Pratique de non-débauchage

Pratiques de non-débauchage : l’Autorité de la concurrence franchit un nouveau cap

Publié le : 11/07/2025 11 juillet juil. 07 2025

ADLC, décision n°25-D-03 du 11 juin 2025
Par une décision n°25-D-03 du 11 juin 2025, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a sanctionné plusieurs entreprises actives dans les secteurs du numérique, de l’ingénierie et du conseil technologique pour avoir mis en œuvre des accords généraux de non-débauchage. 
Cette décision confirme que les ressources humaines sont au cœur des préoccupations des autorités de concurrence européennes et constituent un paramètre de concurrence à part entière. 

L’article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les ententes entre entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence. L’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit des dispositions analogues.

Une entente anticoncurrentielle se trouve ainsi caractérisée lorsque des opérateurs économiques indépendants décident ensemble du comportement qu’ils souhaitent adopter sur le marché au lieu de concevoir leur stratégie commerciale de manière indépendante. 

Alors que le droit de la concurrence est traditionnellement centré sur les prix, les volumes ou les répartitions de clientèle, la décision commentée rappelle qu’il peut exister d’autres paramètres de concurrence tels que les ressources humaines.

Les accords généraux de non-débauchage, anticoncurrentiels par objet

Par la décision commentée, l’ADLC a sanctionné deux ententes distinctes entre Ausy (devenue Randstad Digital) et Alten, d’une part, et Expleo et Bertrandt, d’autre part, lesquelles interviennent dans les secteurs de l’ingénierie, du conseil en technologie et des services informatiques. 

Ces ententes ont toutes deux pris la forme d’accords généraux de non-débauchage, qualifiés par l’Autorité de « gentlemen’s agreement ». Ces accords visaient, pour chacun des groupes en cause, à s’interdire tout à la fois de débaucher les salariés de son concurrent (c’est-à-dire d’aller solliciter activement ces salariés) mais également d’embaucher les lesdits salariés qui lui adresseraient une candidature spontanée.

Ces accords, dépourvus de limite temporelle ou matérielle précise, visaient à éviter les "guerres d’embauche" entre concurrents directs et ce, sur des marchés qui se caractérisent par l’importance stratégique des ressources humaines, lesquelles se trouvent au cœur des prestations offertes par ces entreprises à leurs clients. 

Révélées à la faveur d’une demande de clémence d’Ausy en 2018 et corroborées par des saisies opérées par l’Autorité, ces pratiques ont été qualifiées d’ententes anticoncurrentielles par objet, sans nécessité de démonstration d’un effet concret sur le marché.

Les clauses de non-sollicitation de personnel, pas nécessairement anticoncurrentielles

Les services d’instruction de l’ADLC reprochaient également aux entreprises mises en cause une possible entente anticoncurrentielle prenant la forme de clauses de non-sollicitation de personnel insérées dans des contrats de partenariat. 

Après analyse circonstanciée de ces clauses, l’ADLC a toutefois considéré qu’au cas d’espèce, elles ne pouvaient être qualifiées de restriction de concurrence, compte tenu notamment de leur champ temporel et matériel limité et des objectifs qu’elles poursuivaient. 

Dans son communiqué, l’ADLC rappelle toutefois que cette analyse ne préjuge pas de la possibilité que de telles clauses puissent, dans d’autres circonstances, être considérées comme anticoncurrentielles par objet. La prudence reste donc de mise lors de la rédaction de ce type de clause.

Des sanctions importantes

Si l’ADLC avait déjà tenu compte d’accords de non-débauchage pour caractériser une entente anticoncurrentielle (ADLC, décision n°24-D-06 du 21 mai 2024 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits préfabriqués en béton.), c’est la première fois qu’une décision de sanction porte exclusivement sur ce type de clause

Rappelant que (i) les pratiques d’entente horizontale sont parmi les pratiques anticoncurrentielles les plus graves, (ii) les pratiques en cause ont concerné des secteurs sur lesquels les ressources humaines sont un vecteur essentiel de concurrence et (iii) qu’elles ont affecté de nombreux travailleurs dont les perspectives de mobilité et d’amélioration des conditions de travail et de vie ont pu être impactées, l’ADLC a prononcé des sanctions pécuniaires d’un montant total de 29,5 millions d’euros, répartis comme suit :
 
  • Alten SA : 24.000.000 €
  • Bertrandt SAS : 3.600.000 €
  • Expleo France : 1.900.000 €
Ausy a, pour sa part, bénéficié d’une exonération totale du fait de sa qualité de demandeur de clémence.

L'Autorité a également prononcé deux injonctions de publication, dont l’une sur le réseau social LinkedIn, ce qui est inédit.

Cette décision fait écho à une décision rendue quelques jours plus tôt par la Commission européenne à l’encontre des sociétés Delivery Hero et Glovo (Commission européenne, communiqué de presse du 2 juin 2025 : « La Commission inflige aux sociétés Delivery Hero et Glovo une amende de 329 millions d’euros pour leur participation à une entente sur le marché de la livraison de denrées alimentaires en ligne »), décision par laquelle la Commission a, pour la première fois, constaté une entente anticoncurrentielle sur le marché du travail. 

Ces deux décisions rendues à quelques jours d’intervalle confirment que les ressources humaines sont un enjeu croissant pour les autorités de concurrence auquel les opérateurs économiques doivent se montrer de plus en plus attentifs.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Caroline BELLONE-CLOSSET
Avocat directrice
CORNET VINCENT SEGUREL LILLE
LILLE (59)
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