Le contentieux des déclarations d'utilité publique, efficacité ou vanité ?

Publié le : 09/01/2008 09 janvier janv. 01 2008

La déclaration d’utilité publique se rencontre le plus souvent dans le droit de l’expropriation où elle est l’acte administratif qui autorise dans l’intérêt général le transfert forcé de la propriété d’un bien immobilier.

La déclaration d'utilité publiqueSelon l’article L. 11-1 alinéa 1er du code de l’expropriation : « L'expropriation d'immeubles, en tout ou partie, ou de droits réels immobiliers, ne peut être prononcée qu'autant qu'elle aura été précédée d'une déclaration d'utilité publique intervenue à la suite d'une enquête et qu'il aura été procédé contradictoirement à la détermination des parcelles à exproprier, ainsi qu'à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés ».

La déclaration d’utilité publique ne se rencontre toutefois pas uniquement dans cette hypothèse.
Certains projets d’ouvrages, de travaux, d’aménagements, nécessitent qu’ils soient préalablement reconnus d’utilité publique avant d’être réalisés, ceci en dehors de toute aliénation forcée.
A titre d’exemple, l’article L. 215-13 du code de l’environnement précise que « La dérivation des eaux d'un cours d'eau non domanial, d'une source ou d'eaux souterraines, entreprise dans un but d'intérêt général par une collectivité publique ou son concessionnaire, par une association syndicale ou par tout autre établissement public, est autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux ».

Les justiciables confrontés à des déclarations d’utilité publique (DUP) ont souvent des attitudes différentes voire opposées lorsque se pose la question de savoir s’il faut contester la DUP. Pour certains, l’affaire est perdue d’avance dès lors qu’ils ont en face d’eux une collectivité publique en charge de l’intérêt général : « le recours sera vain, la collectivité parviendra à ses fins de toute façon… ». Pour d’autres en revanche, la déclaration d’utilité publique est avant tout une atteinte injustifiée à leurs droits voire aux droits de leurs ancêtres.
Le recours s’impose par principe, sans que soient évaluées ses chances de succès.

Qu’en est-il réellement ? Le justiciable a-t-il un intérêt à contester une DUP ? La réponse à cette interrogation dépend selon nous des arguments dont dispose le requérant à l’appui de son recours contre la DUP. Si, en effet, ce requérant dispose d’un moyen susceptible d’entraîner l’annulation de la DUP et, par delà, d’obtenir la remise en cause définitive de la procédure d’utilité publique, la défense de ses intérêts commande le recours. Si, en revanche, le moyen d’annulation n’empêche pas la collectivité de mettre à nouveau en œuvre la procédure d’utilité publique, le recours contre la DUP trouve un intérêt plus incertain [1].

Cette première réflexion doit s’accompagner d’une seconde liée aux procédures mises en œuvre par le justiciable pour obtenir satisfaction. Dans l’hypothèse d’une annulation de la DUP, il lui faudra mettre en œuvre les procédures juridictionnelles lui permettant de récupérer son bien dans l’état où il était avant que les effets de la procédure d’utilité publique produise ses effets c’est-à-dire, en matière d’expropriation, avant que l’autorité expropriante prenne possession du bien [2].

Annexes[1] L’annulation de la DUP ne conduit pas nécessairement à la remise en cause définitive de la procédure d’utilité publique

Le recours contre une DUP peut être fondé sur des moyens de forme et de procédure (légalité externe) d’une part, et sur des moyens tenant au fond de la décision (légalité interne) d’autre part.

- Moyens de forme et de procédure

En ce qui concerne la forme et la procédure, les vices susceptibles d’entraîner l’annulation de la DUP sont variés : incompétence de l’auteur de l’acte, insuffisance du dossier d’enquête publique, différence substantielle entre le projet mis à l’enquête et la déclaration d’utilité publique, etc.

A titre d’exemple, au sujet d’un arrêté déclarant d’utilité publique au profit d’une commune des captages d’eau pour la consommation humaine et définissant les périmètres de protection à mettre en place autour des captages, le Tribunal administratif de Rennes a jugé que le dossier d’enquête publique avait minoré sensiblement l’indemnisation à prévoir pour les propriétaires et exploitants concernés, de sorte que l’estimation sommaire des dépenses – document composant le dossier d’enquête - « ne permettait pas de connaître de coût total réel du projet ». Le Tribunal en a conclut que le dossier soumis à l’enquête était irrégulièrement composé, ceci justifiant l’annulation de l’acte déclaratif d’utilité publique (TA Rennes, 14 décembre 2004, n° 004384).

