Les rebondissements de l'affaire Kerviel dans les affres de la fiscalité
Publié le :
12/10/2010
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La Société Générale aurait récupéré 1,69 milliards d'euros sur les 4,9 milliards de pertes subies du fait de Jérôme Kerviel grâce à un dispositif fiscal.
L'indemnisation de la Société Générale dans l'affaire Kerviel
Cette affaire n'en finit pas de faire parler d'elle.
A peine les commentateurs ont-ils achevé leur analyse du jugement du 5 octobre 2010 rendu par le Tribunal correctionnel de Paris (on peut en lire avec profit, "les raisons d'un verdict implacable" – Les Echos du 7 octobre 2010 par V. de SENNEVILLE – aussi, notre article du 8 octobre 2010 – site EUROJURIS : "Affaire J. KERVIEL – Acte II :le JUGEMENT") qu'ils doivent remettre le métier sur l'ouvrage suite à l'information donnée par la station de radio EUROPE 1, selon laquelle, la SOCIETE GENERALE aurait récupéré 1,69 milliards d'euros sur les 4,9 milliards de pertes subies du fait de M. J KERVIEL grâce à un dispositif fiscal.
Un tollé quasi général a suivi la divulgation de cette information, le personnel politique de gauche (M. F. HOLLANDE) à droite (M. N. DUPONT-AIGNAN) fustigeant alors la Banque d'avoir bénéficié d'un tel avantage.
Et que dire de la nouvelle joute des avocats des parties, condamnant pour l'un (Me METZNER pour M.J. KERVIEL) le mensonge voire l'escroquerie au jugement et justifiant pour l'autre (Me VEIL pour la SOCIETE GENERALE) le bénéfice tiré d'une disposition fiscale légale.
Alors qu'en est-il très exactement ? La SOCIETE GENERALE a-t-elle par omission d'informations, trompé le Tribunal Correctionnel de PARIS sur la réalité de son préjudice et donc le montant de ses réclamations contre M. J. KERVIEL ? Le Bénéfice fiscal dont elle a profité est-il aussi scandaleux que ses détracteurs l’indiquent ?
La Banque est-elle oui ou non honnête et transparente comme elle l'allègue aujourd'hui pour se défendre contre le flot de critiques qu'elle subit de tous bords ?
L'honnêteté judiciaire de la Société Générale en discussion
En matière civile, les règles d'indemnisation sont simples. Une victime peut prétendre à la réparation de son entier préjudice, ni plus ni moins : principe dit de réparation intégrale.
Le préjudice est une perte éprouvée et/ou un gain manqué. En tout état de cause, le préjudice indemnisable doit être certain, direct et actuel.
Cette réparation intégrale en justice, suppose que le préjudice soit évalué, justifié et demandé.
La phase d'estimation n'est pas toujours aisée car il faut déterminer précisément les caractéristiques et les conséquences patrimoniales (et/ou morales) du dommage subi.
En outre, un préjudice a souvent plusieurs facettes. Par exemple, un préjudice commercial peut affecter tant la marge bénéficiaire que l'activité commerciale d'une entreprise.
S'il n'est pas correctement évalué, il sera difficilement justifié. Les juges pourront alors rejeter partiellement voire intégralement les demandes de réparation.
Enfin, il faut que l'indemnisation soit demandée dans son intégralité. A défaut, les principes directeurs du procès civil ne permettront pas aux juges de pallier les carences des demandes d'indemnisation.
Mais et c'est la question posée par la présente affaire, le préjudice indemnisable, doit-il être présenté brut ou net d'incidences fiscales ?
En l'espèce, la Société Générale par voie de conclusions de partie civile devant le Tribunal Correctionnel de PARIS a précisé :
"Qu'au 18 janvier 2008, sur la base du cours de clôture, la perte latente était déjà de 2.779.631.464 € ;
Que la moins-value de cession réalisée sur la période du 18 au 23 janvier 2008, s'élève à 6.445.696.815 € outre une position résiduelle au 23 janvier de 58.810.888 € ;
Qu'en conséquence , à la date du 23 janvier 2008, la perte nette s'établit, déduction faite du gain réalisé au 31 décembre 2007 à hauteur de 1.471.275.773 € à la somme de 4.915.610.154 €, montant repris par les commissaires aux comptes de la Société Générale et la commission bancaire et publiés en annexe aux états financiers de la Société Générale pour l'année 2008".
