L’agent commercial et son pouvoir de négocier
Publié le :
09/09/2020
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Pour la Cour de Justice de l’Union Européenne, il n’est pas nécessaire d’avoir le pouvoir de modifier les prix des produits vendus pour le compte du commettant pour se prévaloir de l’application du statut d’agent commercial.
Par une décision du 4 juin 2020, la Cour de Justice a eu l’occasion de préciser le sens du terme « négocier » de l’article 1er paragraphe 2 de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative aux agents commerciaux, suite à une question préjudicielle du Tribunal de commerce de Paris.
C-828/18 - Demande de décision préjudicielle présentée par le tribunal de commerce de Paris (France) le 24 décembre 2018 — Trendsetteuse SARL / DCA SARL
Les faits étaient les suivants :
En 2003, la société DCA, fabricante et vendeuse de prêt-à-porter et de bijoux, s’est liée à la société Trendsetteuse par une convention non écrite. Cette dernière était chargée de diffuser les produits de la société DCA dans sa salle d’exposition, moyennant une commission sur le prix de vente des produits.Au regard de la convention, la société Trendsetteuse avait le pouvoir de conclure, au nom et pour le compte de la société DCA, des contrats de vente de ses produits sur le territoire de la France métropolitaine, exceptée la Corse, divisé en deux secteurs : le secteur « Grand Nord » et le secteur « Grand Sud ».
Le 29 mars 2016, la société DCA a décidé de mettre fin à la relation contractuelle avec la société Trendsetteuse concernant le secteur « Grand Sud », estimant que la vente de ses produits y était insuffisante.
Le 12 avril 2016, la société Trendsetteuse a contesté cette décision, en vain puisque la société DCA a attribué le secteur « Grand Sud » à une nouvelle société.
La société Trendsetteuse a alors mis en demeure la société DCA de payer les indemnités qu’elle devait au titre de la rupture du contrat d’agence commerciale.
La société DCA a rejeté cette demande, estimant que la société Trendsetteuse ne pouvait se prévaloir de la qualité d’agent commercial, régime prévu aux articles L.134-1 et suivants du Code de commerce et suivants.
La société Trendsetteuse a par conséquent saisi le Tribunal de commerce de Paris afin qu’il statue sur sa qualité d’agent commercial et prononce le versement d’indemnités.
La société DCA s’est une nouvelle fois opposée à l’application du statut d’agent commercial. Selon DCA, la Société Trendsetteuse n’était pas un agent commercial car en vertu de la convention liant les deux sociétés, la société Trendsetteuse ne disposait pas du pouvoir de modifier les conditions de vente des articles, et notamment leur prix, qu’elle vendait pour le compte de la société DCA.
La question centrale était donc de qualifier la relation entre les parties et déterminer si cette relation pouvait être qualifiée de contrat d’agent commercial.
Le Tribunal de commerce s’est alors interrogé sur l’interprétation du terme « négocier » au sens de l’article 1er paragraphe 2 de la directive 86/653 énonçant :« Aux fins de la présente directive, l'agent commercial est celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant. »
Le Tribunal a ainsi demandé à la CJUE si le pouvoir de négocier d’un agent commercial incluait nécessairement la faculté de modifier les prix de marchandises vendues pour le compte du commettant.
En premier lieu, la Cour rappelle que la notion de « négocier » employée dans la directive 86/653 est une notion autonome du droit de l’Union européenne.
En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, une notion qui n’opère aucun renvoi aux droits nationaux concernant sa signification doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union européenne.
A ce titre, elle doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de l’Union. (C-523/18 Engie Cartagena 19 décembre 2019 point 34 ; C‑426/05 Tele2 Telecommunication 21 février 2008, point 26)
La Cour poursuit en expliquant la manière d’interpréter une notion autonome, rappelant une nouvelle fois la jurisprudence antérieure : « la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie. ». (C-516/17 Spiegel Online 29 juillet 2019 point 77 ; C-201/13 Deckmyn et Vrijheidsfonds 3 septembre 2014 point 19)
Premièrement, pour ce qui est du sens de la notion de « négocier » dans le langage courant, au regard des traductions de ce terme dans les différentes langues de l’Union, notamment les traductions allemandes et polonaises, la Cour déduit que les termes utilisés n’impliquent pas obligatoirement que l’agent puisse fixer lui-même le prix des marchandises dont il assure la vente pour le compte du commettant.
