Quelles sont les conditions de révocation d'un dirigeant de société ?
Publié le :
23/04/2022
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La cour de cassation dans un arrêt du 9 mars 2022 rappelle que les conditions dans lesquelles les dirigeants d'une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu'il s'agisse des causes de la révocation ou de ses modalitésSelon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, un dirigeant de société a été révoqué en mai 2012 de ses fonctions dans plusieurs sociétés, dont une SAS. Faisant valoir que ces révocations étaient intervenues sans juste motif et dans des conditions brutales et vexatoires, il a assigné ces sociétés en paiement de dommages-intérêts. Celles-ci, agissant reconventionnellement, et la SA X, leur société mère, intervenant volontairement à l'instance, ont recherché la responsabilité du dirigeant.
La Cour d’appel a fait droit aux sociétés.
Le dirigeant s’est donc pourvu en cassation, mais la Cour de cassation rejette le pourvoi pour les raisons suivantes :
Les deux sociétés Hubbard sont des sociétés par actions simplifiées (SAS). Pour ce type de société, les conditions dans lesquelles les dirigeants d'une SAS peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixés par les statuts, aussi bien sur les causes de la révocation que sur ses modalités.L'article 16 des statuts de la SAS Hubbard Holding stipule que "le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu'un juste motif soit nécessaire, par décision du président. La révocation des fonctions de directeur n'ouvre droit à aucune indemnité." L'article 18 des statuts de la SAS Hubbard stipule, s'agissant des autres dirigeants que le président, que "les dirigeants sont révocables à tout moment par l'associé unique ou, en cas de pluralité d'associés, par l'assemblée générale ordinaire des associés sur proposition du président." Contrairement à ce qui est soutenu par Monsieur [N] et sauf à ajouter à l'article 18 précité, cette dernière disposition ne conditionne nullement la révocation du dirigeant à l'existence de justes motifs.
Ainsi, pour ces deux sociétés, la révocation de Monsieur [N] en tant que directeur général pouvait intervenir à tout moment, sans préavis et sans qu'il ait été nécessaire de justifier de justes motifs.
Toutefois, même dans cette hypothèse, le dirigeant d'une société par actions simplifiées peut réclamer l'indemnisation de son préjudice lorsqu'il est révoqué dans des circonstances brutales ou vexatoires, c'est à dire lorsque la révocation a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou encore a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation et le principe de la contradiction.
En l'espèce, Monsieur [N] soutient que sa révocation en tant directeur général de ces deux sociétés est fautive en ce qu'elle aurait été prononcée sans respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense et aurait par ailleurs été vexatoire au regard des circonstances dans lesquelles elle serait intervenue. Monsieur [N] fait ainsi valoir que la décision de le révoquer lui aurait été verbalement annoncée lors de son entretien avec Monsieur [S] le 3 mai 2012 à 8h, sans que les raisons ne lui aient été communiquées et qu'il ait pu les discuter. Il prétend que les convocations qui ont suivi pour la réunion au cabinet des avocats desdites sociétés devant avoir lieu le 10 mai 2012 n'avaient pour but que de donner une régularité apparente à la décision ainsi prise, sans toutefois lui permettre de se défendre en l'absence de précision sur les motifs de sa révocation. Monsieur [N] dénonce enfin la rapidité de cette réunion du 10 mai 2012 qui n'aurait selon lui duré que 5 minutes sans discussion possible sur sa révocation et sans réelle délibération. Il est acquis aux débats que Monsieur [N] a été informé dès le 30 avril 2012 de la venue de Monsieur [S] le 3 mai sur le site, l'intéressé lui ayant indiqué par mail souhaiter revenir sur le point « fondamental et maintes fois évoqué du management des équipes qui me préoccupe toujours ». Il est constant que le 3 mai à 8 heures, Monsieur [N] a eu un entretien avec Monsieur [S]. Il prétend avoir eu lors de cette entrevue la notification immédiate et orale de sa révocation, sans possibilité de la discuter, retranscrivant dans ses écritures les propos qui auraient été tenus dans son bureau.
Toutefois, cette retranscription personnelle et contestée par les parties adverses, n'est corroborée par aucun pièce objective, en l'absence de témoin. Au contraire, l'exemplaire des convocations qui ont été adressées à Monsieur [N] ce même jour en vue d'une réunion le 10 mai 2012 à 17h conforte la thèse développée par les sociétés Hubbard qui affirment qu'à l'occasion de l'entretien du 3 mai, Monsieur [S] s'est contenté de l'informer de son intention de révoquer ses mandats. Dans la lettre d'accompagnement des trois convocations, Monsieur [S] informe en effet l'intéressé qu'il envisage de mettre fin à leur collaboration et que préalablement à toute décision définitive, il souhaite entendre ses observations avant la tenue des réunions ou assemblées générales des sociétés dans lesquelles il détient un mandat.
Cette volonté a d'ailleurs été réitérée par Monsieur [S] dans un mail du 9 mai 2012. Il n'est donc pas démontré par Monsieur [N] que sa révocation est intervenue dès le 3 mai 2012. En outre, il ne peut soutenir qu'il ignorait l'objet de la réunion du 10 mai 2012 ou encore que son ordre du jour était imprécis. Il sera noté que dans un courrier adressé par mail le 8 mai 2012 en réponse aux convocations, Monsieur [N] a pu développer une argumentation pour contester la régularité de la procédure et les motifs de la révocation. Il a également confirmé sa présence à ladite réunion. Enfin, si Monsieur [N] conteste la durée et la teneur de la réunion du 10 mai 2012, il admet cependant y avoir assisté même quelques minutes, en présence de Monsieur [S] et de ses avocats, et confirme la teneur du document par lequel il a contesté les motifs de sa révocation la considérant « brutale et vexatoire », document qu'il reconnaît avoir donné le jour de cette entrevue pour être joint au procès-verbal de cette réunion.
Il a ainsi exprimé par écrit ses critiques à l'égard de la procédure adoptée, qualifiant la réunion de mascarade, sa révocation ayant été selon lui décidée le 3 mai. Il ne peut être reproché aux sociétés prises en la personne de leur président, d'avoir fait part à Monsieur [N] de leur intention de révoquer ses mandats ou encore comme il le qualifie lui-même « d'avoir prémédité » cette révocation, leur seule obligation étant de permettre à l'intéressé de faire valoir ses observations sur les motifs invoqués avant que la décision définitive ne soit prise.
Or, il résulte de ce qui précède que Monsieur [N] a pu régulièrement faire valoir ses observations notamment par écrit sur la procédure de révocation dont il a été informé dès le 3 mai 2012, la décision définitive n'étant intervenue, en l'absence de preuve contraire, que le 10 mai 2012 après une ultime réunion avec le président des deux SAS. A travers le document écrit déposé lors de celle-ci, il a admis connaître les motifs de la révocation puisqu'il dit les contester. Il sera d'ailleurs observé que dans aucun des mails ou écrit précités, il n'oppose le fait qu'il ignore les griefs qui sont invoqués à l'appui sa révocation. Les sociétés Hubbard apportent ainsi la preuve suffisante que le principe de loyauté et de la contradiction ont été respectés.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Christophe Delahousse
Avocat
Cabinet Chuffart Delahousse, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ARRAS (62)
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