Le degré d'achèvement d'un ouvrage ne constitue pas un critère d'appréciation de sa réception tacite
Publié le :
18/06/2024
18
juin
juin
06
2024
Il est constant qu’en application de l’article 1792-6 du code civil, la réception d’un ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter cet ouvrage est établie.À cet égard, il est constant que l’achèvement de l’ouvrage n’est pas une condition de la réception, de sorte qu’un ouvrage non achevé est toujours susceptible d’être réceptionné tacitement, dès lors qu’est caractérisée la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux en l’état.
Les deux arrêts qui ont été rendus par la Cour de cassation le 6 juin 2024 ne font donc que rappeler un principe qui est désormais bien établi.
Dans la première affaire (Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-23.557), des maîtres d’ouvrage ont fait procéder à la construction d’une maison d’habitation impliquant la réalisation de travaux de terrassement et d’un mur séparatif avec la propriété voisine.
Reprochant la réalisation de décaissements sur leur propriété à l’occasion de ces travaux, les voisins ont fait assigner les maîtres d’ouvrage, qui ont eux-mêmes appelé à la cause les constructeurs et leurs assureurs, afin de solliciter leur garantie au titre des condamnations qui viendraient être prononcées à leur encontre.
Par un arrêt en date du 24 août 2022, la Cour d’appel de Lyon a constaté la réception tacite de l’ouvrage (le mur) et a condamné l’entreprise de maçonnerie à indemniser les voisins de leurs préjudices, sous la garantie de son assureur RC décennale.
Afin de caractériser l’existence d’une réception tacite, les juges d’appel ont relevé que les maîtres d’ouvrage avaient pris possession des lieux, qui étaient alors habitables, à l’issue d’une « procédure de restitution des clés », après avoir refusé de donner suite à deux convocations qui leur avaient été adressées pour qu’il soit procédé à la réception des ouvrages.
Sur pourvoi de l’assureur RC décennale, l’arrêt a été cassé :
« Pour constater l’existence d’une réception tacite de l’ouvrage au 14 août 2014, l’arrêt relève que, selon le rapport d’expertise judiciaire, M. et Mme V. ont refusé la réception des travaux à la suite de deux convocations en 2013 et que la maison était habitable lorsqu’ils en ont pris possession à l’issue d’une procédure en restitution des clés. »
« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage de le recevoir, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Cette décision doit être mise en perspective avec l’arrêt qui a été rendu dans l’autre affaire ( Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-24.047), qui confirme que le critère déterminant de la réception tacite n’est pas l’achèvement de l’ouvrage, mais bien la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage en l’état, quel que soit son stade de réalisation.
Dans cette affaire, le maître d’ouvrage avait procédé à l’acquisition d’un hôtel, afin de le transformer en appartements après la réalisation d’importants travaux de réhabilitation.
Se plaignant de retards et d’un abandon de chantier, le maître d’ouvrage avait sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire, avant de saisir le tribunal au fond.
Par un arrêt en date du 4 octobre 2022, la Cour d’appel de Pau a déclaré le maître d’ouvrage non fondé à agir sur le fondement de la garantie décennale, et subsidiairement sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun au titre des dommages intermédiaires, au motif que l’existence d’une réception tacite supposait, à défaut d’achèvement, l’existence d’un ouvrage suffisamment avancé pour être utilisable conformément à l’objet pour lequel il a été réalisé.
Par son arrêt en date du 6 juin 2024, la Cour de cassation confirme une nouvelle fois que l’achèvement de l’ouvrage n’étant pas une condition de la réception, il convient de s’attacher uniquement au seul critère de la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux en l’état, et en l’espèce en l’état où il se trouvait à la suite de l’abandon de chantier :
« En statuant ainsi, alors que la réception tacite par le maître de l’ouvrage d’un immeuble d’habitation n’est pas soumise à la constatation par le juge que cet immeuble est habitable, la Cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
Historique
-
Le degré d'achèvement d'un ouvrage ne constitue pas un critère d'appréciation de sa réception tacite
Publié le : 18/06/2024 18 juin juin 06 2024Particuliers / Patrimoine / ConstructionEntreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierIl est constant qu’en application de l’article 1792-6 du code civil, la réception d’un ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l’...
-
Les gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas (toujours) des pouvoirs adjudicateurs
Publié le : 17/06/2024 17 juin juin 06 2024Collectivités / Contentieux / Tribunal administratif/ Procédure administrativePar un avis du 11 avril 2024 (CE, avis, 11 avr. 2024, n° 489440), le Conseil d’Etat a considéré que le droit de la commande publique ne s’appliquait pas au...
-
La prise en charge des dommages aux existants par l'assureur RC décennale est conditionnée à l'incorporation indivisible des ouvrages existants à l'ouvrage neuf
Publié le : 17/06/2024 17 juin juin 06 2024Particuliers / Patrimoine / ConstructionEntreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierDes maîtres d’ouvrage ont confié à une entreprise des travaux de remplacement des tuiles de la couverture de leur maison d’habitation. Se plaignant, après...
-
La stratégie nationale pour la mer et le littoral 2024-2030 est arrivée à bon port
Publié le : 17/06/2024 17 juin juin 06 2024Collectivités / Environnement / EnvironnementLa nouvelle stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML) 2024-2030 vient d’être adoptée par le décret n°2024-530 publié au Journal Officiel ce mar...
-
Baux commerciaux : clause d'indexation réputée non écrite et protocole
Publié le : 14/06/2024 14 juin juin 06 2024Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierCour de cassation, 3eme chambre civile, 16 mai 2024, n° 22-19.830 La clause d’indexation réputée non écrite au sein des baux commerciaux a fait couler bea...
-
Dissolution du régime matrimonial et exercice du droit de reprise des époux sur les biens propres
Publié le : 14/06/2024 14 juin juin 06 2024Particuliers / Famille / DivorcesL'arrêt du 2 mai 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 22-15.238) traite de la reprise de biens propres lors de la dissol...