Il faut souligner à ce stade que la DUP peut être annulée pour des vices qui lui sont propres mais aussi pour les vices des décisions qui lui sont antérieures et qui ont un lien direct avec elle : décision décidant la mise en œuvre de la procédure d’expropriation, décision d’ouverture de l’enquête publique... Le justiciable dispose ainsi d’une large palette d’arguments pour tenter d’obtenir l’annulation d’une DUP. Et il faut bien reconnaître que, dans ces conditions, il n’est pas toujours simple, pour l’administration, de sécuriser l’acte déclaratif d’utilité publique.

Le Tribunal administratif de Rennes a par exemple annulé, au cours de l’année 2006, une DUP au motif qu’était irrégulière la décision par laquelle l’expropriant avait décidé d’engager la procédure d’expropriation :

« …il ressort de l’examen des pièces du dossier que l’ordre du jour porté sur la convocation des membres du conseil municipal…, au cours de laquelle il a été décidé de demander au Préfet… l’ouverture d’une enquête d’utilité publique et d’une enquête parcellaire pour le projet de lotissement ne mentionnait pas que la mise en œuvre de la procédure d’expropriation y serait débattue ; que ladite question excédait, par sa nature et son importance, celles qui sont susceptibles de relever des "questions diverses" ; que l’irrégularité qui a, de ce fait, affecté la convocation des membres de l’assemblée communale a présenté un caractère substantiel de nature à entacher ladite délibération d’illégalité ; qu’il suit de là que l’arrêté attaqué… déclarant d’utilité publique le projet de réalisation du lotissement… a été pris sur une procédure irrégulière… » (TA Rennes, 11 avril 2006, n° 0200441).

Ceci étant précisé, y a-t-il un intérêt, pour le justiciable, à obtenir l’annulation d’une DUP pour un motif de forme ou de procédure ?

Une telle annulation constitue certainement, dans nombre de cas de figure, une victoire à la Pyrrhus dans la mesure où l’autorité compétente peut une seconde fois mettre en œuvre la procédure d’utilité publique en corrigeant l’irrégularité commise la première fois et sanctionnée par le Juge administratif.

Il n’en va toutefois pas toujours ainsi. D’une part, la décision d’annulation peut avoir, pour le maître d’ouvrage, notamment lorsque celui-ci est une collectivité locale, l’effet d’un coup fatal porté à une procédure qui, à un moment donné, dans un contexte particulier, avait été décidée mais qui, quelques mois voire quelques années plus tard, n’est plus nécessaire. Il suffit par exemple que des opérations électorales portent une équipe municipale à la tête d’une commune pour qu’un projet soit définitivement abandonné. D’autre part, dans l’hypothèse où l’expropriant déciderait de mettre à nouveau en œuvre la procédure d’expropriation, la décision d’annulation de la DUP peut avoir des conséquences sur la phase d’indemnisation des parcelles expropriées. En effet, cette indemnisation varie sensiblement selon que les terrains reçoivent ou non la qualification juridique de terrains à bâtir. Une telle qualification est appréciée à une date de référence qui, dans le droit commun de l’expropriation, est fixée un an avant l’ouverture de l’enquête publique précédant la DUP (article L. 13-15 du code de l’expropriation). Plus la date d’ouverture d’enquête publique est retardée, plus les chances d’obtenir la qualification juridique de terrains à bâtir seront importantes.

- Moyens de fond

Sur le fond, l’acte déclaratif d’utilité publique peut, comme un grand nombre d’actes administratifs, se voir opposer un certains nombres d’arguments « classiques » tels que : l’erreur de fait, l’erreur de droit, le détournement de pouvoir…

Ainsi, à titre d’exemple, la DUP portant sur l’acquisition de terrains nécessaires à la réalisation d’un programme d’aménagement est entachée d’illégalité dès lors que ce programme méconnaît la règle d’extension limitée de l’urbanisation (article L. 146-4 paragraphe II du code de l’urbanisme) en secteur littoral (CE, 27 février 1995, « Association de défense des quartiers de Fréjus, Fréjus-Plage, Villepey et Saint-Aygulf », n° 118644 et 126499).

