Irrégularité d’une méthode de notation des offres basée sur les rangs de classement
Publié le :
22/08/2024
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La liberté dont disposent les acheteurs et les autorités concédantes en matière de méthode de notation des offres dans le cadre de la passation des contrats de la commande publique, et l’imagination qu’une telle liberté autorise, donnent régulièrement lieu à des contestations de la part des candidats évincés.En témoigne la décision commentée par laquelle le Conseil d’Etat a censuré les modalités d’évaluation des offres mises en œuvre par une autorité concédante : CE, 7 juin 2024, Communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale, req. n° 489404.
Il s’agissait en l’espèce d’une procédure de consultation en vue du renouvellement d’une délégation de service public portant sur la gestion des services de mobilités.
La collectivité concédante avait retenu une méthode de notation consistant à attribuer à chaque offre une note correspondant à son classement, et ce, pour chacun des critères.
Le candidat arrivé en tête sur un critère se voyait ainsi attribuer la note de 1, le candidat arrivé en deuxième une note de 2, et ainsi de suite. Un coefficient multiplicateur de 1, 2 ou 3 était ensuite appliqué selon l’importance conférée au critère. C’est en définitive le candidat dont l’offre obtenait la note globale la plus basse qui était déclaré attributaire.
Saisi par deux candidats évincés à l’issue de la procédure, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes a annulé celle-ci au motif que la méthode de notation retenue était irrégulière. Le Tribunal a en effet considéré que la méthode d’évaluation ne permettait pas de garantir que l’offre présentant le meilleur avantage économique global soit choisie.
L’autorité concédante s’étant pourvue en cassation, le Conseil d’Etat a rappelé les conditions de régularité d’une méthode de notation ainsi que les conséquences sur la procédure d’un manquement lié aux modalités d’évaluation des offres. Il a, au préalable, censuré le raisonnement du juge des référés s’agissant de l’appréciation de la condition de lésion.
1. L’irrégularité de la méthode de notation ne lèse pas automatiquement le candidat non retenu
Dans son ordonnance, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes a indiqué que les sociétés requérantes avaient nécessairement été lésées par le manquement tiré de l’irrégularité de la méthode de notation mise en œuvre par la collectivité.Le Conseil d’Etat a estimé que, ce faisant, le juge des référés a commis une erreur dès lors qu’il lui appartenait de « rechercher si, eu égard aux appréciations portées [par la collectivité] sur leurs offres, ces sociétés n’étaient, pas en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux (…)».
On sait en effet que la méthode de notation, même irrégulière, peut ne pas avoir lésé le requérant. Tel est le cas si, quelle que soit la méthode de notation retenue, le candidat concerné n’était pas susceptible de se voir attribuer le marché.
Il en va notamment ainsi lorsque le requérant conteste la méthode de notation du critère du prix alors qu’il a obtenu :
- une note égale ou inférieure à celle de l’attributaire sur le critère de la valeur technique et a, d’autre part, proposé un prix plus élevé que l’attributaire (CE, 18 déc. 2012, département de la Guadeloupe, req. n° 362532),
- une note inférieure à celle de la société attributaire sur les critères du prix et de la valeur technique et une note égale sur le troisième critère, pondéré à 10% (CE, 24 mai 2017, Société Techno Logistique, req. n°405787).
En somme et assez logiquement, « une méthode de notation irrégulière ne peut léser un candidat que si l’irrégularité dont elle est entachée lui a fait perdre une chance d’être retenue » (Concl. G. Pélissier sur CE, 24 mai 2017, n°405878, préc.). Si tel n’est pas le cas eu égard aux notes obtenues sur les autres critères, au prix proposé ou à l’importance conférée à chacun des critères, alors le moyen est systématiquement jugé inopérant.
2. L’irrégularité de la méthode de notation mise en œuvre
Il est désormais bien acquis que l'autorité concédante est libre de définir la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu’elle a retenus. En revanche, cette liberté n’est pas absolue puisque la méthode de notation est jugée irrégulière si (CE, 3 mai 2022, société Les Copines, req. n°459678) :- les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation,
- si les modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.
