Quelques rappels utiles sur la notion de troubles anormaux du voisinage
Publié le :
02/08/2022
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Par définition, l'action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble, qui en est responsable de plein droit.L’arrêt n° 18-23.954 qui a été rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 16 mars 2022 a permis à la Haute juridiction de rappeler que la responsabilité des troubles anormaux du voisinage est imputable au propriétaire de l’immeuble qui est à l’origine du trouble.
En l’espèce, l’usufruitière d’un pavillon avait déclaré à son assureur un sinistre « dégâts des eaux », avant d’assigner sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage les propriétaires actuels du pavillon voisin, ainsi que leurs prédécesseurs, en réalisation des travaux rendus nécessaires par les infiltrations et en paiement de dommages-intérêts.
Les juges d’appel avaient alors :
- D’une part, déclaré les propriétaires actuels responsables sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage dans la proportion de 60 % des désordres affectant le pavillon de la demanderesse ;
- D’autre part, rejeté les demandes adressées par les propriétaires actuels contre leur assureur, au motif que « le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage, en l’espèce les fuites sur le réseau des canalisations enterrées de la propriété de M. et Mme F, dont l’origine remonte à 1997 et 2005, soit antérieurement au 25 janvier 2007, date de prise d’effet de l’assurance multirisques habitation » ;
- Enfin, considéré que les conditions générales du contrat d’assurance ne couvrent pas les dommages provenant d’une canalisation enterrée chez l’assuré, qu’il s’agit là d’une clause de non-garantie, laquelle n’a pas à répondre au formalisme édicté par l’article L. 112-4 du Code des assurances.
Ces trois points ont fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
En premier lieu, s’agissant de l’imputation des troubles anormaux du voisinage aux propriétaires actuels, ces derniers ont soutenus « que le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l’immeuble vendu avant la cession ; qu’en imputant aux seuls acquéreurs la responsabilité d’un trouble anormal de voisinage dont la cour d’appel relevait elle-même qu’il trouvait sa cause dans des conduites fuyardes, dont les premiers désordres « remontaient à 1997 et 2005 », à une époque où les consorts G étaient propriétaires du bien en sorte qu’ils devaient nécessairement assumer une part du dommage ainsi causé, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
La Cour de cassation a toutefois considéré que ce moyen n’était pas fondé et a affirmé, dans un attendu de principe, que l’« action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit ».
Elle en a alors conclu que la responsabilité des propriétaires actuels devait être retenue sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, le fait qu’ils n’aient pas été propriétaires du fonds au moment où les infiltrations avaient commencé à se produire, étant dès lors sans incidence.
En second lieu, les propriétaires actuels ont reproché aux juges du fond d’avoir rejeté la demande de garantie dirigée contre leur assureur, alors que selon eux « la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres survenus entre la prise d’effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d’expiration ».
Or, « en l’espèce, la cause génératrice du dommage résidait dans un événement continu puisqu’elle était constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui s’étaient poursuivies après la vente survenue en 2007 », et donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires, de sorte que la cour d’appel aurait ainsi violé les dispositions de l’article L. 124-5 du Code des assurances.
Sensible à cette argumentation, la Cour de cassation a cassé la décision des juges d’appel pour violation de la loi.
Visant l’article L. 124-5 du Code des assurances, la Cour de cassation souligne que, « selon ce texte, la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation », et que « dans les assurances “dégâts des eaux”, l’assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance ».
En troisième lieu, les propriétaires actuels faisaient grief à la cour d’appel d’avoir rejeté leurs demandes contre leur assureur alors que, « pour être valables, les clauses d’exclusion de garantie insérées dans une police d’assurance doivent être formelles et limitées ; qu’en l’espèce, d’une part, les conditions particulières du contrat d’assurance stipulaient que l’assureur garantissait la réparation pécuniaire des dommages causés par les “dégâts des eaux”, tandis que les conditions générales ajoutaient, d’autre part, qu’étaient expressément garantis les dégâts des eaux provenant de “conduites non enterrées”, tandis que, enfin, les exclusions ne mentionnaient pas expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, de telle manière que ces dernières ne faisaient l’objet que d’une exclusion indirecte », de sorte que la cour d’appel aurait ainsi violé les dispositions des articles L. 113-1 et L. 112-4 du Code des assurances (pt 15).
En commençant par rappeler qu’en vertu de l’article L. 112-4 du Code des assurances, « les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents », la Cour de cassation a souligné qu’elles doivent, en outre, être « formelles et limitées » aux termes de l’article L. 113-1 ».
Elle en déduit alors que « La cour d’appel a donc privé sa décision de base légale en ne recherchant pas, comme il le lui était demandé, si les exclusions de garantie mentionnaient expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, à défaut de quoi ceux-ci faisaient l’objet d’une exclusion indirecte ».
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteurs
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
Karen VIEIRA
Historique
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