Le cadre dirigeant doit vraiment diriger
Publié le :
23/01/2014
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Dans un arrêt du 26 novembre 2013, la Cour de cassation vient confirmer sa jurisprudence de 2012 affirmant que le statut de cadre dirigeant ne peut être octroyé que dans la mesure où le cadre participe effectivement à la direction de l’entreprise.
La notion de cadre dirigeantOn sait que dans le cadre des lois Aubry, portant sur la réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires, a été consacrée, en droit du travail, la catégorie des cadres dirigeants, lesquels se trouvent exclus de l'application de la réglementation sur la durée du travail. Il restait donc ensuite à la Cour de Cassation de déterminer les contours de cette notion.
La jurisprudence récente montre combien est restrictive, mais non dépourvue de logique, la définition de cette catégorie particulière de cadres dont la durée du travail n'a pas à être comptée.
C'est ce qu'illustrent encore quelques arrêts récents.
Dans un arrêt du 26 novembre 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation vient confirmer sa jurisprudence du 31 janvier 2012 (n°10-24.412) affirmant que le statut de cadre dirigeant ne peut être octroyé que dans la mesure où le cadre participe effectivement à la direction de l’entreprise. Elle tire ainsi les conséquences de la définition légale de cadre dirigeant (Article L3111-2 du Code du travail) qui exige la réunion des trois critères cumulatifs suivants :
- Grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps
- Prise de décisions de façon largement autonome
- Perception d’une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement.
D'où l'appréciation restrictive qui est faite de cette notion, sachant par ailleurs que la notion de cadre dirigeant ne dépend pas de la taille de l’entreprise. Elle peut exister à la fois au sein des petites ou des grandes entreprises. (Cass, soc, 31 janvier 2012, n°10-23.828)
De même, la reconnaissance de cette qualité ne nécessite-t-elle pas non plus un accord préalable entre l’employeur et le salarié, et il n’est pas nécessaire que la fonction du cadre appartienne au niveau hiérarchique le plus élevé de la convention collective applicable. (Cass, soc, 30 novembre 2011, n°09-67.798)
La notion de cadre dirigeant est donc d’abord définie par la loi (1). Elle a ensuite été développée par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation (2). Mais l’attribution abusive de ce statut par l’employeur emporte des conséquences financières importantes. (3)
1. La définition légale du statut de cadre dirigeant
La notion de cadre dirigeant implique le cumul des trois critères légaux susmentionnés prévus par l’article L3111-2 du Code du travail.
Les juges du fond procèdent alors à une appréciation in concreto en prenant en considération les fonctions réellement exercées par le cadre, même si un accord collectif lui attribue le statut de cadre dirigeant par sa fonction. (Cass. Soc. 13 janvier 2009, n°06-46.208)
Quelques exemples jurisprudentiels de l’application de l’article L3111-2 du Code du travail :
Ainsi un salarié soumis contractuellement à l’horaire collectif ne peut bénéficier de la qualité de cadre dirigeant peu importe les fonctions réellement exercées (Cass. soc 27 mars 2013 FS-PB, n°11-19734)
Dans cette affaire, le salarié est recruté en qualité de directeur commercial détail, statut cadre, et a été licencié pour faute lourde. Il saisit la juridiction prud’homale pour contester sa qualité de cadre dirigeant et demander en ce sens des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées et des repos compensateurs.
La chambre sociale de la Cour de Cassation considère que la demande est justifiée, le salarié n’ayant pas la qualité de cadre dirigeant, eu égard à son contrat de travail qui prévoit qu’il ne pourra pas refuser d’effectuer des heures supplémentaires qui lui seront demandées et que son horaire de travail sera celui en vigueur dans l’entreprise. Il est également tenu de badger.
Il faut donc veiller à la rédaction des contrats de cadre dirigeant, notamment à ne pas y introduire des dispositions exclusives de cette qualité.
De même, un salarié qui ne dispose d’aucun pouvoir de décision autonome ne peut pas bénéficier du statut de cadre dirigeant (Cass. soc 23 mai 2013 FS-PB, n°12-13041)
En l’espèce, le directeur général d’une société, licencié pour motif économique, saisit la juridiction prud’homale pour contester son statut de cadre dirigeant, et demande ainsi le paiement d’heures supplémentaires et de jours de RTT.
Ici la chambre sociale de la Cour de Cassation accueille favorablement la demande du salarié étant donné que celui-ci était placé sous l’autorité du vice-président du groupe, devait lui rendre compte et n’avait aucun pouvoir de décision autonome, comme en atteste également sa fiche de poste qui ne mentionne aucun pouvoir de décision autonome.
De même, un directeur technique dans une association, qui doit informer sa hiérarchie de son planning prévisionnel pour la semaine à venir et qui doit soumettre à l’approbation de sa direction toutes ses dépenses, ne peut avoir le statut de cadre dirigeant. Font ici défaut l’autonomie dans l’organisation de son emploi du temps et l’indépendance dans la prise de décisions, notamment budgétaires. (Cass, soc, 10 juillet 2013, n°12-13.288)
A contrario, un salarié qui participe au Conseil d’administration, qui signe les ouvertures et fermetures des comptes bancaires, et qui, placé sous les ordres du président de la société, dispose d’une grande autonomie dans l’organisation de son travail, et assume de grandes responsabilités en percevant une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise est un cadre dirigeant. (Cass, soc, 16 novembre 2005, n°03-47.578)
L’analyse est donc réalisée au cas par cas par les juges du fond. L’autonomie des conditions de travail du cadre dirigeant demeure le maître mot.
