Droit des marques et Google Adwords
Publié le :
06/11/2009
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Google prestataire notamment de services mercantiles sur l’Internet propose un système de référencement payant consistant en un « générateur de mots-clés ».
Le système de référencement payant avec générateur de mots clés proposé par GoogleGoogle prestataire notamment de services mercantiles sur l’Internet propose un système de référencement payant consistant en un « générateur de mots-clés ». En échange de rétribution en fonction du nombre de clics, un annonceur choisit habilement des mots-clés qui, une fois lancé dans une requête sur le moteur de recherche de Google, permettront l’affichage de son annonce en sus des résultats naturels.
Ces mots d’inspiration diverses et variés peuvent se révéler être des signes distinctifs déposés en tant que marques dénominatives. Afin de paralyser leur utilisation dans ce système de référencement par un tiers peu scrupuleux, le titulaire de ce signe s’attache à protéger son « bien » en engageant diverses actions judiciaires dont l’action en contrefaçon contre l’annonceur mais surtout contre Google.
Ce dernier se rend t-il effectivement coupable de contrefaçon lorsqu’on se remémore qu’un signe est protégé par le droit des marques a la quadruple condition que le signe soit utilisé, sans autorisation de son titulaire, à titre de marque dans la vie des affaires pour des produits identiques ou similaires et qu’il soit porté atteinte à la fonction (ou plus précisément aux fonctions) de la marque ?
Le système Google Adwords, contrefaçon de marques ou responsabilité civile?
Les premières décisions abordant l’intarissable problème de l’existence ou non d’une contrefaçon de marques condamnent, le système de référencement de Google comme étant contrefacteur (1) de marques.
Rapidement, les juges du fond auront un jugement différent. Des décisions postérieures refusent de voir dans l’utilisation de ce système de référencement une atteinte par Google au droit des marques (2). Un jugement récent énonce que le grief de contrefaçon ne peut être retenu contre Google en raison de son générateur de mots-clés, du fonctionnement de la requête large ou encore des annonces publicitaires (3).
Google n’est cependant pas exempt de toute responsabilité. Sa responsabilité civile a été engagée pour divers motifs.
Le TGI de Paris considère « que Google commet une faute sur le fondement de 1382 du code civil en ne vérifiant pas après le choix par l’annonceur d’un mot clé constituant une marque ou une dénomination sociale ou un nom de domaine que cette utilisation par l’annonceur est licite tant au regard du droit des marques qu’au regard des règles de loyauté du commerce » (4). Dans la même affaire, Google est condamnée en raison de son omission de mise en place de mesures pour imposer aux annonceurs non autorisés à utiliser le signe l’exclusion de l’affichage de leur annonce.
Le tribunal de commerce de Paris retient la responsabilité de Google au regard du risque de confusion que le générateur de mots clés crée. « En proposant le mot clé « Cobrason » dans le programme Adwords et en faisant ensuite apparaître sur la page de recherche sous l’intitulé « liens commerciaux » un site de concurrent ayant sélectionné ce mot clé, les sociétés Google engendrent un risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne entre le site du lien commercial et le site ayant pour nom de domaine ce mot clé » (5).
En outre, le TGI de Paris a également condamné la société pour publicité mensongère en raison de l’affichage dans la bannière « liens commerciaux » d’annonces publicitaires de tiers n’ayant pas le droit d’utiliser le signe distinctif (6).
En défense, la société californienne a notamment cherché à arguer de sa qualité d’hébergeur tel que défini par la LCEN afin de disposer de l’irresponsabilité de principe. Mais, les juges français ont refusé jusqu’à présent de qualifier l’activité de référencement de Google en activité d’hébergement classique, la société jouant un rôle actif et non neutre dans son activité de régie publicitaire (7).