Le Tribunal a considéré quant à cette demande de la Banque que : " […] dès lors le préjudice consécutif aux prises de positions frauduleuses et que le débouclage a mis en évidence et consolidé au-delà du 18 janvier 2008 est certain dans son quantum à hauteur de 4.915.610.154 € correspondant aux pertes constatées à hauteur de 6.445.693.815 €, déduction faite du gain réalisé au 31 décembre 2007, soit 1.471.275.773 € et du reliquat de positions résiduelle subsistant le 23 janvier 2008 à hauteur de 58.810.888€ […] Qu'il convient en conséquence de condamner Jérôme KERVIEL à payer l'intégralité des sommes réclamées par la Société Générale."
Dans son appréciation souveraine, le Tribunal Correctionnel de Paris a fait droit à l'intégralité des demandes de la Banque, estimant celles-ci fondées notamment dans leur montant "net " (pertes moins gains)… mais "hors impôt".
La question de l'impact fiscal n'a de toute façon pas été abordée entre adversaires et le Tribunal n'avait pas à relever d'office cette incidence.
Mais la SOCIETE GENERALE le devait-elle ?
Non ou à tout le moins, elle n'est juridiquement pas blâmable pour ne pas l'avoir réalisé.
En effet, même si le principe est critiquable en toute rigueur juridique, la jurisprudence retient majoritairement que les "dispositions fiscales frappant les revenus (donc les charges par analogie) sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation des victimes" (v. par ex. Cass. civ. II, 16 novembre 1994 – pourvoi n° 93- 14.554).
Cette posture qui a le mérite de la simplicité, n'est toutefois pas satisfaisante car, comme dans la présente affaire, le préjudice réel dans son montant devrait être un vrai préjudice "net d'impôt".
En l'espèce, la perte réellement éprouvée par la Société Générale est (approximativement) de 4,9 milliards d'euros moins 1,7 milliards d'euros (déduction fiscale) soit de 3,2 milliards d'euros environ.
La Banque se défend néanmoins de toute mauvaise foi au titre de la transparence fiscale.
La transparence fiscale de la Société Générale à l'épreuve
Alors que les conseils des parties croisent le fer sur l'honnêteté avec laquelle ces dernières ont présenté leurs arguments en justice, l'opinion publique et le personnel politique s'émeuvent du bénéfice fiscal d'1,69 milliard d'euros dont a profité la Banque du fait de la perte exceptionnelle subie de 4,9 milliards d'euros.
Pourtant, ainsi que la SOCIETE GENERALE et ses avocats le précisent par voie de presse, il n'y a rien d'illégal en la matière.
En effet, les pertes exceptionnelles et pertes diverses sont fiscalement déductibles, en application des règles des bénéfices industriels et commerciaux dont il est, en principe, fait application pour la détermination des bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés (art. 209 du CGI).
En présence de telles pertes, les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent opter entre deux régimes de report des déficits :
- un régime de droit commun dit de report "en avant" qui permet d'imputer les déficits sur les bénéfices des exercices suivant l'exercice déficitaire ;
- un système optionnel de report "en arrière" des déficits sur les bénéfices des exercices précédents.
Quant au report en arrière, la créance fiscale de la société est égale au produit du déficit imputé par le taux de l'impôt sur les sociétés, applicable à l'exercice de réalisation du bénéfice (taux de 33 1/3 %).
L'exemple classique est le suivant (repris du Mémento Fiscal Francis LEFEBVRE 2010, n° 35950) : un déficit de 150.000 € donne naissance en cas de report en arrière sur les bénéfices de l'exercice précédent, à une créance de 33 1/3% soit 50.000 €.
Le principe est le même que la perte soit de 150.000 euros ou de plusieurs milliards d'euros, la loi fiscale ne discriminant pas les bénéficiaires de cette option selon le montant des sommes concernées.
