
Quelles sont les conditions de l’adoption plénière d’un enfant né d’une PMA en cas de refus de reconnaissance conjointe ?
Publié le :
20/08/2025
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Dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions transitoires issues de la loi n°2022-219 du 21 février 2022, la Cour de cassation a clarifié les critères de l’adoption d’un enfant par les couples de femmes ayant eu recours à une procréation médicalement assistée à l’étranger.
Cass. 1re civ., 12 juin 2025, n° 24-10.743
Postérieurement à la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le législateur français s’est progressivement saisi de la question de la procréation médicalement assistée (PMA) au sein des couples de femmes, et de ses conséquences sur l’établissement de la filiation. Jusqu’alors les femmes seules ou les couples de même sexe ne pouvaient accéder à la PMA[1].
Deux lois se sont succédé.
- La loi n°2021-1017 du 02 août 2021 relative à la bioéthique a étendu la possibilité d’avoir recours à la PMA en France aux couples de femmes et a permis d’établir un second lien de filiation maternelle, en offrant aux couples de femmes la possibilité d’opter pour une reconnaissance conjointe anticipée devant notaire. Ce dispositif a ainsi permis d’étendre, la filiation maternelle – qui jusqu’alors n’était établi qu’à l’égard de la femme qui avait accouché de l’enfant et était désignée dans l’acte de naissance [2] – à sa conjointe.
- La loi n°2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption a anticipé les difficultés de la mise en œuvre de la reconnaissance conjointe en prévoyant des dispositions transitoires, ciblant les couples de femmes ayant eu recours à des PMA à l’étranger, et qui n’avaient pas eu recours à la reconnaissance conjointe.
En effet, les aléas de la vie étant ce qu’ils sont, il arrivait qu’un couple de femmes se sépare pendant ou après avoir mené à son terme un projet de procréation médicalement assisté à l’étranger, sans qu’il n’y ait eu de reconnaissance conjointe, soit parce que la loi n’était pas encore entrée en vigueur, soit parce que la femme ayant accouché refusait à sa conjointe le bénéfice de la reconnaissance anticipée.
A cet égard, l’article 9 de la loi n°2022-219 du 21 février 2022 prévoyait des dispositions transitoires, ainsi libellées :
« A titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l’article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n’a pas accouché peut demander à adopter l’enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée l’absence de lien conjugal ni la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil. Le tribunal prononce l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L’adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire d’un pacte civil de solidarité ou du concubin. »
Jusqu’au 04 août 2024, ces dispositions permettaient d’établir une filiation, a posteriori, à l’égard de la femme qui n’avait pas accouché de l’enfant, malgré l’opposition de la mère « légale » de l’enfant. Pour avoir recours à ce dispositif, assez semblable à une « adoption forcée », il suffisait de rapporter la preuve du projet parental commun et de la PMA à l’étranger. Aux termes de ce texte, aucune autre condition n’était exigée[3].
Dans un arrêt du 12 juin 2025 (n° 24-10.743), la première chambre civile de la Cour de cassation a donné un éclairage quant à l’interprétation des dispositions contenues à l’article 6 de la loi 21 février 2022.
En l’espèce, un couple de femmes avait engagé un parcours de procréation médicalement assisté à l’étranger. L’une d’entre elles avait donné naissance à un enfant. Or, le couple s’était séparé avant la naissance de l’enfant. L’épouse de la mère « légale » avait néanmoins déposé une requête en adoption plénière de l’enfant, afin de pouvoir bénéficier des dispositions transitoires précitées.
Postérieurement à cette requête, la mère « légale » de l’enfant avait déposé une demande en divorce. Par un Jugement du 30 novembre 2022, le tribunal judiciaire d’Annecy avait alors déclaré la demande d’adoption irrecevable. En appel, la cour d’appel de Chambéry avait infirmé le Jugement et déclaré l’adoption recevable (arrêt du 28 novembre 2023). La mère « légale » de l’enfant avait introduit un pourvoi en cassation.
Au soutien de son pourvoi, la demanderesse développait un premier moyen aux termes duquel la femme sollicitant l’adoption devait apporter la preuve du refus de la mère « légale » de recourir à une tentative préalable de reconnaissance conjointe par-devant Notaire, sous peine d’irrecevabilité de la demande d’adoption.
Selon la Cour de cassation, les dispositions de l’article 9 de la loi du 21 février 2022 ne prévoient « aucune exigence formelle relative à la mise en œuvre d’une tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire. La preuve du refus de la mère inscrite dans l’acte de naissance de procéder à cette reconnaissance peut être rapportée par tout moyen. »
En l’absence de formalisme particulier, les tribunaux et cours d’appel se prononcent à la lueur des circonstances de l’espèce et au regard des éléments versés aux débats pour caractériser le refus de la mère « légale » de procéder à une reconnaissance conjointe.
En l’espèce, il était établi que la candidate à l’adoption, « mère d’intention » de l’enfant, se voyait refuser tacitement le bénéfice de la reconnaissance conjointe, puisque la mère « légale » ne souhaitait pas que son épouse entretienne des liens avec l’enfant.
L’adoption de l’enfant issu d’une procréation médicalement assistée réalisée à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi du 02 août 2021, pouvait donc être prononcée, même en présence d’un refus de la mère « légale » de procéder à une reconnaissance conjointe, dès lors qu’elle était conforme à l’intérêt de l’enfant ; cet intérêt et sa protection étant souverainement appréciés par les juges, alors soumis à une obligation de motivation spéciale.
Cet article n'engage que son auteur.
[1] Article L. 2141-2 du code de la santé publique dans sa version issue de la loi du 7 juillet 2011.
[2] Ci-après désignée « mère légale » par opposition à la « mère d’intention ».
[3] La Cour de cassation s’était déjà prononcé sur l’exigence d’un critère tenant à l’intérêt supérieur de l’enfant (Cass., civ. 1ère, 23 mai 2024, n°22-20.069) : « Admettre que le législateur ait posé une exigence supplémentaire supposant de démontrer concrètement que la mesure d'adoption est indispensable pour protéger l'enfant d'un danger, conduirait à limiter considérablement la possibilité d'adoption plénière alors même que le refus de reconnaissance conjointe serait injustifié. Une telle interprétation s'inscrirait ainsi en contradiction avec l'objectif recherché par le législateur. »
Auteur

Emeline BROUSSARD
Avocate Collaboratrice
GACHON-NOUGUES, NOUGUES
GUERET (23)
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