Précisions sur le régime juridique des biens de retour
Publié le :
18/03/2013
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Le CE a apporté des précisions sur le régime juridique des biens réalisés dans le cadre des délégations de service public et des concessions de travaux publics permettant de concilier liberté contractuelle et impératifs liés au service public.
La propriété des biens pendant l'exécution du contratRappelons que dans le cadre d’une délégation de service public, les biens sont traditionnellement qualifiés soit de biens de retour, soit de biens de reprise soit, enfin, de biens propres. Les premiers sont ceux qui sont indispensables ou nécessaires au fonctionnement du service public. Ils sont considérés comme appartenant dès l’origine à la personne publique même s’ils ont été financés et réalisés par le délégataire. La personne publique acquiert nécessairement la possession de ces biens à l’expiration de la convention. Les biens de reprise sont ceux qui sont uniquement utiles au service public. Ils appartiennent au délégataire et peuvent faire l’objet d’une «reprise» par la personne publique, généralement à leur valeur vénale et sans que le concessionnaire ne puisse s’y opposer. Enfin, les biens propres sont ceux que le délégataire utilise pour l’exercice de son activité mais qui ne sont pas considérés comme étant affectés au service public ou même nécessaires à ce service. Ils restent la propriété du délégataire en fin de contrat.
Une incertitude existait jusqu’alors sur la marge de manœuvre dont disposaient les parties dans la qualification contractuelle des biens. Plus précisément, la question se posait notamment de savoir si un bien nécessaire au fonctionnement du service public pouvait faire l’objet d’une appropriation privative et être ainsi soumis au régime des biens de reprise. Une telle question n’est pas purement théorique puisque, admettre la propriété du délégataire sur un bien indispensable au fonctionnement du service public facilite les conditions de financement de ces biens en permettant la constitution de sûretés réelles. En outre, reconnaître aux parties une certaine liberté en la matière pourrait les conduire à soumettre un bien à un régime peu compatible avec la continuité du service public. Par l’arrêt Commune de Douai, le Conseil d’Etat vient éclaircir ces différents points. Tout d’abord, le Conseil d’Etat précise que, « dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ». Le Conseil d’Etat reconnaît ainsi aux parties la faculté de prévoir dans la convention une appropriation privative des biens dits de retour. Toutefois, la Haute Assemblée rappelle ensuite que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique et qui sont nécessaires au fonctionnement du service public relèvent nécessairement du régime de la domanialité publique (CGPPP, art. L 2111-1). Par suite, les droits du délégataire sur ces biens ne peuvent s’exercer que « selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 2122-6 à L. 2122-14 du CGPPP ou aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du CGCT », c’est-à-dire dans le cadre des dispositifs autorisant la constitution de droits réels sur le domaine public, à savoir, le bail emphytéotique administratif ou l’autorisation d’occupation temporaire constitutive de droits réels. Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme l’avis rendu par la Section des Travaux publics du 19 avril 2005[1] qui, tout en rappelant l’impossibilité d’une appropriation privative des biens édifiés sur le domaine public répondant au fonctionnement du service public, réservait la mise en œuvre du BEA. Une telle solution est, somme toute, logique puisque reconnaître que le délégataire ou le concessionnaire puisse être, en dehors des cas prévus par la loi, propriétaire des biens nécessaires au service public et édifiés sur le domaine public, aurait vidé de son sens les exceptions prévues par le législateur. S’agissant des biens qui, même nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas édifiés sur le domaine public, le contrat peut donc prévoir qu’ils sont la propriété du délégataire ou du concessionnaire, ou qu’il dispose de droits réels sur ces biens, sous réserve dans ce cas, que le contrat comporte « les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de délégation, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée ». Ainsi, le Conseil d’Etat réaffirme-t-il le principe de l’appartenance des biens de retour à la personne publique tout en ouvrant la possibilité pour les parties de prévoir une appropriation privative temporaire des biens mobiliers ou immobiliers nécessaires au service public, ce droit ne pouvant toutefois s’exercer que dans le cadre défini par le législateur s’agissant des biens immeubles édifiés sur le domaine public. Une telle solution, tout en redonnant sa place à la liberté contractuelle, favorise incontestablement le recours aux techniques de financement bancaire des biens de retour en autorisant la mise en œuvre de sûretés telles que l’hypothèque ou le crédit-bail. Les parties peuvent, par ailleurs, prévoir la reprise par le cocontractant des biens qui ne sont plus nécessaires au service public à l’expiration de la convention ou la reprise par la personne publique des biens appartenant au délégataire qui ne sont pas nécessaires au fonctionnement du service. Le sort des biens à l’expiration de la convention Si le Conseil d’Etat laisse aux parties la possibilité de prévoir que l’opérateur est propriétaire des biens de retour en cours d’exécution du contrat (dans le respect des règles applicables aux biens du domaine public), il réaffirme et consacre le principe selon lequel les biens nécessaires au service public font retour gratuitement à la personne publique à la fin de la convention. Ainsi, s’agissant des biens de retour établis sur le domaine public, ils font nécessairement retour à la personne publique en fin de délégation en application soit de la convention soit des dispositions légales autorisant la constitution de droits réels sur le domaine public. Pour les autres biens nécessaires au fonctionnement du service public - c’est-à-dire les biens meubles et les biens immeubles établis sur une propriété privée - qui sont, en application de la convention, la propriété du délégataire, le Conseil d’Etat affirme que les dispositions contractuelles ne peuvent faire « obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de délégation ». La liberté contractuelle trouve donc sa limite dans le principe de continuité du service public. Il faut toutefois relever que le principe de retour gratuit de ces biens ne vaut que pour autant qu’ils aient été entièrement amortis au cours de l’exécution de la convention. Tel n’est pas le cas dans deux hypothèses : - lorsque la durée de la convention est inférieure à la durée d’amortissement des biens, faculté expressément reconnue par le Conseil d’Etat dans une décision du 4 juillet 2012[2], - lorsque, en cours d’exécution du contrat et en application des dispositions de l’article L. 1411-2 du CGCT, le délégataire se voit imposer la réalisation de nouveaux investissements sans que la durée de la convention ne soit modifiée. Enfin, le Conseil d’Etat consacre, tout en l’encadrant, un droit à indemnisation du délégataire au titre de la valeur non amortie des biens en cas de fin anticipée de la convention. Cette indemnité est égale : - à la valeur nette comptable inscrite au bilan de l’entreprise lorsque l’amortissement des biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure ou égale à la durée du contrat, - à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat dans le cas où la durée de la convention est inférieure à la durée normale d’amortissement des biens. Ce mode de calcul permet ainsi de limiter l’indemnisation au préjudice direct du délégataire dont le contrat est résilié. Au final, les principes dégagés par le Conseil d’Etat, qui oscillent entre souplesse – au titre de la propriété des biens en cours d’exécution de la délégation -, et rigidité – au titre du retour des biens indispensables à l’exécution du service public en fin de contrat -, montrent la position pragmatique du juge administratif en matière de contrats publics d’affaires.
[1] CE, sect. TP, avis, 19 avril 2005, n°371234 : EDCE 2005, p.197-202[2] CE, 4 juill. 2012, Communauté d’agglomération de Chartres Métropole, Veolia Eau-Compagnie générale des eaux, n°352417 Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

AMON Laurent
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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