De la pertinence du jury populaire dans les litiges de contrefaçons de brevet

Publié le : 01/03/2013 01 mars mars 03 2013

Les querelles juridiques opposant le géant à la pomme au Coréen Samsung posent la question de savoir si l'évaluation des dommages-intérêts par un jury populaire est pertinente au vu de la complexité de la matière.

Aux Etats-Unis, l'évaluation du préjudice résultant de la violation d'un brevet est effectuée par un jury populaire. L'augmentation des litiges en matière de brevets et la complexification croissante des affaires liées à ce droit immatériel ont fait poindre des critiques à l'endroit de la pertinence du rôle d'un jury en pareilles occasions. Technicité oblige, certains ont cru bon de proposer d'évincer le jury populaire et de mettre en place une exception de complexité au coeur du septième amendement de la Constitution américaine (Jennifer Miller, "Should Juries hear Complex Patent Case?", 2004).

L'évaluation du préjudice résultant de la contrefaçon d'un brevet par un jury populaire a inspiré les caricaturistes américains qui n'hésitent pas à avoir la plume acerbe à leur sujet (voir caricature, IPKat).

Quels sont les inconvénients dirimants résultat de la présence du jury?

Pour prendre un exemple saillant, il est d'usage d'affirmer que les jurys texans, attachés culturellement et avec ferveur au sacrosaint principe de la propriété, sont plus enclins à allouer des dommages et intérêts faramineux à la partie lésée. S'engouffrant dans cette brèche, les patent trolls, sociétés se spécialisant dans l'acquisition de brevets faibles à des fins spéculatives, saisissent sans vergogne les tribunaux texans quitte à dévoyer le critère de compétence territoriale en recherchant des liens de rattachement plus que tortueux.

Selon le septième amendement de la Constitution américaine :"les procès devant jury sont de droit si le litige porte sur un différend de plus de 20$". Comment alors faire fi de cette exigence constitutionnelle qui au grand damne des entreprises internationales non etatsuniennes instille une potentielle incertitude quant au verdict?

Certains commentateurs soulignent cependant qu'écarter le jury en raison de la technicité des affaires de brevet est une vision élitiste qui ne devrait pas prospérer quand bien même ces affaires seraient d'une haute technicité.

L'affaire RIM c/ Mformation Technologies Inc:

Le journal Bloomberg mettait en avant il y a peu une affaire dans laquelle le verdict du jury fut par trop éphémère. La société canadienne RIM, qui vient d'annoncer qu'elle changeait sa dénomination sociale en Blackberry, a perdu 147 millions de dollars suite au verdict d'un jury prononcé en juillet dernier.

Le litige portait sur un brevet de logiciel contenu dans les célèbres téléphones portables. Le juge a annulé le verdict du jury car les preuves versées selon lui par la société demanderesse, à savoir Mformation technologies Inc, n'étaient pas suffisantes.

Les verdicts prononcés par les jurys en matière de brevets n'ont cessé d'augmenter dans leurs montants. Cette tendance se découle en partie de l'hyper inflation des technologies dans notre économie de la connaissance.

Le droit de la propriété intellectuelle: un droit en épigenèse?

Les litiges en matière de brevets portent en eux les germes de leur propre incurie car le droit de la propriété intellectuelle n'en serait qu'aux prémisses. Le droit de la propriété intellectuelle se construirait alors sous nos yeux de manière pointilliste selon l'avocat américain Douglas A. Cowley ce qui expliquerait le caractère éphémère des verdicts.

Ainsi, les verdicts prononcés en matière de droit de la concurrence ou encore en droit des contrats sont bien moins fluctuants car ces matières sont bien ancrées dans le paysage juridique.

Les verdicts les plus élevés de 2012:

La sentence la plus élevée rendue l'an passé fut celle qui condamna la société Marvell Technology Group LTD. Cette dernière s'élevait à pas moins de 1,17 milliards et fut prononcée par un jury de Pittsburgh. Il s'agissait en l'espèce d'un brevet concernant une puce créé au sein de l'Université. Marvell a d'ores et déjà sollicité l'annulation du verdict le plus important jamais alloué à une université.

Durant la période estivale Apple a remporté la palme du second verdict le plus élevé contre le Coréen Samsung atteignant le montant de 1,05 milliards de dollars. Samsung a également interjeté appel.

Enfin, le géant des OGM Monsanto est sorti vainqueur d'un combat contre son concurrent DuPont Co au sujet d'un brevet d'OGM de graine de soja résistante au RoundUp. Le verdict a été fixé à 1 million de dollars. DuPont a déposé une motion qui est actuellement pendante sollicitant l'annulation ou la diminution de la sentence.

En France, il n'existe pas comme aux Etats-Unis de jurys populaires en matière de litiges de brevets. Cependant, tant la doctrine que les praticiens regrettent le faible montant des dommages et intérêts accordés par les magistrats dans des cas de violation de brevets. D'aucuns sont alors favorable aux treble damages qui sont en vigueur aux Etats-Unis et dont l'effet dissuasif s'en ressentirait d'autant.

SOURCES:IPKat, "Jury assessment : truly a joke?", 28 février 2013
Bloomberg, "Patent Trial Awards Soar With Some Big Ones Cut by Judges", 18 janvier 2013
PCImpact, "Brevets : Marvell condamné à verser 1,17 milliards de dollars à une université", 27 décembre 2012
IPKat, "The Rebranding of Blackberry : Of Geese, Ganders and Keys", 15 février 2013



Chloé RAMA, Eurojuris France



Cet article n'engage que son auteur.

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