Concubinage créance et prescription

Pas de suspension de la prescription des créances entre concubins

Publié le : 18/11/2025 18 novembre nov. 11 2025

La vie commune entre deux personnes occasionne des frais quotidiens mais aussi des dépenses d’investissement ou de travaux occasionnés par le domicile appartenant à l’un ou à l’autre ou à leur indivision.
A un moment ou à un autre peut arriver une séparation ou un décès et se pose alors la question de la créance du conjoint qui a payé ces dépenses en grande partie ou totalement.

Cette créance sera affectée d’une prescription empêchant le créancier qui l’a faite de la réclamer à l’autre ou ses héritiers.

Toutefois la proximité de vie des conjoints peut les empêcher de réclamer dans le délai de prescription le remboursement de cette créance et il a été logique d’organiser une application de la règle « Contra non valentem agere, non currit praescritpio ».

Quel que soit le statut juridique de cette proximité de vie il a fallu décider quelle était le temps de la prescription, sa suspension éventuelle pour impossibilité d’agir et là est apparue une distinction retenue pour certaines jurisprudences ou auteurs entre les communautés de vie à statut juridique et les simples situations de fait.

La prescription :

 
  • Durée : il n’y a plus de question sur ce sujet depuis la loi du 17 juin 2008 n°2008-561 car l’article 2224 nouveau du code civil institue une prescription de droit de commun de cinq ans.
 
  • Point de départ : le même article règle la question : c’est le jour où le titulaire du droit (créancier) a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son action.
 
  • Exception : le cours de la prescription est suspendu dans le cas où le titulaire du droit ne peut agir en raison d’une loi, d’une convention d’un fait de force majeure (article 2234 du code civil).

Les créances entre personnes vivant en couple ayant un statut juridique :

 
  • Durée prescription : c’est le droit commun de cinq ans.
 
  • Point de départ : jour de naissance de la créance (droit commun)
 
  • Suspension : Il y a dans le couple ayant un statut juridique (mariés, pacsés) une impossibilité d’agir : la proximité affective et de logement est un frein à l’action en demande de remboursement que voudrait engager le créancier pendant la durée de la vie commune. Donc la suspension de la prescription s’impose.
D’ailleurs la loi l’a prévue en son article 2236 du code civil issu de la loi de 2008 précitée : « Elle (la prescription) ne court pas ou est suspendue entre époux ainsi qu’entre partenaires d’un pacte civil de solidarité ».

Textuellement le concubinage ne figure pas dans l’article 2236 précité ce qui n’a pas empêché des concubins créanciers de solliciter l’application de la suspension pour impossibilité d’agir afin d’éviter la prescription de leur créance dont ils avaient négligé de solliciter le remboursement dans les cinq ans du jour où ils avaient eu connaissance (ou auraient dû avoir connaissance) des faits les rendant créanciers.

La dualité de positions :

Faute de texte spécifique comme l’article 2236 consacrant une impossibilité d’agir en cas de concubinage, les concubins créanciers ont cherché à partir du droit commun une solution identique.

Ce pourquoi ils ont excipé de l’article 2234 du code civil : " La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. "

Et notamment, puisqu’il n’y avait pas de texte, et comme personne ou presque ne pense à faire une convention lors du début de la vie commune ou lors d’une acquisition ou de la réalisation de travaux, les créanciers se sont rabattus sur la force majeure, considérant ou feignant de considérer que la vie commune affective – même sans lien juridique -créait bien une impossibilité majeure donc une force majeure empêchant d’agir contre le partenaire.

La majeure partie des décisions rendues n’a pas suivi cette thèse et a persisté à juger que la prescription de l‘action était de cinq ans à partir de la dépense faite ou de l’apport effectué et sans suspension due à la vie commune.

Quelques exemples de motivations : 
Sur 2236 : « les dispositions claires de l’article 2236 du code civil ne prévoient aucune cause de suspension de la prescription entre concubins, alors que le législateur a pris soin d‘étendre l’exception initialement réservée aux époux aux partenaires d’un pacs. »

« C’est vainement que M. W excipe d’une impossibilité morale d’agir à l’encontre de sa concubine du vivant de cette dernière au sujet d‘une demande de report du point de départ de la prescription à la date de son décès alors que l’article 2236 précité ne prévoit aucune cause de suspension de la prescription entre concubins » (C. Nîmes 1° 13 avril 2023 – n° 22/03027)

Sur 2234 : « Le concubinage ne peut en soi caractériser l’impossibilité dans laquelle serait une personne d’agir conte l’autre durant la vie commune, faute de remplir les conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité de la force majeure ».

Dans un arrêt du 26 juin 2024 n° 23/07803 2° ch. A, la Cour de Lyon retient les deux arguments tirés de l’application littérale des articles précités.

La question prioritaire de constitutionnalité :

Tenaces les concubins créanciers se heurtant au texte précis de 2236 du code civil l’ont attaqué pour inconstitutionnalité. 

L’argument était la rupture d’égalité devant la loi les concubins étant exclus contrairement aux autres couples mariés ou pacsés du bénéfice de cet article leur permettant de ne réclamer leur dû que cinq ans après la fin de la vie commune par séparation ou décès.

Là aussi ils se sont heurtés à un mur car dans un arrêt de la 1° ch. Civile du 10 juillet 2024, n°24-10157, la Cour de cassation jugeant que l’article ne méconnaissait pas le principe d’égalité devant la loi, dès lors que la différence de traitement qui en résulte, fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établir. Il n’impose nullement à celui qui détient une créance contre l’autre d’agir en justice pendant la durée de leur relation afin d‘éviter la prescription.

Les deux arrêts de la cour de cassation : solution finale ?

Le 10 septembre 2025 la Cour de cassation a rendu deux arrêts (n° 24-10157 et n° 24-12672) qui semblent clore le débat : en effet selon elle le concubinage ne peut, en soi, caractériser l’impossibilité dans laquelle serait une personne d’agir contre l’autre durant la vie commune, faute de remplir les conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité de la force majeure.

A noter que le premier arrêt a été rendu dans l’affaire qui avait fait l’objet du rejet de la demande d’inconstitutionnalité par arrêt du 1à juillet 2024 ;

En conclusion l’on peut dire que le sentiment n’est pas une cause de suspension d’une prescription en matière de créance dans un couple.

Si ce dernier n’est pas régi par un statut juridique présumant d’une solidité et d’une durée empêchant d’agir en paiement pendant la durée de vie commune, (ce que le concubinage simple situation de fait n’est pas).

Les règles de l’indivision permettraient de trouver une solution mais c’est un autre sujet.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
Eklar Avocats
MARSEILLE (13)
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