La reconnaissance des enfants nés par mère porteuse à l'étranger

La reconnaissance des enfants nés par mère porteuse à l'étranger

Publié le : 03/09/2014 03 septembre sept. 09 2014

Le 26 juin dernier, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a rendu deux arrêts relatifs à la question très sensible du statut en France des enfants nés par mère porteuse à l'étranger. Les médias ont fait état, comme conséquence de ces deux décisions du 26 juin 2014, d'une obligation générale pour la France à retranscrire sur les registres de l'État civil les actes de naissance d'enfants nés de mères porteuses à l'étranger.

S'il est incontestable que la France a vocation, à la suite de ces décisions, à modifier sa position quant à la reconnaissance des enfants nés à l'étranger dans des conditions légales et dotés d'un état civil établissant leur filiation biologique à l'égard d’au moins l’un de leurs parents d'intention, il semble peut-être hâtif à ce stade de conclure à une obligation de retranscrire tant la filiation paternelle que la filiation maternelle.

Les situations des deux couples concernés, les époux Mennesson d'une part et les époux Labassee d'autre part sont tout à fait similaires : touchés l’un et l’autre par l’infertilité, ils décident au début des années 2000 de recourir à une mère porteuse et se rendent aux États-Unis où la pratique de la gestation pour autrui est autorisée ; ils concluent chacun un contrat avec une citoyenne américaine qui portera pour eux un embryon issu des gamètes du mari et d’un ovocyte anonyme.

Conformément à la législation américaine, un jugement est rendu avant la naissance prenant acte de la renonciation de la mère porteuse et, le cas échéant, de son conjoint à tout droit sur l'enfant à naître et reconnaissant le mari français comme étant le père biologique de l'enfant, son épouse ayant vocation à apparaitre sur les actes de naissance comme la mère légale du ou des enfants. Les jumelles Mennesson et la jeune Labassee ont donc bénéficié dès leur naissance de la nationalité américaine et d'un état civil américain conforme à leur possession d'état d’enfants légitimes.

Elles ont ainsi pu rentrer en France sans difficulté et mener une vie normale avec leurs parents d'intention.

Ces derniers ont souhaité faire retranscrire les filiations sur les registres de l'État civil français.

Ils se sont alors heurtés à une opposition du Parquet et des services de l'état civil, l'État français se refusant à entériner une situation totalement illicite sur son sol. La gestation pour autrui est en effet strictement interdite en droit français et, comme le relève la CEDH dans ses arrêts : « il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l'étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire (§ 98 )».

S'en est alors suivi pour les deux familles une longue bataille judiciaire sur des fondements un peu différents.

Pour les époux Mennesson, la retranscription des actes de naissance de leurs filles sur les registres du service central de l'État civil à Nantes a été autorisée par le Parquet pour être immédiatement contestée par voie d’assignation en nullité de la transcription par le même Parquet ; celui-ci a souhaité purger la difficulté posée par le dossier par le biais de cette stratégie pour le moins inélégante humainement mais juridiquement validée par la Cour de cassation. C’est ainsi que le TGI de Créteil, puis la Cour d'appel de Paris, saisis de la procédure ont annulé les transcriptions.

Les époux Labassee se sont quant à eux vu refuser d’emblée la retranscription de l'acte de naissance de leur fille par le Parquet. Ils ont alors sollicité avec succès du Tribunal d'Instance de Tourcoing un acte de notoriété établissant la filiation par la possession d'état. Le Parquet de Nantes a toutefois refusé de porter la mention de cet acte de notoriété à l'état civil et l'affaire, tant à la demande des époux Labassee qui contestaient ce refus qu’à celle du Parquet qui sollicitait la nullité de l'acte de notoriété, a été portée devant le Tribunal de Grande Instance de Lille.

Cette juridiction a considéré qu’eu égard à la nullité de la convention de mère porteuse conclue en violation de la loi française et donc à son caractère frauduleux, la possession d’état et l'acte de notoriété s’en trouvaient viciés ; ce dernier a donc été annulé. La Cour d'Appel de Douai a confirmé ce jugement.

