L'obligation de sécurité du salarié dans l'entreprise

L'obligation de sécurité du salarié dans l'entreprise

Publié le : 20/09/2010 20 septembre sept. 09 2010

Le salarié engage sa responsabilité en cas de manquement à son obligation générale de sécurité et cette sanction peut aller jusqu'au licenciement pour faute grave, avec toutes conséquences pécuniaires et privations d'indemnités en découlant.

Entreprise: l'obligation de sécurité du salarié rappelée par la Cour de cassation


La protection de la santé et de la sécurité au sein de l'entreprise est souvent considérée, à tort, comme une obligation mise à la seule charge de l'employeur. Il est vrai que de nombreux arrêts rendus par la Cour de cassation rappellent à l'employeur la lourde responsabilité qui est la sienne dans ce domaine.

Le harcèlement moral au travail en est un exemple particulièrement significatif. Ainsi, depuis un arrêt de principe en date du 21 juin 2006 ( Cass. Soc. 21 juin 2006, n°05-43.914, JCP S 2006, 1466), il est acquis que l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise. Cette solution a d'ailleurs été confirmée récemment dans deux arrêts du 3 février 2010 (Cass. Soc., 3 février 2010, n°08-40,144; n°08-44,019).

Mais s'il ne fait pas de doute que tout employeur doit mettre en œuvre un certain nombre de mesures visant à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (l'article L. 4121-2 du Code du travail impose à l'employeur de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels tandis que l'article L. 4141-2 prévoit à sa charge des actions d'information et de formation), il n'en demeure pas moins que tout travailleur doit prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Telle est d'ailleurs la lettre de l'article L 4122-1 du code du travail. Notons cependant que cette obligation à la charge du salarié est sans incidence sur le principe de la responsabilité de l'employeur, lequel ne peut donc s'exonérer de sa propre responsabilité en soulignant le manquement du salarié à son obligation de sécurité.

Dans un arrêt en date du 23 juin 2010 (Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-41.607, F-P+B, SAS Frans Bonhomme c/ Launay : JurisData n° 2010-010037), la Cour de cassation juge qu'est justifié le licenciement pour faute grave d'un salarié, titulaire d'une délégation de pouvoirs en vue d'appliquer et faire appliquer les prescriptions en matière d'hygiène et de sécurité, qui s'était borné à s'enquérir du coût des réparations d'une mezzanine, sur laquelle étaient entreposées des marchandises et où circulaient des salariés, qui présentait d'importants problèmes de stabilité et nécessitait impérativement la mise en place d'éléments pour la stabiliser, sans prendre aucune mesure pour prévenir un accident ni faire procéder aux réparations qui s'imposaient, ce dont il résultait qu'il avait commis un manquement grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

L'intérêt de cet arrêt est de nous rappeler que le salarié engage sa responsabilité en cas de manquement à son obligation générale de sécurité et que cette sanction peut aller jusqu'au licenciement pour faute grave, avec toutes conséquences pécuniaires et privations d'indemnités en découlant. Divers arrêts antérieurs s'inscrivent dans cette même logique. Pour simples exemples,ont été considérés comme justifiés les licenciements du conducteur d'un engin de chantier présentant un état d'ébriété avancé incompatible avec ses fonctions (Cass. Soc., 22 mai 2002, n°99-45,878) ou d'un directeur technique qui ne procèdait pas à l'enlèvement de matières dangereuses, à la fermeture d'armoires électriques ou au dégagement des issues de secours malgré les remarques de son employeur (Cass. Soc. 30 septembre 2005, n°04-40.625).

Conformément à la directive européenne du 12 juin 1989 et la loi du 31 décembre 1991, la Cour de cassation s'attache à vérifier que la sécurité au sein de l'entreprise est une préoccupation de tous, donne lieu à une « participation équilibrée » et donc à une responsabilité partagée.



