Quand la cour de cassation valide les conséquences d’une répartition illégale des charges de copropriété
Publié le :
07/06/2016
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Un syndicat avait assigné un copropriétaire en paiement d’un arriéré de charges de copropriété qui portait sur une quote-part de dépenses afférentes à des travaux de remplacement du garde-corps des balcons, décidés par l’assemblée générale.Au cours de ladite assemblée, il avait également été convenu d’autoriser le syndic à procéder aux appels de fonds relatifs aux travaux calculés sur la base de la clé de répartition des charges communes générales (et donc entre l’ensemble des copropriétaires en fonction de leurs tantièmes).
Or, le copropriétaire débiteur estimait, dans le cadre d’une contestation devenue classique, que cette répartition était illégale, dans la mesure où les balcons, appuis de balcons et balustrades étaient qualifiés de « parties privatives » dans le règlement de copropriété, si bien que la répartition du coût des travaux y afférents ne pouvait être effectuée selon la clé relative aux charges générales, portant sur les parties communes.
Pour autant, ce copropriétaire n’avait pas contesté le procès-verbal de l’assemblée générale ayant décidé les travaux, ni le mode de répartition de leur coût, dans le délai de deux mois prévu par l’article 42 al.2 de la loi du 10 juillet 1965.
Le procès-verbal de l’assemblée générale était donc devenu définitif.
Dans le cadre de la procédure en recouvrement de charges engagée par le syndicat des copropriétaires à son encontre, le copropriétaire débiteur s’était toutefois fermement opposé au règlement des charges dues au titre des appels de fonds relatifs aux travaux litigieux, en soutenant que la décision adoptée en assemblée générale était contraire aux règles impératives de répartition des charges visées à l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965, et devait consécutivement être tenue pour non écrite, de sorte qu’il était fondé à la contester en tout état de cause, et donc reconventionnellement par voie d’exception sur une procédure en paiement de charges.
Or, par un arrêt du 17 mars 2016, la cour de cassation a estimé que « l’assemblée générale des copropriétaires (…) avait définitivement décidé de procéder au remplacement des garde-corps, retenu la proposition d’une entreprise (…) et autorisé le syndic à procéder aux appels de fonds relatifs aux travaux selon la clé de répartition des charges générales », si bien « qu’à moins qu’elle ne soit annulée, cette décision s’imposait à tous les copropriétaires », et « les charges étaient dues selon la clé de répartition retenue par elle ».
Ainsi, selon la cour de cassation, il importait peu, en l’espèce, que la clé de répartition retenue par l’assemblée générale ait été illégale : dès lors que le procès-verbal de cette assemblée générale n’avait pas été contesté dans le délai légal et qu’il était consécutivement devenu définitif, la résolution votée devait obligatoirement être appliquée.
Cette position est conforme à la jurisprudence de la cour de cassation, qui rappelle constamment que les décisions adoptées en assemblée générale (comme d’ailleurs les clauses du règlement de copropriété contraires à des dispositions d’ordre public) sont exécutoires et s’imposent à tous les copropriétaires tant qu’elles n’ont pas été annulées.
Plus précisément, cet arrêt est à rapprocher d’une décision rendue le 13 novembre 2013 par la cour de cassation, qui a jugé qu’une cour d’appel avait, à bon droit, fait application d’une résolution contraire aux dispositions d’ordre public de l’article 10 al.1er de la loi du 10 juillet 1965 et au règlement de copropriété, et qui prévoyait la participation d’un copropriétaire au financement de travaux de réfection d’une cage d’escaliers, alors même que son lot n’était pas desservi par lesdits escaliers (1).
En effet, faute de contestation dans le délai légal, cette résolution était également devenue définitive et le syndic n’avait consécutivement pas d’autre choix que de l’exécuter.
Pour tenter de contourner cette difficulté, la question s’est posée de savoir si le syndicat des copropriétaires n’était pas en droit de voter, au cours d’une assemblée générale ultérieure, une nouvelle résolution annulant et remplaçant la précédente.
Cette « solution » n’est pas si simple, car s’il est classiquement admis que l’assemblée puisse revenir sur une précédente décision, c’est toujours à la condition que la nouvelle résolution ne porte pas atteinte aux droits acquis par les copropriétaires en vertu de la décision précédente.
Or, on pourrait considérer que le fait de décider d’opérer la répartition des charges de travaux sur des bases différentes de celles votées par la précédente décision devenue définitive porterait atteinte à des droits acquis par les copropriétaires (2).
Au contraire, il pourrait être soutenu que, la répartition des charges fixée par la résolution définitive étant illégale, elle ne pouvait créer aucun droit acquis en faveur de tel ou tel copropriétaire : dans l’hypothèse où elle n’aurait pas fait l’objet d’un commencement d’exécution, cette résolution pourrait alors être annulée et remplacée par le vote d’une nouvelle décision fixant des modalités différentes de répartition des charges, cette fois conformes aux dispositions d’ordre public de la loi du 10 juillet 1965.
Rappelons enfin que la position de la cour de cassation aurait, en l’espèce, été différente si la délibération de l’assemblée générale avait introduit dans le règlement de copropriété une clause illicite, concernant - par exemple - la répartition des charges.
Ainsi, il est admis qu’une clause illicite du règlement de copropriété peut être contestée même dans l’hypothèse où elle y aurait été introduite par une délibération d’assemblée devenue définitive (3).
Pareille action relève alors normalement de la prescription trentenaire, certaines décisions paraissant même considérer qu’elle est imprescriptible (4).
Mais l’introduction d’une telle clause généralisant pour l’avenir une clé de répartition illicite est-elle si éloignée du cas de l’espèce où cette clé (tout aussi illicite) aura été retenue pour répartir une dépense présente ?
De quoi laisser songeur et alimenter bien des réflexions…
Index:
1. Civ 3ème, 13.11.2013, n° 11-20.956
2. CA Paris, pôle 4, 2e ch., 22.09.2010, n° 09/08912
3. Civ 3ème, 18.11.2008, n° 07-18.823 ; Civ 3ème, 27.09.2000
4. Civ 3ème, 12.06.1991 ; CA paris, pôle 4, 2ème ch., 04.05.2011, n° 09/22588 ; CA Aix-en-Provence, 4e ch. A, 11.05.1999.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Olivier Le Moal - Fotolia.com
Auteur

MASSON Marien
Juriste
CDMF avocats
GRENOBLE (38)
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