La protection de la résidence principale soumise au droit de la preuve
Publié le :
11/12/2023
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2023
De tous temps la nécessité de préserver son foyer, sa famille et son logement a hanté l’homme et notamment l’entrepreneur. Pour y répondre le législateur a procédé par étapes : le 2 août 2003 la loi Dutreil a permis une insaisissabilité sur déclaration à l’égard des créanciers professionnels ; le 4 août 2008 puis le 6 août 2015 la protection est devenue de droit incluse dans l’article L 526-1 alinéa 1 du code de commerce. Les autres droits et biens immobiliers restent sous le régime de la déclaration d’insaisissabilité (L 526-1 alinéa 2).
La protection nécessite trois conditions :
- Le protégé : ce doit être une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante. Les personnes morales en sont exclues en raison d‘autres types de protection.
- Les créances : il doit s’agit de créances professionnelles contractuelles ou quasi-délictuelles. Pour l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale peu importe la date de naissance de la créance ; alors que pour les autres immeubles seules les créances nées après la publication de la déclaration d‘insaisissabilité sont concernées.
- L’insaisissabilité de plein droit ne joue que si l’immeuble est la résidence principale de l’entrepreneur. Peu importe qu’une partie soit affectée à un autre usage que professionnel, elle sera insaisissable sans obligation d’établir un état descriptif de division.
Reste à savoir ce qu’est la résidence principale.
La question semble incongrue mais la notion de résidence principale facile à établir a donné lieu à des fraudes et des contentieux, les créanciers cherchant à en contester le caractère et le débiteur à le faire reconnaitre.
Le principe étant l‘insaisissabilité de plein droit à qui appartient la charge de la preuve d’établir que la résidence est principale ou non ? S’agissant de la protection du patrimoine d’une personne physique l’on pourrait de prime abord penser que la preuve appartient au créancier professionnel qui dénie cette qualification pour pouvoir poursuivre.
C’est surtout en matière de liquidation judiciaire ce qui a été opposé au liquidateur chargé de la réalisation des actifs du débiteur.
L’on pourrait supposer qu’il appartient au créancier ou au liquidateur qui conteste le caractère de résidence principale de l’immeuble objet de l’intention de poursuivre la réalisation forcée d’apporter tous éléments au soutien de cette contestation.
C’est la position de la Cour d’appel de Grenoble face à une demande d’un liquidateur de se voir attribuer la part du débiteur dans une indivision où il possédait 99% des parts, alors qu’une banque créancière avait déjà engagé la procédure de licitation en vue du partage.
La Cour de Grenoble déclare insaisissable par le liquidateur cette part suivant l’argument du créancier qui avait consenti deux prêts immobiliers au débiteur. Elle juge que le liquidateur n’apportait pas la preuve que l’immeuble n’était pas la résidence principale.
Mais la Cour de cassation, chambre commerciale, dans un arrêt du 22 novembre 2023, n° 22-18795 casse l’arrêt d’appel au motif qu’il renverse la charge de la preuve.
C’est donc à celui qui se prévaut de l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale qu’il appartient d’apporter la preuve de cette qualité.
Ce n’est pas vraiment une surprise dans la mesure où la Haute juridiction avait déjà statué en ce sens, mais plutôt une confirmation sur une licitation de ce qui avait jugé sur une saisie ou une vente par liquidateur judiciaire.
A titre d’exemple un arrêt du 14 juin 2023, n° 21-24207, décide que la Cour d’appel a eu raison de considérer que la débitrice devait apporter la preuve du caractère principal de sa résidence pour juger de son insaisissabilité face à une ordonnance du juge-commissaire qui ordonnait la vente par adjudication. Ce qui ne résultait pas du fait que la taxe d’habitation était en fait émise au nom du locataire… (voir commentaire de Frédérique Eudier à l’AJ Famille 2023, p. 424 dernier paragraphe).
Lorsque l’entrepreneur a renoncé à l’insaisissabilité (art. L 526-3 c.com.) – ce qui est possible tant pour celle de droit sur la résidence principale que de tout autre immeuble non professionnel sur déclaration publiée – la question ne se pose plus ; mais il aura pu ensuite rétracter cette renonciation (L 526-3 et la question de la preuve du caractère de résidence principale retrouvera toute son acuité.
Reste à savoir à quel moment faut-il se placer pour apprécier le caractère principal de la résidence synonyme d’insaisissabilité. La cour de cassation a tranché le 18 mai 2022, com. n° 20-22768, en retenant que le juge commissaire sollicité par le liquidateur pour vendre le bien immobilier devait apprécier la nature de résidence principale ou non au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective.
En l’espèce le juge aux affaires familiales avait attribué ce qui était le domicile conjugal à l’épouse et le mari avait été déclaré en liquidation postérieurement, si bien que la Chambre commerciale a décidé que la protection de l’entrepreneur sur sa résidence principale avait disparue.
C’est donc à celui qui oppose l’insaisissabilité même de plein droit de l’immeuble dont le liquidateur veut requérir la vente de prouver qu’il s’agit bien de sa résidence principale. C’est sans doute pour des raisons pragmatiques (difficultés du liquidateur à avoir des preuves) que Haute juridiction met la charge de la preuve sur celui qui prétend à la protection de principe du domicile familial et non à celui qui soulève l’exception de non protection d’un bien immobilier.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
Eklar Avocats
MARSEILLE (13)
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