Responsabilité des gestionnaires publics

Responsabilité des gestionnaires publics : la mise en jeu de la responsabilité des élus locaux paralysée par le Conseil Constitutionnel ?

Publié le : 14/10/2025 14 octobre oct. 10 2025

Si la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, issue de l’ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022, vise principalement les comptables publics et les ordonnateurs n’ayant pas la qualité d’élu local, ces derniers peuvent néanmoins voir leur responsabilité engagée au titre de plusieurs infractions spécifiques.
Plusieurs élus locaux ont ainsi vu leur responsabilité personnelle engagée par les juridictions financières au titre notamment :

- de l’inexécution d’une décision de justice ayant conduit la collectivité au versement d’une astreinte (article L. 131-14) (Voir par exemple : C. Comptes 31 mai 2023, Commune d’Ajaccio, n° S-2023-0667),

- de l’octroi d’avantages injustifiés après mise en œuvre du pouvoir de réquisition du comptable public (article L. 131-12) (voir par exemple : CAF, 20 juin 2025, Commune de Richwiller, n° CAF-2024-03).


Les infractions prévues par la réforme des gestionnaires publics donnent lieu à la condamnation de leurs auteurs à une amende calculée comme suit :

- un montant maximal égal à six mois de rémunération annuelle de la personne faisant l’objet de la sanction (article L. 131-16),

- lorsque la personne condamnée ne perçoit pas de rémunération ayant le caractère d’un traitement ou d’un salaire, le montant de cette amende ne peut excéder la moitié de la rémunération annuelle correspondant à l’échelon le plus élevé afférant à l’emploi de directeur d’administration centrale (article L. 131-17 du Code des juridictions financières).

Les indemnités versées aux élus locaux pour l’exercice de leur fonction ne constituant pas un traitement ni un salaire, ces derniers relèvent en principe de cette seconde hypothèse, prévue par l’article L. 131-17 du Code des juridictions financières.

Cette situation concerne également les autres gestionnaires publics exerçant leurs fonctions à titre bénévole (voire par exemple, pour un Président de conseil d’administration ne percevant pas d’indemnité au titre de cette fonction : CDBF 24 février 2006, Société Altus, n° 143601) 

Il en résulte une inégalité de traitement qui a donné lieu à la saisine du Conseil Constitutionnel via une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’Etat par un arrêt du 5 mai 2025 (CE 5 mai 2025, n°501326).

Une telle différence de traitement entre les justiciables, selon qu’ils perçoivent ou non une rémunération ayant le caractère d’un traitement ou d’un salaire, pose en effet question au regard du principe d’égalité devant la loi pénale garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

Par sa décision du 18 juillet 2025 (n°2025-1148 QPC), le Conseil Constitutionnel censure une telle inégalité de traitement et déclare contraire à la constitution l’article L. 131-17 du Code des juridictions financières.

Le Conseil constitutionnel n’a pas assorti sa décision d’inconstitutionnalité d’un effet différé, et celle-ci a donc vocation à s’appliquer aux instances en cours.

Il en résulte que l’article L. 131-17 du Code des juridictions financières ne peut aujourd’hui recevoir application, conduisant de fait à écarter toute sanction aux infractions financières ciblant les gestionnaires publics ne percevant pas de traitements ou de salaires.

Par définition, ces gestionnaires publics ne percevant pas de traitements ou de salaires, ils ne peuvent davantage se voir infliger une amende correspondant à six mois de leur rémunération annuelle.

Outre les élus locaux, cette solution concerne également les responsables d’organismes susceptibles de faire l’objet de poursuites devant les juridictions financières et exerçant leurs fonctions à titre bénévole.

Toutefois, à ce jour, la Chambre du contentieux de la Cour des Comptes n’a pas encore procédé à l’application de la décision du Conseil Constitutionnel et semble même « résister » à cette décision en se bornant à procéder à une « juste appréciation » du montant de l’amende (C. Comptes 8 juillet 2025, Commune de Morne-à-l'Eau, n° S-2025-0978 ; C. Comptes, 2 septembre 2025, Commune de Poindimié, n° S-2025-1195).

Le juge financier de première instance semble ainsi appliquer à des gestionnaires ne percevant pas de traitement ni de salaire une amende déterminée sans base légale. 

Cette résistance de la Chambre du contentieux de la Cour des Comptes devra être confrontée à position de la Cour d’appel financière et le cas échéant du Conseil d’Etat saisi en cassation.
La décision du Conseil constitutionnel vient ainsi fragiliser sensiblement la mise en œuvre du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics, et devra probablement conduire à une évolution législative de ce dispositif, en précisant le montant de l’amende maximale susceptible d’être appliquée aux gestionnaires publics exerçant leurs fonctions sans rémunération. 


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Clément GOURDAIN
Avocat
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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