Déboutés de leurs demandes respectives, les époux Mennesson et les époux Labassee se sont pourvus en cassation.

La Cour de cassation a rendu deux arrêts de rejet le 6 avril 2011 et c'est dans ces conditions que des requêtes ont été déposées devant la CEDH qui, à son tour, s’est prononcée à la même audience dans les deux dossiers.

Dans ses arrêts du 26 juin 2014 (http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{%22languageisocode%22:[%22FRA%22],%22documentcollectionid2%22:[%22JUDGMENTS%22],%22itemid%22:[%22001-145179%22]} et http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{%22languageisocode%22:[%22FRA%22],%22documentcollectionid2%22:[%22JUDGMENTS%22],%22itemid%22:[%22001-145180%22]}), la Cour considère qu’il n’y a pas violation du droit au respect de la vie familiale des parents, mais condamne la France pour violation du droit au respect de la vie privée des enfants, en retenant que :
 
  • l’absence de reconnaissance dans l’ordre juridique français de l’état-civil américain des enfants par ailleurs reconnu portait atteinte à leur identité au sein de la société française.
  • Il existe « une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française ». Malgré la circulaire Taubira du 28 janvier 2013, les enfants n’avaient en effet toujours pas, à la date de l’évocation de l’affaire au printemps 2014, obtenu la nationalité française.
  • L’absence de reconnaissance de la filiation avait des conséquences défavorables pour les enfants quant à leurs droits sur la succession de leurs parents.
La Cour conclut « qu’il résulte de ce qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant. »

Elle poursuit en retenant que « Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (voir, par exemple, l’arrêt Jäggi précité, § 37), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. ….. La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des « enfants », qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. »

La CEDH prend donc le soin de mentionner clairement l’importance que revêt la privation pour l’enfant d’un lien juridique avec son parent biologique, en l’espèce le père.

Quelles sont pour la France les réponses susceptibles d’être apportées à la suite d’une telle décision ?


Comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son « Etude sur la révision des lois de bioéthique », « il paraît délicat de concilier le maintien de cet interdit (la GPA) en France et la reconnaissance de certains effets d’une gestation régulièrement conduite à l’étranger. »

A ce jour le gouvernement a fermement maintenu son opposition à la GPA qui demeure en France interdite par des dispositions d’ordre public et constitutive d’une infraction pénale.

Ainsi, indépendamment de la solution radicale d’une transcription pure et simple sur les registres de l’état civil, il semblerait que la CEDH pourrait se satisfaire de la mise en œuvre des propositions du Conseil d’Etat dans l’étude précitée qui suggère :
 
  • la transcription de la seule filiation paternelle,…; puis, à défaut de permettre la reconnaissance de la filiation maternelle, la mère d’intention pourrait bénéficier, à la demande du père, d’un jugement de délégation avec partage de l’autorité parentale (article 377 du code civil). Dans ce cas, la mère pourrait bénéficier de prérogatives liées à l’autorité parentale (comme peuvent en bénéficier certains tiers au regard du droit de la famille) sans que la filiation à son égard soit pour autant établie.
  • l’inscription en marge de l’acte de naissance de l’enfant d’une mention relative au jugement étranger qui a reconnu la mère d’intention comme mère, en prévoyant que cette inscription aurait pour seul effet d’éviter qu’en cas de décès de la mère, une procédure d’adoption plénière par un tiers puisse priver les parents de la mère d’intention de tout lien avec l’enfant (cette inscription aurait pour effet de permettre une adoption simple mais non plénière )».
Ainsi, il sera intéressant de connaitre la réponse de la France à cette question délicate : procédera-t-elle à la transcription de l’acte d’état civil étranger sans distinction, incluant par conséquent une filiation d’intention non reconnue par le droit français, ou la limitera-t-elle à la seule filiation biologique établie ?

Affaire à suivre…



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Cello Armstrong - Fotolia.com
 

Auteur

Marie-Cécile BIZARD

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