Sur le fond, par ailleurs, l’acte déclaratif d’utilité publique présente la particularité d’offrir au justiciable la possibilité d’un contrôle, par le juge, de l’utilité publique. Ce contrôle est extrêmement poussé et consiste à vérifier, au cas pas cas, la réalité de l’utilité publique. Pour reprendre les termes du Professeur CHAPUS , on peut dire que l’appréciation qui est faite de la réalité de l’utilité publique repose sur trois questions :

- première question : le projet envisagé est-il, de façon concrète, justifié par un intérêt public ?
- deuxième question : le projet envisagé est-il nécessaire ? En matière d’expropriation, la question se pose notamment de savoir si l’expropriant ne dispose pas d’un terrain dont l’existence dispenserait d’exproprier ?
- troisième question : la réalisation de l’opération ne va-t-elle pas entraîner des inconvénients excessifs par rapport à l’utilité qu’elle présente ?

Cette troisième et dernière question renvoie à la théorie jurisprudentielle du « bilan coûts/avantages » selon laquelle une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs par rapport à l'intérêt qu'elle présente (CE Ass., 28 mai 1971, « Ville Nouvelle Est », p. 409).

L’annulation d’une DUP, au motif d’un défaut d’utilité publique, est difficile à obtenir.

De telles annulations sont prononcées, de temps en temps, pour des projets de petite ou moyenne envergure. La Cour administrative d’appel de Lyon a ainsi annulé, au terme d’un arrêt du 30 novembre 2006, l’arrêté déclarant d’utilité publique le projet d’une commune d’aménager une voie communale sur une distance de 980 mètres au motif que, « sans qu’il y ait lieu de rechercher si les atteintes à la propriété privée seraient excessives, le coût du projet » était « au regard du trafic attendu » et « de la capacité financière de la commune » excessif au regard du faible intérêt de l’opération. L’aménagement consistait à porter la largeur de la chaussée de 3,20 m à 5 m pour un coût de près d’un million de francs en juillet 2001. La Cour a notamment observé que le hameau desservi par cette route ne présentait pas des difficultés de desserte, que si le projet avait été conçu dans la perspective d’un parc d’attraction dans la suite de ce hameau, un tel projet n’en était qu’au stade des études de faisabilité… (CAA Lyon, 30 novembre 2006, n° 03LY00749).

En ce qui concerne les projets d’envergure nationale (autoroutes, aéroports, centrales nucléaires…), l’annulation de la DUP, pour défaut d’utilité publique, est extrêmement rare dans la mesure où, avant même leur examen, ces projets présentent un intérêt tel qu’il est présumé supérieur à leurs inconvénients. Récemment le Conseil d’Etat a encore validé le décret déclarant d’utilité publique les travaux de mise à 2 X 2 voies de la RN 27, considérant « que le projet… permet d'achever un itinéraire complet d'une voie classée dans le réseau routier national, qu'il relie les deux sites portuaires d'importance nationale de Rouen et Dieppe, qu'il assure une meilleure desserte des activités industrielles et touristiques, qu'il permet d'améliorer la sécurité et la fluidité du trafic et d'accroître ainsi les échanges entre la France et le Royaume-Uni ; que son coût, estimé au total, compte tenu de l'estimation des dépenses générées par les mesures compensatoires, à 95 millions d'euros pour 13 kilomètres et incluant un ouvrage d'art, le viaduc de la Scie, n'est pas excessif pour un trafic attendu de 25 000 véhicules par jour ; que le tracé de la route express ne passe par aucune zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique ; que, s'il n'est pas contesté que ce projet aura des incidences notamment sur les activités agricoles et le périmètre de protection du château d'Arques la Bataille, monument historique classé, les inconvénients de l'opération ne peuvent être regardés, compte tenu des mesures qui sont prévues pour les atténuer, comme excessifs par rapport à l'intérêt que présente l'opération » (CE, 13 juillet 2007, « Association de protection de la rentabilite de l'agriculture et de son environnement par rapport aux projets routiers de la zone de Dieppe Sud », n° 288752).

