
Urgence à suspendre une décision privant un agent public de sa rémunération pendant plus d’un mois : quelle est la portée pratique de la nouvelle présomption instituée par le Conseil d’Etat ?
Publié le :
24/01/2025
24
janvier
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01
2025
Dans le cadre d’un référé suspension, l’urgence à suspendre une décision d’exclusion du service d’un agent est présumée acquise dès lors que la privation de rémunération qui l’accompagne excède un mois.Tel est le sens de la décision du Conseil d’Etat du 18 décembre 2024 (req. n° 492519).
L’inversion de la charge de la preuve qu’entérine cette décision s’inscrit dans un courant de présomptions plus large qui s’enrichit régulièrement. (1)
Présomption simple, elle cède lorsque l’employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l’agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public. Elle est bien entendu sans effet sur l’obligation, pour l’agent, de faire état devant le juge des référés, d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse. (2)
Favorable aux agents en apparence, cette nouvelle présomption pourrait ouvrir la voie à des mesures d’exclusion plus radicales (3).
1. L’institution d’une nouvelle présomption d’urgence
Quand une décision administrative fait l'objet, prévoit l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.Le juge des référés, juge de l’urgence, statuera usuellement dans un délai compris entre quelques jours et un mois. C’est bien l’intérêt de cette procédure : obtenir du juge une décision, certes provisoire, mais dans un délai très court.
Pour que cette condition d’urgence soit satisfaite, le requérant doit démontrer que la décision litigieuse porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à sa situation ou aux intérêts qu’il entend défendre. La condition d’urgence doit être « appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire » (CE, 19 janv. 2001, Confédération nationale des radios libres, req. n°288815).
Relevons néanmoins qu’une situation d’urgence, même démontrée par le requérant, peut céder devant une autre urgence avérée, établie par l’administration, et justifiant le maintien de la décision contestée (CE, 28 fév. 2001, Cne Cannet-des-Maures, req. n° 234396).
Certaines violations particulièrement graves justifient que la charge de la preuve soit renversée. Ce champ des présomptions instauré au bénéfice des requérants est extrêmement varié.
De construction prétorienne pour une large part, il intéresse, par exemple, la mise à l’isolement d’un détenu ou sa prolongation, le refus d’un titre de séjour ou un retrait de celui-ci. Bénéficie également d’une présomption d’urgence, le recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir.
Dans le cas d'une décision de préemption, la condition d'urgence est en principe constatée lorsque l'acquéreur évincé en demande la suspension.
On l’aura compris, c’est bien la gravité des conséquences immédiates qui s’attachent à la décision litigieuse ou encore leur caractère irrémédiable et définitif qui justifient cette présomption. En conséquence, a jugé le Conseil d’Etat, ne crée pas de situation d'urgence par elle-même une décision de notation d'un agent public. Il en va de même pour la décision de ne pas publier un avis de vacance d'un emploi par exemple.
2. Une portée qui doit être relativisée dans son principe
La nouvelle présomption qu’institue le Conseil d’Etat au bénéfice des agents publics est réfragable. Dès lors, si l’exclusion temporaire du service pendant plus d’un mois fait présumer que l’absence de rémunération qu’elle emporte pour l’agent le place dans une situation financière délicate, justifiant alors une urgence à suspendre, elle tombe si l’employeur démontre que tel n’est pas le cas.A cet effet, l’administration pourra, devant le juge des référés, inviter l’agent à justifier des revenus du couple ou à présenter des relevés de comptes. Des revenus fonciers importants par exemple, permettraient de faire tomber la présomption d’urgence. Il est important de souligner que ce n’est pas la perte de revenus que sous-tend la décision litigieuse qui motive une présomption d’urgence. Mais la situation financière concrète de l’agent qui se prévaut de cette présomption, tous subsides confondus. En la matière, le pouvoir d’appréciation du juge des référés est assez large.
Notons que la décision commentée ne profitera pas à l’agent exclut temporairement du service à titre conservatoire. En effet, en une telle hypothèse, la décision litigieuse ne constitue pas une sanction. En conséquence, en application des textes et à grands traits, l’agent conservera sa rémunération, ou à tout le moins son traitement pendant sa période d’éviction.
