Charge de la preuve et inversion, façon droit de la consommation
Publié le :
08/03/2023
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La décision rendue par la première chambre civile ce 1er février 2023 (n° 20-22.176) constitue un rappel essentiel dans le droit de la consommation, et plus précisément, dans le droit de la preuve au sein de ses contentieux.Rappelons-le, le principe tel qu’établi par le Code civil, à son article 1353 :
« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »
Ce principe est celui du dispositif : le procès est l’objet des parties, à elles et à elles seules de le mener.
Évidemment, ce droit, tel qu’il a été établi, partait du postulat qu’elles étaient égales entre elles, ce que le Code de la consommation est venu proprement sabrer.
Depuis lors, consommateurs et professionnels de toutes sortes ne sont plus traités de la même manière.
Ce qu’a d’ailleurs acté la réforme du droit des obligations de 2016, reprenant un certain nombre de dispositions du droit de la consommation dans le droit commun.
Sauf qu’ici, on passe un cran au-dessus :
« Vu l'article L. 121-17, III, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
7. Il résulte de ces textes que la charge de la preuve de l'accomplissement par le professionnel des obligations légales d'information mises à sa charge à l'occasion de la conclusion d'un contrat hors établissement pèse sur celui-ci.
8. Il lui incombe dès lors de rapporter la preuve de la régularité d'un tel contrat au regard des mentions légales devant y figurer à peine de nullité.
9. Pour rejeter la demande d'annulation des contrats de vente et de crédit affecté, l'arrêt retient que les acquéreurs ne produisent qu'une copie incomplète du contrat de vente et qu'ainsi la cour n'est pas en mesure de vérifier si le contrat est conforme au code de la consommation.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés. »
On a donc ici des consommateurs qui ont attaqué un professionnel au motif d’un contrat de vente ne respectant pas les dispositions du Code de la consommation en matière de vente hors établissement – autrement dit du démarchage – et ce alors qu’ils ne disposaient pas dudit contrat.
Plus largement, le conflit les opposait sur les performances énergétiques d’une pompe à chaleur et d’un chauffe-eau tous deux financés à crédit.
D’emblée, on peut se poser la question de comment on peut intenter une telle action en s’exposant de la sorte ?
Parce que si les consommateurs en question disposaient de ce contrat, on ne voit pas bien pourquoi ils ne l’auraient pas produit : ce défaut les a tout de même conduit, certes avec succès, jusqu’en cassation.
Surtout que le professionnel, lui, aurait pu présenter copie de ce contrat, et peut-être mettre à mal leur argumentation pour le moins prospective.
Car ce dernier est sanctionné pour ne pas avoir rapporter lui-même la preuve de la régularité.
La sanction n’est cependant pas nouvelle, la même chambre civile avait ainsi décidé dans un arrêt du 21 octobre 2020 (n°19-18.971) que :
« Il s'ensuit qu'il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu'a précédemment jugé la Cour de cassation (1re Civ., 16 janvier 2013, pourvoi n° 12-14.122, Bull. 2013, I, n° 7), la signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires. »
L’article L. 121-18 du Code de la consommation, aujourd’hui abrogé, repris désormais à l’article L. 221-7, exposait en effet :
« Dans le cas d'un contrat conclu hors établissement, le professionnel fournit au consommateur, sur papier ou, sous réserve de l'accord du consommateur, sur un autre support durable, les informations prévues au I de l'article L. 121-17. Ces informations sont rédigées de manière lisible et compréhensible. »
La difficulté une nouvelle fois dans ce dossier, c’était que les clients n’avaient qu’une partie incomplète de ce contrat.
C’est là pourtant qu’aurait pu jouer l’article 11 du Code de procédure civile :
« Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime. »
Après injonction infructueuse, là, le juge aurait pu en tirer toutes les conséquences. Mais ce n’est pas une précaution qu’il a choisi de prendre, probablement étant trop favorable au professionnel.
La solution sert une certaine logique, et après tout, l’intimé n’avait qu’à produire spontanément cette pièce au litige. C’est qu’il devait cacher quelque chose.
Attention toutefois aux limites de cette décision : le professionnel peut produire des contrats panachés, si le consommateur n’a pas eu la prudence de parapher chacune des pages.
Reste que le droit de la preuve constitue une nouvelle fois le salut d’un argumentaire qui, sur le fond, aurait pu être plus délicat à démontrer. Quand on commence à parler de « performances attendues », la subjectivité est de mise, et les solutions plus nuancées.
Pari risqué, mais pari remporté.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Etienne MOUNIELOU
Avocat Collaborateur
MOUNIELOU
SAINT GAUDENS (31)
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