Toutefois, ces dernières années, deux décisions du Conseil d’Etat ont attiré l’attention en ce qu’elles viennent quelque peu contrarier cette tendance à valider systématiquement les projets d’envergure nationale. La première concerne l’autoroute Transchablaisienne (Annemasse-Thonon). Le Conseil d’Etat a considéré que l’importance du coût financier du tronçon contesté au regard du trafic attendu devait être regardé comme excédant l’intérêt de l’opération (CE, 28 mars 1997, « Association contre le projet d’autoroute transchablaisienne et autres », p. 120). La seconde concerne un projet de création d’un barrage dans le département de la Charente maritime, envisageant la création de deux plans d’eau de 850 ha, visant le stockage de 47,5 millions de m3 et impliquant la réalisation de nombreux ouvrages (digues, canal de dérivation…). Dans cette seconde affaire, c’est le coût financier mais aussi les atteintes à l’environnement qui ont été considérés comme excessifs.

Si l’annulation d’une DUP sur le fond et notamment sur le motif pris de l’absence d’utilité publique est difficile à obtenir pour un justiciable, les conséquences qui en résultent sont en revanche très importantes. Dès lors que l’utilité publique du projet est écartée par les juridictions administratives, le maître d’ouvrage du projet n’a d’autre solution que de l’abandonner.
Dans ce cas, l’annulation de la DUP conduit à la remise en cause définitive de la procédure d’utilité publique. Le contentieux de la DUP présente alors évidemment un réel intérêt pour le justiciable, sous la condition bien entendu que ce justiciable mette en œuvre les procédures adéquates pour faire valoir ses droits.


[2] La mise en œuvre des procédures permettant au justiciable de retrouver son bien

L’annulation de la DUP serait vaine si le justiciable ne peut pas tirer toutes les conséquences d’une telle annulation. Souvent, en matière d’expropriation, l’annulation de la DUP intervient une fois que l’ordonnance d’expropriation prononçant le transfert de propriété est prise, que l’indemnité d’expropriation a été fixée par le Juge et que la prise de possession du bien par l’autorité expropriante est effective.

Pendant de nombreuses années, l’annulation de la DUP par les juridictions administratives était dépourvue d’effet sur la validité du transfert de propriété dès lors que l’ordonnance d’expropriation était devenue définitive, soit que celle-ci n’ait pas été contestée soit que ce recours ait été rejeté. Le dualisme juridictionnel conduisait à entériner le fait qu’une situation puisse être considérée comme illégale. Beaucoup ont dénoncé un déni de justice.

Deux moyens ont été offerts au justiciable pour améliorer sa situation dans ce cas de figure.

La possibilité de faire constater que l’ordonnance d’expropriation est dépourvue de base légale

Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, le législateur français est venu modifier les dispositions du code de l’expropriation afin d’offrir au justiciable ayant obtenu l’annulation d’une DUP la possibilité de remettre en cause l’ordonnance d’expropriation devenue définitive, qui est intervenue sur la base de cette DUP.

L’article 4 de la loi du 2 février 1995 codifié à l’article L. 12-5 alinéa 2 du code de l’expropriation dispose ainsi que :

« En cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale ».

Il a fallu attendre dix années pour que le décret d’application de cette disposition intervienne. Il s’agit du décret du 13 mai 2005 pris en son article 24, codifié aux articles R. 12-5-1 à R. 12-5-6 du code de l’expropriation.

Désormais, selon l’article R. 12-5-1 du code de l’expropriation :

« Dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 12-5, l'exproprié qui entend faire constater par le juge le manque de base légale de l'ordonnance portant transfert de sa propriété transmet au greffe de la juridiction qui a prononcé l'expropriation, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du juge administratif annulant la déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité, un dossier qui comprend les copies :
1º De la décision d'annulation de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité ;
2º De l'ordonnance d'expropriation ;
3º Le cas échéant, de la convention ou de la décision fixant les indemnités d'expropriation ;
4º D'un certificat de non-recours contre la décision fixant les indemnités d'expropriation.
Le dossier peut comprendre, en outre, tous autres documents ou pièces que le demandeur estime utiles ».

Ces dispositions améliorent sensiblement la situation du justiciable qui obtient l’annulation de la DUP alors que le transfert de propriété a été opéré et est devenu définitif.

Elle ne règle toutefois pas toutes les difficultés et notamment les cas de figure dans lesquels l’annulation de la DUP intervient non seulement lorsque le transfert de propriété a été opéré et est devenu définitif mais aussi lorsque le bien exproprié a été utilisé par l’expropriant conformément à l’objet de la DUP. Bien souvent, dans ces hypothèses, des travaux publics auront été réalisés sur ce bien, des ouvrages publics y auront été implantés. Il sera alors très difficile pour l’exproprié de retrouver sa propriété dans l’état dans lequel il l’avait laissée.