On retrouve ainsi la logique qui prévaut dans le cadre de l’attribution des marchés publics pour lesquels il a été jugé que si « le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics », cette méthode est toutefois entachée d’irrégularité « si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie » (CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n°373362).
Le Conseil d’Etat a précisé que ces principes s’appliquent quand bien même l’acheteur ou l’autorité concédante, alors qu’il(elle) n’y était pas tenu(e), a rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, la méthode d'évaluation des offres.
En l’occurrence, la méthode de notation retenue par la communauté d’agglomération, uniquement basée, nous l’avons vu, sur les rangs de classement des offres sur chaque critère d’attribution, ne reflétait que très imparfaitement la différence de valeur entre les offres.
Certes, une méthode de notation ne doit pas nécessairement aboutir à un écart de notes strictement proportionnel à l’écart entre les valeurs intrinsèques des offres (TA Rennes, ord., 19 nov. 2013, n° 1303933, Sté Iliane Informatique) et peut même consister à attribuer automatiquement la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre (CE, 15 février 2013, Sté SFR, req. n˚363854).
Il convient néanmoins que la méthode retenue n’ignore pas totalement l’écart de valeur intrinsèque entre les offres, privant ainsi de portée les critères de jugement et conduisant à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas retenue. Or, en se basant uniquement sur le classement sur chaque critère et en appliquant un coefficient multiplicateur, la méthode de notation en cause avait finalement pour effet de gommer cet écart et de modifier la portée des critères, notamment lors de l’addition des différentes notes obtenues.
Comme l’a relevé Nicolas LABRUNE dans ses conclusions sur cette affaire, « une offre A classée juste derrière une offre B aura, pour le critère en cause, une note inférieure d’un point à celle de l’offre B, quand bien même elle serait trois fois moins bonne. Et, à l’inverse, dès lors que huit offres étaient en lice, l’offre classée dernière sur chaque critère sera systématiquement évaluée comme huit fois moins bonne sur ce critère que l’offre classée première, quand bien même les offres auraient en réalité des valeurs assez proches. (...) L’addition des notes obtenues par les offres sur chaque critère peut (…) aboutir à un classement global bien différent de celui qui résulterait de l’addition des valeurs intrinsèques de ces offres sur chaque critère ».
3. L’annulation de l’intégralité de la procédure
Il est jugé de manière constante que si l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution, la méthode de notation des offres n’a pas en revanche à être portée à la connaissance des candidats lorsque l’acheteur se borne à mettre en œuvre les critères annoncés (CE, 2 août 2023, Sté de travaux publics et industriels, req. n° 472976 ; CE, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, req. n°334279).Le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le point de savoir si, lorsque, cette méthode de notation est annoncée en amont aux candidats et qu’elle est, comme dans l’affaire commentée, entachée d’irrégularité, ce manquement doit entraîner l’annulation intégrale de la procédure ou si seule la reprise de la procédure au stade de l’examen des offres s’impose.
Le Conseil d’Etat estime à cet égard qu’une telle irrégularité « affecte le règlement de la consultation » et que, dès lors, ne prononcer l’annulation de la procédure qu’au stade de l’examen des offres reviendrait à méconnaître une règle de sélection qui a été annoncée aux candidats et qui a pu avoir une influence sur la préparation des offres. Il prononce, en conséquence, l’annulation intégrale de la procédure.
En revanche, si la méthode de notation n’avait pas été portée à la connaissance des candidats préalablement à la remise de leur offre, alors son irrégularité aurait uniquement conduit à l’annulation partielle de la procédure.
* * *
En conclusion, il ressort de cette décision que la méthode de notation des offres ne doit pas totalement ignorer l’écart de valeur entre les offres, sauf à priver d’effet les critères d’appréciation qui ont été annoncés aux candidats. Une méthode basée simplement, comme en l’espèce, sur les rangs de classement sur chacun des critères est dès lors nécessairement entachée d’irrégularité. De façon générale, il ressort de la jurisprudence que la méthode d’évaluation retenue par l’acheteur ou l’autorité concédante ne doit être ni trop simpliste ni trop complexe au risque, soit de ne pas tenir compte de la valeur intrinsèque des offres, soit d’être inutilisable.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
AMON Laurent
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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