Au regard de la profusion des décisions divergentes des juges du fond qui se fondent sur différents motifs et de la nécessité de trouver une solution uniforme, la cour de cassation (8), saisie de trois affaires relatives au système Adwords, a sursis à statuer afin de recueillir l’avis de la Cour de Justice des Communautés Européennes.
Il faut toutefois préciser que la Cour n’a été saisie que partiellement du problème. Les questions posées étaient celles de savoir si le service de référencement payant était contrefacteur, si le titulaire pouvait s’opposer sur le fondement du droit des marques à l’usage d’une marque renommée et enfin, à titre subsidiaire, dans le cas où ce système ne serait pas jugé contrefacteur, si le prestataire de ce service pouvait bénéficier des dispositions relatives aux hébergeurs.
L’avis de l’avocat général de la Cour, prélude à la clé du problème ?
L’avocat général a récemment rendu ses conclusions dans l’affaire précitée. M. Poiares Maduro, a conclu le 22 septembre 2009 à l’absence de contrefaçon par Google. Pour cela, il différencie deux phases.
Il conclu à l’absence de contrefaçon dans la première étape, « en quelque sorte interne au fonctionnement d’Adwords » (9), (rapports entre Google et l’annonceur), car lors de cette reproduction de marques, le signe distinctif n’est pas employé pour désigner des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, le seul service mis en cause étant celui du référencement.
La seconde étape consiste en l’affichage à côté des résultats naturels dans une bannière « liens commerciaux » de sites référencés lorsque les mots-clés choisis par l’annonceur ont été inscrit dans la requête par l’internaute dans le moteur de recherche Google. Un lien existe bien entre la marque (les mots-clés) et les produits ou services (par l’affichage des sites), Google agissant en quelque sorte comme une société de publicité. Toutefois, « comme pour les résultats naturels, les internautes n’évalueront l’origine des produits ou des services objets de la publicité qu’au vu du contenu des annonces et en visitant les sites objets de la publicité, ils ne porteront pas de jugement en se fondant uniquement sur le fait que les annonces sont affichées en réponse aux mots-clés correspondant aux marques » (10). Selon lui, il n’existe pas de risque de confusion, il n’y a dès lors pas d’atteinte à la fonction essentielle de la marque (établissement par le consommateur d’un lien entre l’utilisateur frauduleux de la marque et le titulaire de ce signe).
Ces conclusions sont à confronter aux décisions françaises ayant jugé Google responsable civilement en raison justement du risque de confusion que son système de référencement payant engendrait. Mais, selon l’avocat général, « ni l’affichage d’annonces ni celui de résultats naturels en réponse aux mots clés correspondant à des marques ne conduit à un risque de confusion quant à l’origine des produits et services ». Le seul doute d’un internaute sur la fiabilité d’un site qui le pousse à cliquer sur le lien, clic engendrant au demeurant une rétribution au profit de Google, n’attesterait-il pas pourtant d’une atteinte à la fonction essentielle de la marque ? L’internaute n’a-t-il pas une croyance, certes non « aveugle » (11), de l’existence d’un lien entre le site et le titulaire de la marque ? Il souligne qu’il s’agit là normalement d’une « appréciation de faits complexes » (12) laissée à l’appréciation de la juridiction de renvoi et exprime sa crainte quant à l’interdiction d’usage de la marque par le titulaire dans ce système de référencement qui pourrait instituer un droit absolu de contrôle sur l’utilisation de la marque, or « Internet fonctionne sans contrôle central » (13).
Il reste que l’avis de l’avocat général ne lie pas la Cour dans sa décision. De plus, ce verdict ne répondra que partiellement au problème de tout système de référencement payant qui, comme en témoigne les nombreuses décisions divergentes, est loin d’être résolu.
Par ailleurs, l’avocat général refuse à Google le bénéfice de la qualification d’hébergeur, car la société à « un intérêt direct à ce que les internautes cliquent sur les liens des annonces » (14).
Enfin, il est nécessaire d’aborder brièvement la situation de l’annonceur qui, en règle générale, utilisera le système de référencement afin de promouvoir ses produits ou ses services.