L'arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2010:

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 23 juin 2010
N° de pourvoi: 09-41607
Publié au bulletin Cassation partielle

Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président
M. Frouin, conseiller rapporteur
M. Lacan, avocat général
SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat(s)


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 4122-1, L. 1232-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que M. X..., engagé le 21 février 2000 par la société Frans Bonhomme en qualité de chef magasinier, a été promu chef du magasin de Montauban, le 21 décembre 2001 ; que dans le cadre de ses nouvelles fonctions, une délégation de pouvoir lui a été donnée à l'effet de prendre toutes mesures et toutes décisions en vue d'appliquer et de faire appliquer les prescriptions d'hygiène et de sécurité pour le personnel et les tiers dans le dépôt ; qu'il a fait l'objet d'un avertissement, le 4 octobre 2002 aux motifs que l'issue de secours était obstruée par des marchandises et que le dispositif de sécurité du portillon était hors d'usage ; qu'il a été licencié pour faute grave, le 21 janvier 2004, dans les termes suivants : "Lors de sa prise de fonction, votre chef d'agence a constaté que la mezzanine -montée depuis 2002 au dépôt de Montauban- présentait une oscillation suspectée dangereuse pour les salariés appelés à évoluer sur ou sous cette mezzanine, et ce, probablement depuis plusieurs mois. Non seulement vous n'avez pas pris en temps utile les mesures de sécurité élémentaires pour éviter tout risque d'accident -comme interdire l'accès de cette mezzanine au personnel et en retirer les marchandises si besoin était- mais vous n'avez ni tenu informé votre hiérarchie de cette situation de risque, ni fait procéder aux travaux nécessaires pour la sécuriser" ; que M. X... a saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité de l'avertissement et le bien-fondé du licenciement et pour demander le paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la mesure de licenciement fait suite à un message du chef d'agence en date du 19 janvier 2004 adressé à la direction régionale faisant état d'une non fixation de la mezzanine à des points fixes de nature à supprimer les phénomènes de flambage, l'absence d'haubanages de celle-ci, le tout provoquant une oscillation douteuse lors des déplacements des magasiniers sur son plancher non fixé, que le chef d'agence ajoute qu'à aucun moment une quelconque mesure palliative n'a été prise par la personne en charge du dépôt, M. X..., que la société Frans Bonhomme produit un compte rendu de visite du fabricant de la mezzanine en date du même jour faisant état "d'importants problèmes de stabilité" sur cette structure récupérée du site de Perpignan et annonçant une offre pour rétablir la stabilité de cet élément, que le représentant du fabricant avait transmis à M. X... un fax le 1er décembre 2003 énonçant "Suite à notre visite de votre installation, nous vous signalons que la mise en conformité de votre plate-forme nécessite impérativement la mise en place d'éléments de stabilité, à savoir deux croisillons raidisseurs", que le document chiffre la fourniture de ces éléments à la somme hors taxes de 180 euros, qu'il ressort de ces éléments que M. X... n'avait pas négligé la difficulté constatée, mais avait au contraire pris l'initiative de contacter le fabricant de la mezzanine pour obtenir un devis pour la mise en conformité de la stabilité de celle-ci, que, d'autre part, la nature et la modicité de l'intervention préconisée font naître un doute sérieux sur le niveau de danger invoqué par l'employeur pour procéder au licenciement du salarié, que dans ces conditions le licenciement n'est justifié ni par une faute grave ni par une cause réelle et sérieuse ;

Attendu, cependant, que selon l'article L. 4122-1 du code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ;
Qu'en statuant comme elle a fait par des motifs inopérants, alors qu'il résultait de ses constatations qu'une mezzanine sur laquelle étaient entreposées des marchandises et où circulaient des salariés présentait d'importants problèmes de stabilité et nécessitait impérativement la mise en place d'éléments pour la stabiliser et que le salarié, titulaire d'une délégation de pouvoirs en vue d'appliquer et faire appliquer les prescriptions en matière d'hygiène et de sécurité, s'était borné à s'enquérir du coût des réparations sans prendre aucune mesure pour prévenir un accident ni faire procéder aux réparations qui s'imposaient, ce dont il résultait qu'il avait commis un manquement grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société au paiement de sommes à titre d'indemnités de rupture et à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 13 février 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille dix.

INGELAERE-LEBORGNE Céline







Cet article n'engage que son auteur.

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