet 2022, la Haute juridiction a très clairement indiqué, au visa des dispositions de l’article 1792 du code civil que :
« 9. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
10. Il s'ensuit que tous dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l'ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie en application de ce texte.
11. Pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme [B] en réparation de son préjudice économique de jouissance au titre de la garantie décennale, l'arrêt énonce que, en application de l'article 1792 du code civil, celle-ci ne peut prétendre, au titre des désordres, à l'indemnisation des préjudices économiques qu'elle invoque, dès lors que ceux-ci, générés par le non-achèvement de l'ouvrage, relèvent de la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les désordres affectant l'ouvrage non achevé rendaient celui-ci impropre à sa destination, de sorte que le préjudice économique de jouissance était consécutif à ces désordres, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Bien entendu, la mise en œuvre effective du principe de prise en charge implique que la garantie au titre des dommages immatériels consécutifs a bien été souscrite, puisqu’étant facultative dans les contrats d’assurance RC décennale (Cass, 3ème civ, 5 décembre 2019, n° 18-20.181).
Ainsi donc, au nom du principe de réparation intégrale, tous les dommages du maître de l’ouvrage, matériels et immatériels consécutifs aux désordres de nature décennale, doivent être pris en charge par l’assureur RC décennale, mobilisé en base fait générateur, sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Et c’est également le même principe de réparation intégrale qui implique que le maître de l’ouvrage doit être indemnisé de tous ses préjudices, y compris de jouissance, dès lors qu’il est constaté que l’importance des désordres a emporté l’impossibilité d’habiter ou de louer l’ouvrage, ce qui est encore rappelé dans le premier arrêt de la Cour de cassation en date du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.179) :
« 9 … l’arrêt retient que seuls deux désordres font l’objet d’une indemnisation, que la SCI ne rapporte pas la preuve d’un trouble de jouissance, ni a fortiori d’une privation, fût-elle partielle, de l’appartement et qu’en tout état de cause, et en raison du caractère mineur des désordres, aucun trouble de jouissance ne peut en résulter.
« 10. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que deux désordres rendaient l’ouvrage impropre à sa destination, dont un en raison d’un risque pour la sécurité des personnes, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »
Sur ce, il convient donc de ne jamais perdre à l’esprit que :
- La prise en charge par l’assureur RC décennale des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel de nature décennale ne peut pas intervenir au titre de la garantie obligatoire (Cass, 3ème civ, 5 mars 2020, n° 18-15.164), mais uniquement au titre des garanties facultatives du contrat d’assurance RC décennale,
- L’affectation du dommage immatériel à l’assureur RC décennale n’implique pas qu’il soit contraint de prendre en charge les conséquences dommageables de désordres qui ne seraient pas de nature décennale.
C’est tout précisément l’intérêt du deuxième arrêt rendu par la Cour de cassation du même jour (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-23.179), qui a cassé l’arrêt d’appel ayant condamné l’assureur RC décennale à prendre en charge l’intégralité des dommages immatériels subis par le maître de l’ouvrage, du fait de l’impossibilité durant plusieurs années de bénéficier de chemins d’accès piétonniers accessibles à tous, d’utiliser une piscine dans des conditions normales et de profiter des espaces verts, tout autant que du retard pris dans l’exécution du chantier, alors que deux désordres seulement étaient de nature décennale, à l’exclusion des autres désordres objectivés qui étaient susceptibles pour leur part de relever du régime de la responsabilité contractuelle après réception (dommages intermédiaires) :
« 20. En statuant ainsi, sans préciser le fondement juridique des responsabilités encourues au titre des préjudices immatériels, après avoir retenu qu’une partie de ceux-ci étaient consécutifs à des désordres de nature décennale tandis que d’autres relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun des intervenants, la cour d’appel, qui n’a pas mis en mesure la Cour de cassation d’exercer son contrôle, a violé le texte susvisé. »
A toute fin, il sera rappelé qu’en cas de résiliation de la police d’assurance, l’assureur RC décennale ne se trouve pas pour autant nécessairement désengagé au titre de la prise en charge des préjudices immatériels.
En effet, par un arrêt en date du 19 janvier 2023 (Cass., 2ème civ., 19 janvier 2023, n° 21-17.221), la Cour de cassation a très clairement indiqué que : « dès lors que le fait générateur de responsabilités est connu de l’assuré au jour de la souscription du (nouveau) contrat, ce fait doit être considéré comme du passé connu. Peu importe que la réclamation de la victime demeure incertaine au moment de la souscription. »
Cette analyse apparait conforme à l’esprit de l’article L 124-5 alinéa 4 du code des assurances, dont il résulte que l’assureur RC ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que celui-ci avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.
Le précédent assureur restera donc tenu au titre de la garantie facultative au titre des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel garanti sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Quoi qu’il en soit, pour en revenir à l’arrêt du 15 février 2024, il n’est pas bien sûr qu’il soit systématiquement procédé, avec autant de rigueur, à une décomposition des préjudices immatériels en considération de la nature des dommages matériels dont ils sont la conséquence …
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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