Prestation de services ou prêt illicite de main-d’œuvre ? La frontière est ténue lorsqu’il s’agit d’une prestation intellectuelle
Publié le :
28/02/2020
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Quels sont les faits ?
Un salarié embauché par la société A en qualité d’analyste est mis à disposition d’une société B, puis d’une société C à la suite de la liquidation de la société B. Durée de la mise à disposition : 10 ans.Le salarié poursuit devant le conseil de prud’hommes son employeur, la société A et la société utilisatrice, la société C, soutenant que sa mise à disposition constituait un prêt illicite de main d’œuvre et du marchandage.
Comment différencier une fourniture illicite de main-d'oeuvre d'une mise à disposition dans le cadre d'une prestation de services ?
La fourniture illicite de main-d’œuvre se définit comme « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre » (article L. 8241-1 du Code du Travail).Une telle opération est interdite si elle n’est pas réalisée dans le cadre des dispositions relatives au travail temporaire ou aux entreprises de travail à temps partagé notamment.
La fourniture exclusive de main-d’œuvre peut également être licite lorsqu’elle ne poursuit pas de but lucratif : l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition.
Est aussi licite l’opération à but lucratif si son objet n’est pas exclusivement le prêt de main-d’œuvre : c’est le cas de la prestation de services.
La frontière entre la « mise à disposition » dans le cadre d’une prestation de services et les opérations de fournitures de main-d’œuvre tombant sous la qualification de prêt de main-d’œuvre illicite n’est pas toujours aisée lorsqu’il s’agit de prestations intellectuelles ne nécessitant pas ou peu de moyens matériels.
Les juridictions utilisent la méthode du faisceau d'indices : l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation (18 décembre 2019 – N° pourvoi 18-16462) en est un exemple supplémentaire.
En l’espèce le caractère lucratif de l’opération ne faisait pas débat. Le débat portait sur la question suivante : l’opération avait-elle pour objet le prêt exclusif de main d’œuvre ?
Oui, pour le salarié qui mettait en avant :- l’absence de tâches précisément définies relevant d’une technicité spécifique dont l’entreprise utilisatrice ne disposait pas ; il faisait état d’une participation à des activités de moindre niveau
- la longueur de sa mise à disposition qui contreviendrait à l’existence même d’une activité spécifique
- un travail sous l’autorité directe de l’encadrement de l’entreprise utilisatrice (respect des horaires de la société utilisatrice, obligation de badger, accord de l’entreprise utilisatrice pour la pause de ses congés)
La Cour de cassation (Cass. soc. 19 décembre 2019, n° 18-16462 ) rejette son pourvoi et confirme l’analyse de la Cour d’appel qui a jugé que la mise à disposition du salarié auprès de l’entreprise utilisatrice s’inscrivait dans le cadre d’une prestation de services aux motifs que :
- le salarié apportait un savoir-faire spécifique à l’entreprise utilisatrice (missions de maintenance corrective et évolutive en environnement système ; utilisation de logiciels relevant d’un haut niveau de technicité)
- adressait des rapports d’activités à son employeur
- la société prestataire procédait à des entretiens d’évaluation de son salarié, assurait sa formation : le salarié avait donc continué à être pendant toute la durée de sa mise à disposition sous la subordination de l’entreprise prestataire.
Quels sont les enseignements à tirer de cet arrêt ?
- Les enseignements de principe :
La prestation de services intellectuelle qui semble à première vue se résumer à une mise à disposition de personnel se distingue du prêt illicite de main-d’œuvre à partir du moment où le salarié de l’entreprise prestataire effectue (i) une mission définie avec précision (ii) apporte un savoir-faire spécifique à l’entreprise bénéficiaire de cette prestation et (iii) reste sous l’autorité de son employeur (qui garde le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction).
- Les enseignements pratiques :
- La soumission du salarié du prestataire au système de contrôle des horaires et le droit de regard de l’entreprise bénéficiaire de la prestation sur la pause des congés ne sont pas suffisants pour qualifier le lien de subordination entre ce salarié et l’entreprise bénéficiaire (questions relevant de la sécurité ou de la bonne organisation de la prestation), à partir du moment où il est démontré que l’employeur (l’entreprise prestataire) conserve son pouvoir de direction et de contrôle sur l’activité de son salarié (formation et rapports).
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Edith COLLOMB-LEFEVRE
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