
Digital Market Act : Les Américains en rêvent ? Les Européens le font !
Publié le :
23/03/2022
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L’idée peut surprendre, tant les critiques pleuvent sur la proposition européenne de Digital Market Act. On se souvient, notamment, de celles de Tim Cook, le patron d’Apple, affirmant que les obligations prévues par le futur règlement européen, pouvant conduire à imposer des alternatives à la seule plateformes AppStore, risquerait de nuire à la vie privée des utilisateurs. En cherchant à réguler les GAFAM, on lèserait finalement les consommateurs… D’autres arguments, plus frontaux, stigmatisent une méthode trop fruste, occultant l’approche économique « par les effets » à laquelle avait habitué l’analyse antitrust des dernières décennies. Et finalement, le projet est suspecté de faire de l’Europe un repoussoir économique…Pourtant, depuis l’élection de Joe Biden, d’autres voix se font entendre outre-Atlantique, sur ce sujet de la régulation des plateformes. Et même du côté des Républicains, comme on a pu le voir lors des débats autour du Tougher Enforcement Against Monopolies Act. S’il n’existe pas de consensus sur la manière, Républicains et Démocrates s’accordent sur la nécessité de mieux encadrer le pouvoir des plateformes.
Evidemment, c’est du côté de la nouvelle administration que le discours est le plus volontariste. Et l’on est presque surpris de retrouver, des éléments de langages qui pourraient résumer l’esprit du Digital Market Act.
En 2017, Lina Khan, la nouvelle présidente de la Federal Trade Commission, plaidait ainsi pour un droit antitrust qui « accorderait une attention particulière aux barrières à l'entrée, aux conflits d'intérêts, à l'émergence de Gatekeepers et aux risques de goulets d'étranglement, à l'utilisation et au contrôle des données, et à la dynamique du pouvoir de négociation ». Et l’on s’aperçoit que la vision américaine de la régulation des GAFAM n’est peut-être pas aussi éloignée de ce qui est en train d’émerger de ce côté-ci de l’Atlantique.
Est-ce si surprenant ? Pas vraiment, car au fond, ce que proposent les Européens, n’est ni plus ni moins qu’un retour aux sources de l’antitrust, à l’époque où celui-ci se souciait d’une surveillance étroite de la structure du marché (ce que l’on appelait jadis, l’école de Harvard).
Bien sûr, la méthode a de quoi surprendre, après des décennies durant lesquelles la doctrine dominante et les juges ont pu insister sur la nécessité d’avoir une approche « pas à pas », circonstanciée…
Mais l’émergence des plateformes « ultradominantes » a remis en cause la pertinence de cet excès de prudence qui pourrait laisser trop d’inertie à des pratiques dont les effets risques d’être irrémédiables. Les architectes de l’antitrust semblent à nouveau favorables à une logique interventionniste reposant sur des présomptions de nocivité de ces pratiques. Un recul de près de 15 ans sur les stratégies adoptées par ces plateformes permettent au demeurant assez bien d’apprécier les dommages faits à l’économie pour proposer des remèdes plus rapides et plus efficaces.
Bien sûr, la méthode n’est pas exempte de critiques, notamment sur la question du champ d’application du texte, déterminé sans nuance et avec imprécision.
On peut aussi regretter qu’aucune place spécifique n’ait été faite aux victimes de ces pratiques pour éviter ou réparer leur dommage.
Mais sur le plan substantiel, la révolution annoncée n’est peut-être pas aussi profonde que ce que l’on veut bien parfois dire. Le Digital Market Act est un outil largement imprégné de l’esprit du droit antitrust. Nombre d’obligations qu’il dessine sont en réalité la reprise de principes dégagés dans les contentieux européens. La jonction faites entre données et puissance économique reprend la trame de la décision Facebook rendu par le Bundeskartellamt (l’autorité de concurrence allemande). L’interdiction du « self-preferecing » évoque la décision Google, tandis que la restriction concernant la distribution sur les « marketplaces » renvoie au contentieux Amazon de la Commission européenne.
Si le Digital Market Act puise dans les précédents, son influence se fait déjà sentir, avant même son adoption. L’administration américaine y voit une source d’inspiration. Quant aux juridictions européennes, le Tribunal de l’Union suggère dans son jugement Google une certaine obligation de neutralité pour les plateformes essentielles qui devance presque la régulation sectorielle annoncée par cet instrument qui s’annonce comme un des textes les plus importants du droit économique européen.
Cet article n'engage que ses auteurs.
Auteurs

Luc-Marie AUGAGNEUR
Avocat Associé
CORNET VINCENT SEGUREL LYON
LYON (69)
Jean-Christophe RODA
Historique
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