Elections et covid-19 : le taux d'abstention est-il de nature à remettre en cause les résultats du scrutin ?
Publié le :
07/10/2020
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Dans un arrêt du 15 juillet 2020, n° 440055, le Conseil d’Etat prend position : sauf circonstances particulières, une protestation électorale fondée sur le seul fort taux d’abstention du fait de la Covid 19 est vouée à l’échec.
Alors même que la période de confinement en raison de l’épidémie sanitaire liée à la Covid 2019, hors situation de cluster, a été décidée et annoncée immédiatement après le premier tour des élections municipales, nombre de candidats malheureux ont sollicité l’annulation du scrutin sur le seul fondement du fort taux d’abstention causé par cette crise sanitaire, la prolongation du délai de recours ayant favorisé cette pratique.
Certains tribunaux administratifs se sont laissés convaincre par une telle argumentation et c’est le cas notamment du Tribunal Administratif de Nantes dans une décision concernant la commune de MALVILLE (TA Nantes, 9 juillet 2020, Élections municipales et communautaires de Malville, n°2004764) qui a eu un fort retentissement à l’échelon national.
Cette situation a ainsi conduit le Conseil d’Etat à prendre position aux fins de garantir une cohérence nationale face à une telle problématique inédite.
C’est à l’occasion du recours concernant les opérations électorales s’étant déroulées sur le territoire de la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle dans l’Orne que le Conseil d’Etat a pu arbitrer ce débat (CE, 15 juillet 2020, n°440055).
En effet, pour solliciter l’annulation de ces élections, le requérant s’est uniquement fondé sur le fort taux d’abstention, à savoir 56,07%, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a, ainsi, affirmé que « le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité ».
1. Le taux d'abstention, par lui-même, n'est pas de nature à remettre en cause les résultats d'un scrutin électoral
Cette position du Conseil d’Etat n’est, selon nous, nullement surprenante dans la mesure où aucune disposition légale ou réglementaire (pour les communes de plus de 1.000 habitants) ne prévoit qu’en-deçà d’un certain seuil de participation, une élection ne doit pas être validée.L’article L 262-2 du Code électoral dispose que seuls sont pris en compte les suffrages exprimés dans le cadre des résultats des élections municipales et ce, indépendamment du taux de participation.
Le Conseil d’Etat a, d’ailleurs, expressément visé ses dispositions dans le considérant de principe rendu (CE, 15 juillet 2020, n°440055) :
« 9. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité. »
Ainsi, à notre sens, le grief tiré du seul taux d’abstention est inopérant :
« 10. Considérant que M. B...soutient que le défaut de sincérité des résultats du scrutin serait établie du seul fait que le taux d'abstention constaté lors des élections municipales des 23 et 30 mars 2014 à Montmagny a été plus élevé que le taux d'abstention relevé à l'échelle nationale ; qu'il ne résulte toutefois pas de l'instruction que, lors des deux tours de scrutin, il aurait été fait obstacle, de quelque manière que ce soit, au libre exercice du droit de vote par les électeurs de cette commune ; que la seule circonstance que l'abstention à Montmagny a été plus élevée que la moyenne nationale n'est pas de nature à établir que la sincérité du résultat en ait été altérée ; » (CE, 22 juillet 2015, n°385989).
« 7. Considérant, enfin, que le requérant ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de l'élection, du taux d'abstention élevé enregistré lors de cette élection ; » (Cons. Const., 9 mars 1999, n°98-2573).
La décision rendue par le Conseil d’Etat sur cette question inédite liée à la Covid 19 n’est, en réalité, qu’une application de sa jurisprudence selon laquelle un faible taux d’abstention ne révèle par lui-même « aucune manœuvre susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin » (CE, 13 février 2009, n°318280).
