Legs en usufruit consenti à un concubin ou à un partenaire de pacte civil de solidarité (PACS) en présence d'enfant réservataire
Publié le :
20/03/2023
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2023
Il est de pratique courante pour assurer la protection de son partenaire pacsé ou de son concubin en cas de décès d’établir un testament léguant l’usufruit d’un appartement ou d’un maison dont seul le testateur est propriétaire et qui constitue la plupart du temps le logement du couple : cela permet au compagnon survivant de conserver gratuitement son lieu de vie jusqu’à son décès mais au disposant de transmettre son patrimoine immobilier en nue-propriété à son (ses) enfant généralement issu(s) d’une autre union.Un des autres arguments notables mis en avant est que le bénéficiaire du legs en usufruit en application de l'article 796-0 bis du Code général des impôts, en tant que partenaire lié au défunt par un pacte civil de solidarité est exonéré de droits de mutation par décès.
Cette disposition fiscale ne s’applique pas cependant au concubin.
Bien souvent l’actif successoral est constitué de quelques liquidités et d’un immeuble, celui affecté par l’usufruit.
Ce legs d’usufruit peut s’avérer totalement problématique pour les enfants issus d’une autre union qui ont la qualité d’héritiers réservataires et sont redevables la plupart du temps à ce titre de droits de succession.
Il leur est parfois impossible, faute de liquidités suffisantes à la succession, de régler ces droits.
Et puis dans certains cas l’âge respectif de chacune des parties rend totalement incertain le moment où enfin l’usufruit va s’éteindre ….
Quelle est en ce cas la solution envisageable pour eux ?
Premier point à vérifier : leur réserve est-elle atteinte ?
Les Notaires en charge de la succession commettent souvent l’erreur d’appliquer la méthode consistant à valoriser l’usufruit par le biais d’une simple évaluation du droit démembré selon le barème fiscal, une telle solution ne permet pas alors à l’héritier réservataire, de bénéficier de «l’intangibilité» de sa réserve héréditaire : la valeur de l’usufruit légué, évaluée par le Notaire en pourcentage de la valeur de la pleine propriété du bien au vu de l’âge de l’usufruitier , se trouve souvent inférieure à la valeur de la quotité disponible.L’enfant se croit donc devant le fait accompli alors qu’il a le droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve.
Il est en effet de jurisprudence constante qu’il résulte de l'article 913 du Code civil, qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi.
Ainsi la Cour de cassation, a jugé :
« Dès lors, viole ce texte, la cour d'appel qui rejette une action en réduction d'un legs en usufruit, ayant pour effet de priver l'héritier réservataire du droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve.
Cass. Chambre civile 1, 19 mars 1991, 89-17.094, Publié au bulletin
La méthode de calcul en assiette pour vérifier l’atteinte à la réserve :
Cette jurisprudence a été reprise en son principe en 2022 par la Cour de cassation mais la Haute Cour a donné des précisions sur le mode de calcul de la réserve par imputation d’un legs en usufruit qui doit être faite non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette.La Cour de cassation en son arrêt du 22 juin 2022 décide ainsi :
« Vu les articles 913 et 919-2 du code civil :
Il résulte du premier de ces textes qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi.
Aux termes du second, la libéralité faite hors part successorale s'impute sur la quotité disponible. L'excédent est sujet à réduction. Il s'en déduit que les libéralités faites en usufruit s'imputent en assiette.
Pour rejeter la demande en réduction du legs formée par Mme [E] [U], l'arrêt retient que la valeur de l'usufruit du bien immobilier légué à Mme [V], estimé à soixante pour cent de sa valeur en pleine propriété, est inférieure au montant de la quotité disponible.
En statuant ainsi, alors que l'atteinte à la réserve devait s'apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
(Cour de cassation 22 juin 2022 n° 20-23.215 Première chambre civile Publié au Bulletin)
Cet arrêt a été largement commenté et la solution était préconisée depuis longtemps par la doctrine.
Mais ….
Réduction en valeur :
Une fois le calcul en assiette effectué, s‘il s’avère que le legs est excessif, parce qu'il empiète sur l'usufruit de la réserve de l’enfant réservataire, cette fraction du patrimoine successoral ne peut pas être attribuée par libéralité au partenaire non marié du défunt, il faut dès lors procéder à une réduction en valeur du legs en usufruit.On aboutit alors à déterminer une indemnité de réduction au profit de l’enfant héritier réservataire.
La réduction se fait en valeur.
Le partenaire ou concubin pourra exercer son droit d’usufruit sur l’intégralité du bien légué en usufruit mais il devra verser à l’héritier réservataire une indemnité de réduction correspondant à la fraction réductible de son legs.
Si le légataire ne peut verser l’indemnité de réduction :
La solution peut encore n’être pas satisfaisante pour l’enfant si le partenaire n’a pas les moyens financiers de régler et …qu’il est jeune et bien portant !S’offre alors à lui l’option de l’article 917 du Code Civil :
Si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d'un usufruit ou d'une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l'option, ou d'exécuter cette disposition, ou de faire l'abandon de la propriété de la quotité disponible.
L’option de l’article 917 n’est soumise à aucune condition de forme.
Elle n’est enfermée dans aucun délai.
A condition que le legs soit exclusivement en usufruit, cette option peut être choisie par l’enfant et exercée si aucun accord amiable n’est possible
Sachant qu’il n’obtiendra jamais le versement de l’indemnité de réduction par le bénéficiaire du legs, l’enfant héritier réservataire qui ne veut ou ne peut attendre le décès du légataire peut dès lors décider qu’il n’entend pas au vu des faits de l’espèce exécuter le legs en usufruit et il peut choisir de faire abandon de la propriété de la quotité disponible.
L’existence d’une indivision :
Ressort qu’au vu de l’option exercée par l’héritier réservataire en application des dispositions de l’article 917 du Code civil que les parties se trouvent alors en situation d’indivision dans le cadre de la succession de sorte que la demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage peut être formée au visa de l’article 815 du Code civil et de l’impossibilité pour les parties d’accéder à un partage amiable.L’héritier réservataire peut donc engager une action en partage judiciaire et demander au Tribunal à voir ordonner la cessation de l’indivision existante.
Si le bien immobilier n’est pas partageable en nature et qu’aucun des indivisaires ne peut financièrement verser une soulte lui permettant de se faire attribuer la pleine propriété du bien, il peut être demandé la vente sur LICITATION par devant le Tribunal judiciaire.
Le prix de vente pourra alors être partagé par le Notaire entre l’héritier réservataire (sa réserve) et le légataire (la quotité disponible).
Cette solution doit être envisagée au vu des éléments du dossier, notamment patrimoniaux, et également de l’âge des parties et leur situation de fortune, et après avoir tenté un accord amiable.
Il est vivement conseillé que chacune des parties soit assistée par un avocat spécialiste en droit patrimonial des successions.
Attention, cet article ne vaut que pour les legs au concubin ou au partenaire pacsé, il ne peut s’appliquer dans le cas d’un conjoint survivant marié.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
VINCENT-ALQUIE Marie-Christine
Avocate
ALQUIE - membre du GIE AVA , Membres du conseil d'administration, Invités permanents : anciens présidents
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