Deux affaires connexes jugées par deux tribunaux d’Etats membres différents, c’est possible!
Publié le :
09/11/2017
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Dans l’hypothèse de recours introduit à l’encontre de plusieurs défendeurs ayant un objet et un fondement différents et n’étant pas liés entre eux par un lien de subsidiarité ou d’incompatibilité, il ne suffit pas que l’éventuelle reconnaissance du bien-fondé de l’un d’eux soit potentiellement apte à se refléter sur l’étendue du droit dont la protection est demandée dans le cas de l’autre pour qu’il y ait un risque de décisions inconciliables.
L’article 8.1 du règlement 1215/2012 définit les principes :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite (en dehors de son domicile et du lieu du contrat):
« 1°) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux à condition que les « demandes soient liées entre elles par rapport si étroit qu’il y a intérêt les instruire et à les juger en « même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient « jugées séparément ».
Qu’entend-on par rapport si étroit et solution inconciliable ?
La Cour de Justice de l’Union Européenne (première chambre 20 avril 2016 numéro C-366/13) a donné son avis en précisant que : « dans l’hypothèse de recours introduit à l’encontre de plusieurs défendeurs ayant un objet et un fondement différents et n’étant pas liés entre eux par un lien de subsidiarité ou d’incompatibilité, il ne suffit pas que l’éventuelle reconnaissance du bien-fondé de l’un d’eux soit potentiellement apte à se refléter sur l’étendue du droit dont la protection est demandée dans le cas de l’autre pour qu’il y ait un risque de décisions inconciliables »
La Cour statuait en application de l’article 6.1 du règlement 44/ 2001 dont les dispositions sont similaires à celles du règlement 1215/2012.
En l’espèce, il s’agissait d’une société de droit italien qui poursuivait devant le tribunal italien de Milan sa société mère holding, qui avait acheté des titres obligataires, en responsabilité pour mauvaise gestion, et la banque allemande, en nullité de la souscription des titres.D’après la CJUE, le fait que l’issue de l’une des procédures est susceptible d’avoir une influence sur l’autre procédure ne suffit pas pour constater qu’il y ait un risque de solutions inconciliables.
Il appartient aux juges nationaux d’apprécier l’existence du lien de connexité ainsi que l’existence d’un risque de solutions inconciliables.
Le raisonnement de la Cour montre qu’il s’agit de deux conditions autonomes et que le risque de solutions inconciliables existe seulement dans le cas où les demandes sont liées.
Il doit exister un lien de dépendance entre les demandes à tel point que le résultat d’un litige conditionnerait le résultat de l’autre.
En France la Cour de cassation (5 avril 2016 N° 13- 22491) a estimé que la seule existence d’identités de fait et de droit suffisait à caractériser le risque de solutions inconciliables.
Il s’agissait d’une affaire de contrefaçon ou un tribunal français était saisi contre des sociétés établies dans des Etats membres différents pour des actes de contrefaçon d’un modèle communautaire et de concurrence déloyale.Les défendeurs appartenaient au même groupe, exerçaient sous la même enseigne, avaient le même fournisseur du produit litigieux et vendaient sur le territoire européen un seul et même produit revêtu la même marque présentée de la même manière au moyen de sites Internet différents mais proches.
Autre exemple d’application de ce règlement 1215/2012 : un arrêt de la cour d’appel de Rouen du 26 octobre 2017.
En l’espèce il s’agissait d’une société belge qui avait conclu à Bruxelles la vente d’un objet mobilier avec une société française.En paiement du prix, la société française avait remis un chèque du montant convenu.
Ultérieurement, l’acheteur avait fait opposition au chèque pour vol dans un premier temps, puis pour utilisation frauduleuse dans un deuxième temps, considérant que la vente était nulle.
La société venderesse avait obtenu mainlevée de l’opposition et le chèque avait été payé.
L’acheteur avait alors engagé une action devant le tribunal français en responsabilité de la banque pour avoir payé son chèque malgré l’opposition, et la banque avait appelé en garantie le vendeur belge en faisant valoir que si le chèque devait être remboursé, la banque serait subrogée dans les droits de l’acheteur et pourrait demander la nullité de la vente pour vice du consentement.
Le vendeur belge a soulevé l’incompétence du tribunal français au profit du tribunal belge, lieu du domicile du défendeur et lieu de la vente. Le tribunal devait se déclarer incompétent.
La Cour d’appel a considéré que les deux affaires faisaient l’objet d’un fondement juridique différent, action en paiement du chèque d’une part, et nullité de la vente d’autre part, et que l’article 8.1 n’avait pas vocation à s’appliquer, faute de risque de décisions inconciliables.
En outre, la banque invoquait l’article 8.2 du règlement européen 1215/ 2012 sur les interventions en garantie qui dispose que le défendeur peut aussi être attrait devant la juridiction saisie à l’origine : « s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande d’intervention devant la juridiction saisie de la demande originaire à moins qu’elle n’ait été formée pour que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente ».
La Cour de Rouen jugeait le lien insuffisant entre les deux affaires pour que soit fait application des dispositions de l’article 8.2 et ce d’autant que l’action dirigée contre le vendeur belge nécessitait l’examen du lien contractuel avec l’acheteur français, contrat qui relevait naturellement de la compétence des juridictions belges.
En conclusion, une procédure d’opposition à un chèque remis en paiement du prix de vente et la procédure de nullité de la vente peuvent être jugés par deux tribunaux d’États membres différents.
Cet article n'engage que son auteur.
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Auteur
Thierry CLERC
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