2. Le tempérament apporté par le Conseil d'Etat : "les circonstances de l'espèce"
Il est, toutefois, à noter que le Conseil d’Etat prend soin d’apporter un tempérament au principe posé : le seul taux d’abstention lié au contexte national dans lequel s’est déroulé le scrutin municipal 2020 ne constitue pas un motif d’annulation du scrutin, hormis si « dans les circonstances de l’espèce », ce taux d’abstention a été de nature à rendre non sincères les résultats.Ce tempérament s’inscrit en cohérence avec la finalité de l’office de juge de l’élection, laquelle n’est pas de sanctionner toutes les irrégularités électorales en annulant le scrutin électoral mais uniquement celles ayant été de nature à porter atteinte de sincérité du scrutin.
Si nous ne disposons pas encore de décision rendue par la juridiction suprême explicitant cette notion de « circonstances de l’espèce » dans le contexte sanitaire Covid 19, on peut toutefois légitimement penser que tel serait le cas si un candidat malheureux parvenait à démontrer qu’un autre candidat aurait pu, tirer davantage profit de ce taux d’abstention (les personnes âgées auprès desquelles le candidat bénéficie d’un fort taux de sympathisants n’a pas pu se déplacer par ex.) ou encore que le libre exercice du droit de vote aurait été entravé (impossibilité de voter par procuration ou de se déplacer dans certains lieux de vote).
A notre sens, la situation des clusters ayant imposé une situation de confinement locale et ce, avant même le déroulement du premier tour des élections municipales, serait susceptible de constituer une telle circonstance d’espèce, « spécificité » d’ailleurs expressément relevée dans les conclusions de Monsieur le Rapporteur public, M. Vincent VILLETTE, dans cette affaire ayant donné lieu à cette décision du 15 juillet 2020.
En effet, un taux d’abstention résultant d’une telle situation ayant grandement entravé le libre exercice du droit de vote des administrés a nécessairement porté atteinte à la sincérité du scrutin : il ne peut nullement être imposé aux administrés de rester chez eux pour un impératif de santé publique majeur, de limiter les déplacements aux besoins indispensables et dans le même temps, les solliciter aux fins de se rendre dans un lieu public où plusieurs centaines de personnes doivent se rendre simultanément pour voter, alors même que cela fait déjà plusieurs jours qu’il leur est demandé de limiter tout contact, que tout rassemblement public a été interdit…Il est, par ailleurs, patent que dans ces clusters, il a bien souvent été impossible de mettre en œuvre le vote par procuration qui aurait permis à tous les électeurs d’exprimer leur suffrage.
Cette réalité est corroborée par le fait que lorsque le confinement a été décidé pour la France entière le 17 mars, le gouvernement a décidé de reporter le second tour des élections municipales à une date qui sera à fixer en fonction de la date du déconfinement….
Quoi qu’il en soit, par cette décision en date du 15 juillet 2020, sauf « circonstances de l’espèce », la juridiction suprême a sécurisé nombre de municipalités en place, en jugeant qu’un contentieux électoral basé sur le seul fondement du faible taux de participation est voué à l’échec, et il n’est possible que d’approuver la sagesse de cette décision s’inscrivant dans la parfaite continuité de la jurisprudence déjà existante en la matière.
La Covid 19, épisode sanitaire inédit, n’aura pas permis, et fort heureusement pour la sécurité juridique et le fonctionnement des démocraties locales, de soumettre les élections municipales à un taux de participation minimal, condition non encore exigée par le législateur (hormis dans les communes de moins de 1.000 habitants au premier tour des élections : article L.253 du Code Electoral), élément sur lequel le Gouvernement ne souhaite d’ailleurs pas revenir (Question écrite n° 15933 de M. Jean Louis Masson publiée dans le JO Sénat du 07/05/2020 - page 2102/Réponse du Ministère de l'intérieur publiée dans le JO Sénat du 03/09/2020 - page 3939).
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteurs
NAUX Christian
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
Raphaëlle VAUTIER
Avocate
LEXCAP NANTES
NANTES (44)
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