Acceptation du risque par le maitre de l'ouvrage et exonération de responsabilité du constructeur
Publié le :
27/11/2024
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Si le constructeur d’un ouvrage est présumé responsable, sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination, il peut toujours s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.Il reste que les décisions consacrant la mise hors de cause du constructeur, du fait de l’acceptation délibérée des risques par le maître de l’ouvrage, sont extrêmement rares compte tenu des conditions qui sont imposées par la jurisprudence.
Pour l’essentiel, il incombe au constructeur, qui entend s’exonérer de sa responsabilité, de rapporter la preuve d’une parfaite connaissance du risque par le maître de l’ouvrage, découlant des informations qui lui auront été données à ce sujet avant la réalisation des travaux, mais également de son acceptation expresse.
Qui plus est, l’acceptation délibérée du risque par la maîtrise d’ouvrage doit être en lien direct avec le dommage dont elle entend poursuivre l’indemnisation (Cass, 3ème civ, 23 septembre 2020, n°19-13.890).
S’agissant de l’acceptation délibérée du risque par le maître de l’ouvrage, la Haute juridiction a pu indiquer, dans un arrêt en date du 11 décembre 2007 (Cass, 3ème civ, 11 décembre 2007, n°06-21.908), qu’il incombe au constructeur, qui entend s’exonérer de sa responsabilité, de rapporter la preuve non pas seulement de la connaissance du risque par le maître de l’ouvrage, soit en l’espèce l’absence de réalisation d’une étude géologique eu égard au caractère alluvionnaire du sol, mais également de ses conséquences.
Dans le même esprit, par un arrêt en date du 21 novembre 2012 (Cass, 3ème civ, 21 novembre 2012, n°11-25.200), la Cour de cassation a pu considérer que la preuve de l’acceptation délibérée par le maître de l’ouvrage du risque de troubles anormaux de voisinage n’était pas suffisamment caractérisée, dans une espèce où il avait pourtant été informé par le bureau de contrôle de la nécessité de réaliser un constat préventif des existants et que des risques de désordres avaient été signalés par le constructeur, la maîtrise d’ouvrage ayant alors été invitée à « apprécier si son projet mérite la prise de risque inhérente à l’ouvrage envisagé dès lors qu’il en est informé, de prendre les dispositions qui lui sont recommandées, notamment par le contrôleur technique, et s’il y a lieu de prendre en considération les coûts liés aux risques propres à son projet. »
Plus récemment, par un arrêt en date du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n°22-23.682), la Haute juridiction a cassé un arrêt qui avait exonéré l’architecte de sa responsabilité du fait de désordres de fissurations en façades, tenant à l’absence de prise en compte des contraintes du sol, au motif que le maître de l’ouvrage s’était vu conseiller de faire réaliser une étude de sol qui était au-demeurant expressément mentionnée dans les documents contractuels établis par la maîtrise d’œuvre.
Dans ces circonstances, les deux arrêts qui ont été rendus le 7 novembre 2024 (pourvois n°22-22.793 et 22-22.794) n’ont que plus d’intérêt :
« Pour condamner les sociétés AXA et ALPHA INSURANCE à indemniser les acquéreurs sur le fondement de la responsabilité décennale, l’arrêt retient que les intervenants à la construction de la villa et du mur de soutènement ne démontrent pas que les désordres avérés, de nature décennale, ont été provoqués par une cause étrangère. »
« En statuant ainsi, après avoir retenu que le maître de l’ouvrage avait pris le risque délibéré de ne pas réaliser d’étude de sol avant la réalisation des travaux malgré l’avis défavorable du contrôleur technique et que sa faute justifiait que son assureur, la société LLOYD’S INSURANCE COMPANY, ne soit garantie par les sociétés AXA et ALPHA INSURANCE qu’à hauteur de la moitié des dommages, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texté susvisé. »
En l’espèce, les juges d’appel avaient considéré que le maître de l’ouvrage, constructeur vendeur en VEFA, avait pris le risque délibéré de ne pas faire réaliser d’étude de sol avant d’entreprendre les travaux malgré l’avis défavorable du contrôleur technique.
Si les juges d’appel sont sanctionnés pour ne pas avoir alors tiré les conséquences d’une exonération de responsabilité des constructeurs qui ne peut être que totale, le principe de l’acceptation délibérée du risque par la maîtrise d’ouvrage n’est pas remis en cause.
Le fait est que la qualité de professionnel du maître de l’ouvrage tend à faire présumer une connaissance acquise des conséquences du risque dont il aura été tenu informé par les constructeurs avant la réalisation des travaux, laissant ainsi entrevoir des hypothèses d’exonération de responsabilité qu’il restera sans doute beaucoup difficile à établir en présence de maîtres de l’ouvrage particuliers.
A cet égard, les décisions rendues le 7 novembre 2024, qui vont très clairement dans le sens d’une responsabilisation souhaitable de la maîtrise de l’ouvrage professionnelle, peuvent-être utilement rapprochées de trois arrêts rendus le 15 décembre 2004 (Cass, 3ème civ, 15 décembre 2004, n°02-16.581 ; 02-16.910 ; 02-17.893, Publié au bulletin) et d’un arrêt rendu le 20 juin 2007 (Cass, 3ème civ, 20 juin 2007, n°06-13.565).
Dans ses arrêts du 15 décembre 2004, la Haute juridiction avait retenu la responsabilité du maître de l’ouvrage, sur le fondement de l’acceptation délibérée des risques de survenance de désordres d’infiltrations par le radier, d’une part du fait de la volonté établie du maître de l’ouvrage professionnel de réaliser une économie substantielle, et d’autre part pour avoir été averti par l’architecte d’un immeuble voisin, déjà affecté des mêmes désordres, de la nécessité de prévoir une protection renforcée des sous-sols.
Dans son arrêt du 20 juin 2007, la Haute juridiction avait validé l’analyse des juges d’appel ayant exonéré les constructeurs du fait des défauts d’étanchéité de la dalle du rez-de-chaussée des garages, dès lors que le maître de l’ouvrage professionnel avait été informé par une étude de sol de la présence d’une nappe à faible profondeur par rapport au terrain naturel et qu’il avait été décidé de fonder le garage à quelques centimètres du niveau le plus élevé de la nappe, sans prestation particulière de cuvelage, après avoir été informé des risques d’infiltrations par le maître d’œuvre.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
Historique
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