En l'espèce, la Banque a enregistré en 2007 un gain sur lequel elle a payé l’impôt sur les sociétés. En 2008, la Banque a enregistré une perte de 6,382 milliards d'euros. Sur cette somme la déduction fiscale de 33 1/3 % s'est appliquée, soit la somme dégagée de 2,197 milliards. En déduisant de cette somme de 2,197 milliards, l’impôt sur les sociétés payé au titre de l’exercice 2007, le résultat d'économie d'impôt serait de 1,69 milliards d'euros.
Encore faut-il constater que la créance fiscale correspondant à la perte due à M. J. KERVIEL ne s’élève « qu’à » 1,63 milliards d’euros (soit 4,9 milliards d’euros imputé du taux d’IS à 33 1/3)…
En d'autres termes, la Société Générale n'a fait qu'user, à l'instar de toutes autres entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés, d'une disposition parfaitement légale.
Elle ne devrait donc décemment encourir aucun reproche de ce chef. Ce d'autant qu'il appartenait d'abord aux avocats de M. J. KERVIEL, de souligner l'existence et l'impact de cet avantage fiscal quant à la réalité du préjudice subi par la Banque.
Peut-être que les juges, compte tenu de l'énormité des montants en jeu, auraient suivi M. J. KERVIEL sur cet aspect de sa défense ce malgré, comme indiqué ci-avant, une jurisprudence plutôt défavorable à cet argument.
En droit donc, il n'est pas sérieux d'arguer de la mauvaise foi de la Banque.
De nouveau pour la Société Générale, la difficulté relève de sa communication.
Pour ce faire, la Banque indique que les éventuelles sommes reçues au titre des réparations versées par M. J. Kerviel, feront l'objet d'une imposition, ce qui permettrait de reverser à l'Etat, une partie de l'impôt perdu.
Sauf que la Banque omet de rappeler qu'elle a également indiqué abandonner tout ou partie de sa créance contre M. J. Kerviel.
Dans cette circonstance; quelle imposition serait alors perçue ?
Aucune, si cet abandon de créances est considéré comme relevant d'une gestion normale d'entreprise.
Dans cette situation alors, la Banque manquerait de sincérité.
Mais en l'état actuel de la jurisprudence fiscale, il serait peu probable qu'un tel abandon de créance soit qualifié d'acte normal de gestion. Ainsi, la créance abandonnée serait réintégrée aux résultats de la société et imposée en conséquence.
Dans cette situation, la Banque se trouverait fiscalisée sur une créance en grande partie irrecouvrable, vu son montant.
Le règlement de l’impôt correspondant viendra donc de facto se compenser avec le crédit d’impôt sur les sociétés résultant du report en arrière des déficits dont elle bénéficie aujourd’hui.
Du fait, tant de l’impossibilité matérielle de recouvrer la majeure partie de la somme à laquelle M. J. Kerviel a été condamnée, que du choix de la Société Générale de renoncer au moins partiellement au paiement de cette somme, la Banque se trouvera bien pénalisée en supportant l’impôt sur une créance quasi irrecouvrable.
En acquittant l’impôt sur les sociétés sur le montant de cette condamnation, sans l’avoir perçue, en tout ou en partie, la Société Générale ne fera que perdre la créance fiscale dont elle peut légalement bénéficier aujourd’hui.
Il est vrai toutefois qu’il conviendrait de relativiser cette analyse par la possibilité ouverte à la Société Générale de déduire demain une provision pour créance irrecouvrable, sous réserve que le caractère irrecouvrable de ladite créance réponde aux critères établis par l’Administration fiscale…
Faudrait-il conclure que le crédit d’impôt d’aujourd’hui représente l’impôt de demain et la provision déductible d’après-demain ?
En tout état de cause, si elle vient d'emporter la première bataille judiciaire contre M. J. Kerviel, la Société Générale semble plus qu'en difficulté dans son combat d'image à destination de l'opinion publique.
On peut finalement se demander où se situe son plus grand préjudice.
Lundi 11 octobre 2010, le titre Société Générale (comme tous les bancaires néanmoins) accusait la plus forte baisse du CAC 40 avec -1,63% à 42,67 euros (source La Tribune).
L'auteur de cet article:Stéphane ASENCIO, avocat à Bordeaux
Cet article n'engage que son auteur.
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