Révocation d'une donation : Donner et reprendre ne vaut surtout si c’est illicite !
Publié le :
06/02/2023
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La réserve héréditaire est d’ordre public. Si un acte a pour but de contourner cette règle il doit être annulé. Lorsqu’une donation de somme d’argent destinée à l’acquisition de parts sociales et à l’entrée au capital d’une société fait l’objet d’une révocation d’un commun accord entre la donatrice et le donataire, le juge peut considérer que cette révocation étant faite pour contourner la réserve héréditaire d’ordre public elle doit être annulée.L’arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la Cour de cassation 1e chambre (n° 21-11507) en est une illustration. En l’espèce la donation de somme d’argent avait permis d’investir dans une société et trois SCI et celles-ci ayant pris énormément de valeur donc les parts aussi, la donatrice malade avait d’un commun accord avec son fils donataire révoqué la donation afin qu’en cas de décès il échappe à la règle de l’article 922 du code civil : « La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.
Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation.
On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer ».
La réduction des libéralités selon l’article 921 du même code étant à l’initiative des réservataires.
Pour prononcer la cassation de l’arrêt qui avait repoussé la demande de nullité de la révocation la Cour de cassation juge que la cause de cette révocation était illicite conformément aux articles 1131 (« l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet ») et 1133 (« la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public ») du code civil alors applicables.
La cause ayant été supprimée par l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des obligations qu’en serait-il maintenant ?
En fait la licéité des conventions est toujours exigée par la loi puisque l’article 1128 du code civil subordonne la validité du contrat « à un contenu licite et certain » et l’article 1162 est rédigé ainsi : « le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».Le contenu d’un contrat qui prévoit la révocation d’une donation n’est pas en lui-même illicite. L’objet de ce contrat confondu désormais avec la cause depuis la réforme des obligations de 2016 est de faire revenir le bien donné dans le patrimoine du donateur et n’est donc pas illicite. Pour autant la Cour d’appel qui avait adopté ce raisonnement a été sanctionnée.
La cour de cassation se contente de dire que l’opération de révocation aboutit à la violation de la réserve héréditaire d’ordre public mais excipe d’abord de la licéité nécessaire des motifs d’un acte avant de prendre ensuite appui juridique sur la cause qui existait encore.
Cette position nécessite de revenir un peu sur les cas de révocation en droit civil.
Les cas de révocation légaux sont :
- l’inexécution des charges imposées au donataire auxquelles la donation est soumise (article 954 du code civil) à condition que la charge ait été la condition déterminante de la donation, que son exécution doive être grave et qu’elle ne soit pas imputable au donateur.
- l’ingratitude : attentat à la vie du donateur, sévices, délits et injures graves et refus de l'obligation alimentaire. Le donataire doit agir dans l’année des faits constitutifs. (Article 955 du code civil).
- la survenance d’enfants : la révocation n’est plus automatique depuis 2007 et la demande doit en être faire par le donateur.
- la révocation entre époux du fait d’un divorce (sauf si faite par contrat de mariage) ou en cas de donation au dernier vivant par le donateur par exemple.
Ne pas confondre révocation et droit de retour conventionnel; en effet dans ce dernier cas le donateur se réserve le droit de récupérer l’objet de la donation en cas de décès du donataire. Cette clause se double souvent d’une clause d’inaliénabilité du bien, le donataire ne pouvant vendre ou céder pour permettre le droit de retour.
Mais la révocation d’un commun accord est une création timide de la jurisprudence (contestée pendant longtemps en raison du principe d’irrévocabilité des donations).
En effet la donation est un contrat et les parties peuvent défaire un contrat passé entre elles sauf contrariété à l’ordre public. Dans un arrêt (Cass. civ. 1°, 1er juin 1994, n° 92-11910) la cour de cassation invoque la « rétrocession » et dans un autre antérieur « la rétractation de l’acceptation » (Cass. civ. 1e, 2 juin 1970, 68-14147).
Toutefois la révocation d'une donation doit respecter la forme authentique et être soumise à publicité foncière si l’objet en est un immeuble (Cass. civ. 1°, 7 juin 2006, JCP N 2006 p. 1343).
L’arrêt valide la révocation commune (en doctrine mutuus dissenssuus) dans son principe et ne l’annule que pour illicéité de la cause : en fait la motivation visait à faire échapper le donataire à la réduction de la donation de parts et d’apports de sociétés ayant pris une énorme valeur entre la donation et l’ouverture de la succession de la donataire. Et la donataire étant malade rien n’empêche de soupçonner une consentement moins éclairé de sa part (note de l’auteur).
En cela la Cour de cassation prend position contre la solution de la Cour de Rennes qui avait validé la révocation car selon elle la motivation de la révocation n’était pas à prendre en considération.
Donner et reprendre ne vaut donc si c’est illicite… et contraire à l’ordre public.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
Eklar Avocats
MARSEILLE (13)
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