La situation de l’annonceur
L’avocat général a conclu à une absence de contrefaçon de la part de l’annonceur, car « la sélection de mots-clés n’est pas pour eux une activité commerciale, mais un usage privé » (15). Un signe distinctif n’est pas protégé quand il est utilisé en dehors de la « vie des affaires ».
En ce qui concerne l’affichage de l’annonce publicitaire, l’annonceur est régulièrement jugé contrefacteur. Ainsi, EBay a été récemment condamné sur le terrain du droit des marques par le TGI de Paris (16)pour avoir réservé des mots-clés reproduisant des marques de parfum afin de générer des liens commerciaux.
En somme, selon l’avocat général, le grief de contrefaçon à l’encontre de Google ne semble pas pouvoir être retenu. Gardons nous tout de même de tout jugement hâtif, l’arrêt de la CJCE n’entérinant peut être que partiellement voire nullement les conclusions de son avocat. En outre, le nombre limité de questions préjudicielles ne permettra pas de trouver la clé du conflit et Google n’a certainement pas dit son dernier mot.
Index:
(1) Voir notamment en ce sens, TGI Nanterre, 2e ch., 13 octobre 2003, Société VIATICUM, Société LUTECIEL / Société GOOGLE France, www.legalis.net ; TGI Nanterre, réf. 16 décembre 2004, Hotels Meridien / Google France, www.legalis.net
(2) Voir notamment en ce sens, TGI Paris 3e ch, 12 juillet 2006, Gifam et autres / Google France, www.legalis.net, « Le tribunal considère qu’en l’espèce il ne saurait être reproché à la société Google France des actes de contrefaçon de marques ou d’atteinte à la renommée de celles-ci ; ces actes illicites ne sont constitués que lorsque l’annonceur a choisi l’une de ces dénominations comme mot clé sans avoir l’autorisation du titulaire. »
En revanche, l’arrêt d’appel condamne Google pour contrefaçon « Qu’il suit que l’usage des marques du Gifam que Google réalise dans la vie des affaires avec son générateur de mots-clés, constitue la contrefaçon de ces dernières au sens des articles L713-2 du CPI, Google ne contestant pas que les signes déposés à titre de marques apparaissent tels quels dans les listes fournies par le générateur de mots-clés » CA Paris 4ème chambre, section B, 1er février 2008, Gifam et autres / Google France
(3) TGI Paris 3e ch, 07 janvier 2009, Voyageurs du Monde, Terres d’Aventure / Google et autres
(4) TGI de Paris 3e ch., 07 janvier 2009, Voyageurs du Monde, Terres d’Aventure / Google et autres
(5) Tribunal de commerce de Paris 15e ch., 23 octobre 2008, Cobrason / Google, Home Ciné Solutions, www.legalis.net
(6) TGI Paris 3e ch., 12 juillet 2006, Gifam et autres / Google France
(7) TGI Paris 3e ch., 12 juillet 2006, Gifam et autres / Google France, « Aussi, le tribunal considère qu’en l’espèce, l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique précité n’est pas applicable à la société Google lorsque sa responsabilité est recherchée en qualité de régisseur publicitaire. »
(8) Com. 20 mai 2008, n°06-20230
(9) Concl. Précitée, Pt 55
(10) Concl. Précitée, Pt 91
(11) Concl. Précitée, Pt 87
(12) Concl. Précitée, Pt 85
(13) Concl. Précitée, Pt 110
(14) Concl. Précitée, Pt 145
(15) Poiares Maduro, Concl. 22 sept.2009, aff. C-236/08, C-237/08, C238/08, Google c./ Louis Vuitton Malletier, Google c./ Viaticum Luteciel, Google c/CNRRH, Pt 150
(16) TGI Paris 3e ch., 18 septembre 2009, Kenzo et autres/eBay
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
Historique
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