Enfin, rappelons qu’une demande en référé n’est susceptible de prospérer que si le requérant peut, de manière cumulative avec cette condition d’urgence, faire état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
En d’autres termes, il revient au requérant d’établir devant le juge des référés, juge de l’évidence, non seulement une situation d’urgence – au besoin en se prévalant de notre nouvelle présomption d’urgence – mais également que la décision qu’il défère à la censure du Tribunal est manifestement illégale. Si ces deux conditions ne sont pas satisfaites, le juge des référés ne peut suspendre l’exécution de la décision litigieuse. En conséquence, la demande en référé sera rejetée.
3. Un prélude à l’infliction par l’administration de sanctions plus lourdes ?
Si l’on passe une sanction au tamis de cette décision du 18 décembre 2024, un employeur public pourrait être tenté, plutôt que de se limiter à une exclusion temporaire privative de rémunération, de révoquer ou de licencier cet agent.En effet, l’agent révoqué ou licencié sera placé dans une situation de perte involontaire d’emploi. En conséquence, il percevra l’Aide au retour à l’emploi (« ARE ») ; de sorte qu’il ne sera pas privé de toute rémunération. De même, si l’agent peut toucher immédiatement sa pension, une mise à la retraite d’office pourrait suffire.
Une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Lyon (2 janvier 2025, req. n° 2412158) vient illustrer cette proposition de paradigme. Dans cette affaire, l’agent licencié se prévalait de la présomption issue de la décision du Conseil d’Etat du 18 décembre 2024. Le juge des référés a relevé, notamment, que cet agent percevait l’Aide au retour à l’emploi du fait de son licenciement. Il a, en conséquence, rejeté ce recours, pour défaut d’urgence.
Certes, la mesure ainsi infligée pourra être annulée par le juge du fond, pour disproportion par exemple si elle constitue une sanction.
Toutefois, eu égard au délai usuel de jugement d’un recours en annulation dirigé contre une décision administrative en complément d’un recours en référé, cette décision suffira à écarter immédiatement l’agent du service sans crainte d’une suspension prononcée par le juge des référés, faute pour cet agent, nous l’avons vu, d’établir l’existence d’une situation d’urgence.
En outre, alors même que cette décision serait annulée par le juge du fond, l’exclusion est susceptible, en pratique, de demeurer définitive.
En effet, l’agent peut, pendant sa période d’éviction, avoir retrouvé un emploi de sorte qu’il ne demandera pas à être réintégré. De même, si l’annulation intervient au-delà du terme du contrat d’engagement de l’agent, celui-ci ne sera pas réintégré physiquement.
Enfin, les conséquences indemnitaires d’une annulation contentieuse peuvent parfois être extrêmement limitées. En effet, certes l’agent, en cas d’annulation, doit être indemnisé intégralement du préjudice qu’il a subi du fait de son éviction irrégulière. Toutefois, il ne doit être indemnisé que de son préjudice effectif. Or, pour le juge administratif, ce préjudice subi correspond à la différence entre la rémunération qui lui aurait été versée par son employeur public s’il était resté en poste et celle qu’il a effectivement perçue pendant sa période d’éviction.
Aussi, non seulement l’Aide au retour à l’emploi vient en déduction de l’indemnité globale, mais encore, toute autre rémunération ou indemnité, de quelque nature qu’elle soit, est prise en compte. De sorte qu’à l’issue de cette analyse menée par le juge administratif, le préjudice indemnisé peut être nul ou quasi nul. A cet égard, rappelons que le préjudice moral d’un agent est généralement très mal indemnisé par le juge administratif.
Cette nouvelle présomption, pour louable soit-elle, ne bouleverse pas l’état du droit. Réfragable, elle cède devant une preuve contraire. En outre, elle est sans effet sur l’obligation cumulative à la charge de l’agent de faire état, dans sa demande en référé, d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse. Enfin, un employeur public pourrait être tenté, afin de faire échec à la mise en œuvre de cette présomption, de révoquer ou de licencier un agent plutôt que de seulement l’exclure temporairement du service.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

PILORGE David
Avocat Collaborateur
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
Historique
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