Ceci pose la question de savoir si le justiciable dispose d’une procédure qui permettrait d’obtenir, dans de brefs délais et en toute hypothèse avant que l’expropriant prenne possession des biens et commence à y réaliser des travaux, la paralysie des effets de la DUP.

La possibilité restreinte d’obtenir la suspension de l’exécution de la DUP

Devant les juridictions administratives, pendant longtemps, a existé la procédure dite du sursis à exécution. Elle permettait à un justiciable, en cas de « préjudice difficilement réparable » et si un moyen sérieux était avancé à l’encontre d’un acte administratif, d’obtenir précisément le sursis à exécution de cet acte.

En matière de DUP, cette procédure n’a jamais permis de paralyser, en amont, la procédure d’utilité publique. Considérant que la DUP autorise uniquement le transfert de propriété et non l’exécution des travaux, le juge considérait que son exécution ne faisait pas en elle-même peser sur le justiciable de préjudice difficilement réparable. Et lorsque l’ordonnance d’expropriation était devenue définitive, le juge considérait que le sursis à exécution de la DUP ne pouvait de toute façon plus avoir d’effet sur la validité du transfert de propriété. La DUP avait produit tous ses effets. Il était en quelque sorte trop tard pour prévenir le préjudice difficilement réparable.

La situation a évolué sous l’influence de deux éléments.

- En premier lieu, comme il a été dit, la possibilité a été donnée à l’exproprié, en 1995, de faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale lorsque l'annulation de la DUP a été prononcée par une décision définitive du juge administratif.

- En second lieu, au cours de l’année 2000, la réforme des procédures d’urgence a substitué à la procédure de sursis à exécution la procédure de référé suspension. Le justiciable qui désormais souhaite obtenir la suspension de l’exécution d’un acte administratif doit établir qu’un doute sérieux pèse sur la légalité de cet acte et que cette suspension présente un caractère d’urgence. La condition d’urgence a remplacé en quelque sorte la condition de « préjudice difficilement réparable ». Désormais, le justiciable doit établir que la décision qu’il conteste, la DUP par exemple, porte une atteinte grave et immédiate à sa situation ou à la situation qu’il entend défendre. L’urgence est appréciée par le juge de manière très concrète, en fonction des intérêts du requérant mais aussi de l’intérêt général.

Il semble que le Juge administratif des référés soit, depuis quelques années, de plus en plus sensible à l’admission des demandes de suspension dirigée contre des décisions de DUP.

Ceci peut être le cas lorsqu’une DUP a été prise et que le justiciable forme sa demande de suspension d’exécution pour prévenir l’exécution imminente des travaux.

Au terme d’un arrêt du 3 mai 2004, le Conseil d’Etat a considéré « qu'en jugeant que la condition d'urgence posée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative était remplie au motif que les travaux déclarés d'utilité publique, qui venaient de débuter, emportaient des conséquences difficilement réversibles, le juge des référés s'est livré à une appréciation souveraine des faits sans les dénaturer ni commettre d'erreur de droit » (CE, 3 mai 2004, « Département de la Dordogne », n° 263363).

Il y a lieu d’ajouter que si l'acte déclarant l'utilité publique fait l'objet d'une suspension dans le cadre d'une procédure de référé, le préfet doit, dès qu'il a reçu notification de la suspension, en informer le juge de l'expropriation. Celui-ci doit surseoir au prononcé de l'ordonnance d'expropriation dans l'attente de la décision de la juridiction administrative sur le fond de la demande (article R. 12-2-1 du code de l’expropriation).

La prudence doit tout de même rester de mise en la matière car le juge des référés accueille de manière très restrictive ce type de demande de suspension. D’une part, il appréciera l’urgence très concrètement, en fonction de la situation du requérant mais aussi en fonction de l’intérêt général. D’autre part, il regardera si la procédure d’expropriation en est à un stade où les effets de la DUP peuvent conduire effectivement à ce que la situation du requérant soit gravement altérée. Si la DUP vient d’être prise et que la procédure de cessibilité est en cours, le juge des référés ne pourra pas considérer que la condition d’urgence est satisfaite. Liens- Déclaration d'utilité publique.

- Les enquêtes publiques préalables à la déclaration d'utilité publique.

- Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

ROUHAUD Jean-François
Avocat Associé
LEXCAP RENNES
RENNES (35)
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