
Pas d'indemnisation du préjudice moral en cas d'expropriation
Publié le :
17/02/2011
17
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2011
Par arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de Cassation a entendu saisir le Conseil Constitutionnel d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit de l'Art. L 13-13 du code de l'expropriation.
Conseil Constitutionnel, 21 janvier 2011, n°2010-87
L'article L 13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que les indemnités d'expropriation allouées "doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation".
La réparation du préjudice moral, par définition immatériel, apparaît en conséquence expressément écartée par le texte.
Elle l'est également par le Juge au regard d'une jurisprudence constante :
"Mais attendu que l'arrêt attaqué énonce exactement que la valeur du bien exproprié doit être fixée sans qu'il puisse être tenu compte du préjudice moral subi par le propriétaire du fait de l'expropriation, et en déduit que la situation personnelle de W...ne peut avoir aucune incidence sur l'évaluation". (Cassation 3ème civile 17 octobre 1972 société berrichonne d'économie mixte, d'équipement et d'aménagement du Cher n° pourvoi 71-70 212).
Or, par arrêt n° 1348 du 21 octobre 2010, la troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation a entendu saisir le Conseil Constitutionnel, dans les conditions prévues à l'Art.61-1 de la constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité et relative à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit de l'Art. L 13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (Cour de Cassation 3ème Civile 21 octobre 2010 n° pourvoi 10 - 40038).
Dans sa décision du. 21 janvier 2011, le Conseil Constitutionnel a reconnu la conformité de la constitution de l'Art .L 13-13 précité du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique :
"1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique les indemnités allouées à raison d'une expropriation pour cause d'utilité publique « doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en excluant la réparation du préjudice moral résultant de l'expropriation, cette disposition méconnaît l'exigence d'une juste indemnisation du bien exproprié ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique a été légalement constatée ; que la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ; que, pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ; qu'en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnité, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée ;
4. Considérant que l'article L. 13-13 précité met en oeuvre le droit à la réparation intégrale du préjudice matériel subi du fait de l'expropriation ; qu'à ce titre, le caractère intégral de la réparation matérielle implique que l'indemnisation prenne en compte non seulement la valeur vénale du bien exproprié mais aussi les conséquences matérielles dommageables qui sont en relation directe avec l'expropriation ;
5. Considérant qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose que la collectivité expropriante, poursuivant un but d'utilité publique, soit tenue de réparer la douleur morale éprouvée par le propriétaire à raison de la perte des biens expropriés ; que, par suite, l'exclusion de la réparation du préjudice moral ne méconnaît pas la règle du caractère juste de l'indemnisation de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la disposition contestée n'est pas contraire à l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'elle n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, …"
Rappelant ici les dispositions de l'Art. 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la poursuite par la collectivité expropriante d'un but d'utilité publique entraînant la mise en oeuvre au regard de l'Art. L 13-13 du code de l'expropriation d'une réparation des conséquences matérielles dommageables qui sont en relation directe avec l'expropriation, le Conseil Constitutionnel entend considérer que l'exclusion de la réparation du préjudice moral ne méconnaît pas la règle du caractère juste de l'indemnisation de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
En d'autres termes, dès l'instant où l'expropriation apparaît justifiée dans son fondement, et par conséquent également admise, elle ne peut donner lieu à indemnisation qu'eu égard à la privation de propriété. Reste que cette imite ne concerne que la juridiction d'expropriation statuant afin de fixation de l'indemnité d'expropriation et ne saurait aloir tant pour le juge judiciaire intervenant à titre d'exemple dans le cadre d'une voie de fait en dehors de la procédure d'expropriation ou bien encore du Juge administratif saisi dans le cadre d'un recours de plein contentieux, c'est-à dire d'un recours en responsabilité s'agissant le cas échéant d'une opération d'expropriation reconnue illégale après annulation d'une déclaration d'utilité publique. Au surplus, la Cour de Cassation n'écarte pas totalement la compétence du juge de l'expropriation afin de réparation du préjudice moral dans une circonstance bien spécifique.
La Cour de Cassation rappelle en effet, que le Juge de l'expropriation saisi par l'exproprié et après annulation définitive par le Juge administratif d'une déclaration d'utilité publique ou d'un arrêté de cessibilité peut non seulement constater que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale, mais également déterminer les indemnités à restituer à l'expropriant et statuer sur la demande de l'exproprié en réparation du préjudice subi par l'opération irrégulière mais également en restitution du bien.
Dans ce cadre, la Cour de Cassation précise que l'exproprié est en mesure de demander la "réparation des préjudices, de quelque nature qu'ils soient causés par l'expropriation irrégulière" (3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation 16 décembre 2009 n° pourvoi 08 - 14932).
En conséquence, et dans ce cadre, l'hypothèse d'une réparation du préjudice moral n'apparaît pas écartée.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Catherine CLAVERY - Fotolia.com
Auteur

Jean-Philippe RUFFIE
Avocat Associé
Cabinet LEXIA
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