2. Le développement jurisprudentiel de la notion de cadre dirigeant : l’indispensable participation du cadre dirigeant à la direction de l’entreprise
Au-delà de ces trois critères légaux, la chambre sociale de la Cour de cassation a renforcé la notion de cadre dirigeant en affirmant que celui-ci doit participer à la direction de l’entreprise. (Cass, soc, 26 novembre 2013, n°12-21.758). La Cour de cassation extrait un critère de finalité des trois premiers critères. En l’espèce, il s’agissait d’un cadre qui occupait la fonction de vice-président recherche et développement produits de soins international, fonction recevant le statut de cadre dirigeant par la convention collective de la Chimie. Ici, bien que le cadre disposait d’une grande liberté dans son emploi du temps, d’un niveau élevé de responsabilité puisqu’il était habilité à prendre des décisions autonomes, et qu’il bénéficiait d’une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise, il ne pouvait pas avoir la qualité de dirigeant puisqu’il ne participait pas à la direction de l’entreprise.
La jurisprudence vient donc préciser la définition légale du cadre dirigeant. Cette notion, comme son nom l’indique, implique que le cadre dirige. Cette exigence découle des trois critères cumulatifs de l’article L3111-2 du Code du travail.
Elle n’est pas nouvelle, elle n’est que la confirmation de l’arrêt rendu par la chambre sociale de la cour de cassation du 31 janvier 2012 (n°10-24.412). Dans cette affaire, un responsable collection homme d’une entreprise de prêt-à-porter était classé au plus haut coefficient de la convention collective applicable, disposait d’une véritable autonomie dans l’organisation de son travail, et bénéficiait de hautes responsabilités, mais ne pouvait pas pour autant avoir le statut de cadre dirigeant puisqu’il ne participait pas à la direction de l’entreprise.
Lorsque l’on parle de direction de l’entreprise, il faut entendre la direction stratégique de l’entreprise. Le cadre dirigeant ne peut se contenter de mettre en œuvre les décisions prises par la Direction en dehors de lui. (Cass, soc, 18 juin 2008, n°07-40.427) Même s’il se trouve dans un lien de subordination avec l’entreprise, son rôle doit néanmoins se distinguer intrinsèquement de celui d’un simple cadre autonome.
3. Le risque de réclamation de paiement des heures supplémentaires
Le statut de cadre dirigeant exclut l'application de la règlementation relative à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires de travail, au repos et aux jours fériés.
Or de plus en plus de cadres dirigeants tentent de contester leur statut pour se voir appliquer la durée légale du travail et par voie de conséquence obtenir le paiement d’heures supplémentaires. Si le juge écarte ce statut, le cadre se trouve soumis à la durée légale du travail, soit 35 heures hebdomadaires et peut prétendre alors au paiement des heures supplémentaires accomplies.
Il lui faut cependant rapporter la preuve des heures supplémentaires accomplies. Il ne pourra pas en effet se contenter de prétendre étant cadre dirigeant il a nécessairement travaillé plus que la durée légale.
Dans un arrêt du 16 mai 2013 (n° 11-28903), la chambre sociale de la Cour de Cassation a considéré « que pour faire droit à la demande d'heures supplémentaires, la cour d'appel retient qu'à l'appui de sa demande, le salarié produit des éléments de sa messagerie électronique factuellement insuffisants pour étayer le volume horaire de travail hebdomadaire allégué, qu'en réplique, l'employeur fait état d'un recensement des messages adressés par le salarié à la hiérarchie de janvier 2005 à décembre 2006, indiquant que 15 % des messages sont passés hors horaire d'ouverture de la concession et qu'il semble donc admis qu'il s'est trouvé sur son lieu de travail au-delà de 35 heures hebdomadaires, vraisemblablement accomplies pendant les heures d'ouverture, à concurrence de 15 % des dites 35 heures, soit 5, 25 heures supplémentaires ; Qu'en statuant ainsi, par des motifs dubitatifs, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Il faut donc que cette durée effective du travail soit établie avec suffisamment de certitudes pour emporter un rappel de salaire.
S’il obtient gain de cause, les incidences financières pour l’entreprise peuvent être conséquentes. Il est donc indispensable d’analyser précisément les fonctions d’un salarié avant de lui attribuer ce statut qui ne peut être banalisé et qui ne doit concerner qu’une minorité de salariés disposant d’une autonomie quasi-totale dans leur travail, d’un rôle actif dans la direction de l’entreprise, et qui se trouvent inévitablement dans le giron des sphères les plus hautes de l’entreprise.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © ag visuell - Fotolia.com
Auteur
MICHEL François-Xavier
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL RENNES
RENNES (35)
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