
Un locataire peut-il reprocher à son bailleur une perte de commercialité du local commercial loué pour obtenir des dommages-intérêts ?
Publié le :
29/05/2020
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La Cour de Cassation dans son arrêt du 23 janvier 2020 répond par l’affirmative (Cour de Cassation 3e Chambre Civile 23 janvier 2020 n° 18-19051)
Dans cette affaire, un locataire dépendant d’un centre commercial soumis au statut de la copropriété se plaignait du mauvais état du centre commercial ainsi que de problèmes de chauffage dans ses locaux.
Le locataire a assigné son bailleur en indemnisation pour obtenir réparation de son préjudice.
Il n’a pas sollicité la résiliation de son bail pour manquement contractuel.
Cette espèce est également déconnectée de la problématique du loyer et d’une éventuelle demande que le locataire aurait pu formuler au titre d’une procédure de révision de loyer ou de baisse à la valeur locative du loyer renouvelé.
Il convient de préciser que le bailleur était majoritaire au sein du syndicat de copropriété.
Le tribunal comme la Cour avaient considéré que le bailleur n’avait pas employé des efforts suffisants pour mettre fin au dysfonctionnement du chauffage commun non seulement dans le local loué mais également dans les parties communes qui étaient des accessoires nécessaires à l’usage de la chose louée.
Le bailleur avait été négligent pour mettre fin aux infiltrations constatées dans le plafond du local et le parking commun.
Il n’avait pas également fait les efforts suffisants pour mettre fin au défaut de sécurité et qui avait affecté le centre commercial pendant plus de dix ans.
Ces diligences étaient suffisantes pour faire en sorte que le syndicat des copropriétaires remédie à l’insécurité et au mauvais entretien des lieux.
La Cour d'Appel avait estimé que le dépérissement du centre commercial et sa désertification, en relation avec les manquements susvisés étaient à l’origine au moins en partie de la dégradation de la commercialité des lieux.
Le locataire a obtenu 80 000 € de dommages-intérêts.
La Cour de Cassation a estimé que ce raisonnement n’était pas contraire au droit.
L’action engagée par le locataire est une action en responsabilité sur la base d’un manquement à l’obligation de délivrance, d’entretien et de jouissance paisible des lieux loués.
Le fondement des demandes repose sur l’ancien article 1134 du Code Civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et des articles 1719 et suivants du Code Civil aux termes desquels le bailleur est débiteur d’une triple obligation de délivrance, d’entretien et de garantie de jouissance paisible des locaux.
Aucune clause particulière du bail litigieux n’oblige le bailleur à supporter une obligation particulière concernant le maintien d’un environnement commercial favorable.
Il n’a donc pas théoriquement plus d’obligations que celles d’un bailleur normal.
Cependant, la jurisprudence a eu déjà à se prononcer sur l’obligation de moyens relative au maintien d’un environnement commercial favorable (Cour de Cassation 3e 26 mai 2016 n° 15-11307).
Dans cette dernière affaire, les bailleurs avaient, par un mandat exclusif, donné mission à une société gestionnaire reconnue à mettre en œuvre toutes les actions nécessaires à la recherche de nouveaux locataires pour les locaux vacants afin de rendre la commercialité du centre commercial plus attractive de sorte que les juridictions du fond ont estimé que les bailleresses avaient satisfait à leur obligation contractuelle.
Dans un autre arrêt en date du 19 décembre 2012 (n° 11-23541), des juridictions du fond ont pu prononcer la résiliation du bail aux torts exclusifs du bailleur et en paiement de diverses sommes en invoquent le dépérissement général de l'immeuble, la suppression de l'accès aux toilettes et l’existence de gravats empêchant le libre accès au parking.
Il est important de faire la distinction entre l’obligation de délivrance ou l’obligation d’entretien et l’obligation consistant à maintenir un environnement commercial favorable.
La Cour de Cassation n’a jamais franchi le cap pour mettre à la charge du bailleur une obligation de maintenir un environnement économique favorable sans le lier très précisément à une violation de l’obligation de délivrance ou d’entretien.
Dans la présente affaire commentée, la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public avait émis un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation du centre commercial.
La Cour a relevé le dysfonctionnement du chauffage commun, des infiltrations constatées dans le plafond du local et le parking commun, le défaut de sécurité du centre commercial de plus de dix ans.
Cette jurisprudence est donc conforme à l’évolution de position de la Cour de Cassation depuis plus d’une dizaine d’années.
Dès lors que la baisse de commercialité du centre commercial peut être reliée à un manquement du bailleur, même en l’absence d’une clause spécifique du bail, sa responsabilité peut être engagée et il peut être condamné à des dommages-intérêts totalement déconnectés d’une éventuelle résiliation de bail ou d’une demande de baisse du loyer révisé ou renouvelé.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

MEDINA Jean-Luc
Avocat Associé
CDMF avocats , Membres du conseil d'administration
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