Deuxièmement, en ce qui concerne cette fois le contexte dans lequel la notion « négocier » est utilisée, la Cour rappelle que l’objet de l’activité de l’agent commercial dépend des termes du contrat qui le lie au commettant, en particulier de l’accord des parties quant aux marchandises que le commettant entend vendre ou acheter par l’intermédiaire de cet agent. Or, un tel contrat peut prévoir une fixation contractuelle des prix, ne laissant pas à l’agent la possibilité de les modifier.
Mais le fait pour un agent de ne pas pouvoir modifier les prix des produits vendus au nom et pour le compte du commettant ne l’empêche pas d’accomplir ses tâches principales : développer la clientèle du commettant ainsi que les liens commerciaux préexistants.
Troisièmement, le dernier argument de la Cour se rattache à l’une des volontés premières de la directive : assurer la protection des agents commerciaux dans leurs relations avec leur commettant, en particulier lors de la rupture de leur contrat.
Ainsi, une interprétation restrictive de l’article 1er paragraphe 2 de la directive 86/653 viendrait exclure de l’application du statut toute personne n’ayant pas la faculté de modifier les prix lors de la négociation.
Deux ans après avoir admis qu’un agent commercial a le droit à ses indemnités de fin de contrat, y compris lorsque la rupture intervient lors de la période d’essai (C-645/16 Conseils et mise en relations (CMR) SARL contre Demeures terre et tradition SARL 19 avr. 2018), la CJUE adopte une solution protectrice pour les agents commerciaux dans ce nouvel arrêt.
Par ailleurs, la Cour solutionne sans doute une divergence d’interprétation récurrente entre les juridictions des pays européens et les juridictions françaises.
La Cour de cassation considère que le pouvoir de négocier inclue nécessairement pour une personne la faculté de modifier les prix des produits vendus pour le compte du commettant afin de se prévaloir de l’application du statut d’agent commercial. (Cass. com., 3 octobre 2000, n° 97-19.999 ; CA Paris, 20 mars 2014, no 12/05796, AJCA 2014, p. 246, obs. J.-M. Leloup ; Cass. com., 9 décembre 2014, n° 13-22.476).
Bien que la Haute juridiction française impose cette vision restrictive du pouvoir de négocier de l’agent commercial, certaines juridictions d’appel ont rendu des arrêts contradictoires. Il a notamment été jugé que la faculté de modification des prix des produits n’était pas nécessaire pour caractériser le pouvoir de négocier et ainsi appliquer le statut d’agent commercial. (CA Paris, 5è ch. pôle 5, 30 mai 2013, n° 10/23673 ; CA Lyon, 08 mars 2018, n°16/04620)
Les juridictions des autres pays européens ont parfois une conception plus large de la mission de l’agent commercial. La loi en Italie, en Espagne et en Allemagne indique que l’agent commercial est chargé de « promouvoir » la conclusion de contrats, ce dernier pouvant également les conclure au nom et pour le compte du commettant. L’Autriche et les Pays-Bas qualifient l’agent commercial « d’intermédiaire » dans la conclusion des contrats, ayant également le pouvoir de les conclure au nom et pour le compte du commettant.
L’arrêt de la CJUE pourrait donc conduire à l’évolution de la jurisprudence française sur l’interprétation du pouvoir de négocier des agents commerciaux. Reste à savoir si la Cour de cassation se pliera à cette interprétation.
Article coécrit par Maître Olivier VIBERT et Madame Morgane BONNARDOT.
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteur
VIBERT Olivier
Avocat Associé
KBESTAN - PARIS
PARIS (75)
Historique
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