Les procédures d'insolvabilité en Europe
Publié le :
17/05/2011
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En cas d'insolvabilité une procédure collective est ouverte par le Tribunal dans le ressort duquel se situent le centre des intérêts principaux du débiteur c'est-à-dire là où il gère habituellement ses intérêts.
Procédures d'insolvabilité en Europe: ouverture et applications
Introduction : Halte au forum shopping :
La salle de la Villa GALLIA où se tient notre congrès de la Confédération Nationale des Avocats à Côme est emplie de belles fresques anciennes.
Dans une registre plus contemporain la bande dessinée nous fournit un exemple de ce que le législateur européen a voulu éviter dans les affaires : l'évasion des Dalton sans cesse renouvelée donne l'occasion au héros Lucky Luke de se distinguer. L'évasion des avoirs d'entreprises en plus ou moins grande difficulté a donné l'occasion de restreindre le sacro-saint principe communautaire de libre circulation des avoirs et des marchandises.
Les droits régissant ces biens et avoirs étant loin d'être harmonisés il fallait appliquer un autre principe communautaire qui est la reconnaissance mutuelle des décisions d'ouverture de procédures d'insolvabilité. Toutefois pour éviter les disparités des législations une seule procédure pouvait s'avérer insuffisante, notamment en fonction de la règle de droit international privé : lex rei sitae applicable aux immeubles : il a donc fallu permettre l'ouverture de procédures secondaires dans les pays d'implantation des biens concernés.
D'autre part ces mêmes disparités de législations permettaient aux entrepreneurs peu scrupuleux de choisir véritablement la législation la moins répressive pour faire reconnaitre leur insolvabilité et échapper ainsi aux poursuites individuelles d'une part et aux sanctions de l'autre.
Sans viser l'objectif irréaliste d'une harmonisation des législations des pays membres de l'Union Européenne, les buts poursuivis ci-dessus ne pouvaient être atteints que par un Règlement dont la force contraignante et l'applicabilité dans les droits internes assurait l'efficacité. C'est le Règlement du Conseil 1346/2000 du 29 juin 2000 d'ailleurs exclusif des Règlements dits Bruxelles I et II.
Tenter une définition des procédures avant d'en aborder le régime interétatique plus que supra étatique que constitue ce Règlement est une nécessité première de la présente intervention sans quoi le reste ne serait pas compréhensible.
" Procédure collective fondée sur l'insolvabilité du débiteur qui entraine le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d'un syndic." : telle est la définition donnée par le Règlement lui-même.
Quant au champ d'application négatif:
Rationae loci : en sont exclus le Danemark, le Royaume-Uni en cas d'incompatibilité avec une législation du Commonwealth et tous pays pour lequel la Directive est incompatible avec une Convention antérieure signée avec un ou plusieurs pays tiers.
Rationae materiae : en sont exclus les entreprises d'assurances, les établissements de crédit, les entreprises d'investissements qui fournissent des services ou détiennent des fonds ou valeurs mobilières, les organismes de placements collectifs.
Nous voyons que comme le clavecin la reconnaissance mutuelle est tempérée (sans jeu de mots). Est-ce de la méfiance réciproque ?
I - OUVERTURE :
A – Lieu :
En cas d'insolvabilité une procédure collective est ouverte par le Tribunal dans le ressort duquel se situent le centre des intérêts principaux du débiteur c'est-à-dire là où il gère habituellement ses intérêts.
Il n'y a pas de présomption que ce soit le domicile du débiteur ( Cass. Com. 28.10.08 n° 06-16108; 07.10.08 n° 07- 18804;15.0211 n° 10-13832).
La procédure est ouverte dans le pays du centre des intérêts principaux et elle est unique ou multiple. Ici à Côme il n'y aurait aucun problème pour la définition de ce centre des intérêts pour les descendants des Celtes Orobiae établis depuis l'âge de bronze mais ce serait plus difficile pour Pline le Jeune, Léonard de Vinci, Stendhal ou Roosevelt simples passants sans souci.
B – Procédure :
En effet outre cette procédure principale peut être ouverte une procédure secondaire :
- Avant même la procédure principale si les créanciers locaux le demandent qui deviendra secondaire dès la procédure principale ouverte,
- Après la procédure principale en cas d'établissement dans un autre pays membre et elle sera limitée à ce pays.
C – Recours :
La tierce opposition formée par les créanciers établis dans autre Etat membre est recevable (Cass. Com. 30 juin 2009 n°s 08_11902 à 08_11906 Eurotunnel); elle est fondée si le débiteur ne fournit pas l'inventaire de ses biens situés dans un autre pays ni le passif y contracté (Cass. Com. 24 juin 2010 n° 09-67469 pour un allemand ayant saisi un tribunal français) alors que son activité et les instruments de celle-ci étaient installés en Allemagne.
D – Loi applicable :
1 – Cas général : C'est la loi du pays d'ouverture pour le déroulement et la clôture de la procédure principale, la procédure secondaire étant régie par la loi du pays où elle a été elle-même ouverte.
Selon l'article 4 du Règlement cette loi régit les règles matérielles de la procédure : définition du débiteur, des biens concernés, des pouvoirs respectifs du débiteur et du syndic, les effets sur les procédures et les contrats en cours, les poursuites individuelles, les créances et leur déclaration.
2 – Cas particuliers :
- Pour les instances en cours c'est la loi du pays où elles se déroulent,
- Pour les biens immobiliers la loi du pays d'implantation,
- Pour les relations du travail c'est la loi de l'Etat membre applicable au contrat de travail. Il en est de même pour les institutions de garantie des salaires (CJUE 10 mars 2011 Defossez)
- Pour les droits et obligations liés aux systèmes de paiement ou aux marchés financiers…
3 – Exceptions :
Ne sont pas affectés par la procédure d'insolvabilité et la loi du pays d'ouverture :
(cf art. 5,6 et 7 du Règlement) :
- Les droits réels des tiers
- Les droits de compensation par un créancier
- Le droit du vendeur bénéficiant d'une clause de réserve de propriété
- Les droits sur les immeubles, navires, aéronefs qui sera la loi du registre public où ils sont inscrits
- Les droits relatifs à des brevets régis exclusivement par la procédure principale.
E – Les Effets :
Leur examen conduit à étudier la reconnaissance de la décision d'ouverture et ses conséquences.
1 – Principe :
- Le jugement d'ouverture dans un pays membre a un effet immédiat, même sans publicité – qui sera cependant à effectuer si elle est obligatoire en vertu de la législation du pays d'ouverture – sans contrôle supplémentaire même si le débiteur n'est pas susceptible d'être l'objet d'une telle procédure dans les autres pays.
Lorsque la publicité a été effectuée elle entraine présomption de connaissance de la procédure d'insolvabilité.
- Toutefois la loi de l'Etat d'ouverture n'est pas applicable à celui qui a bénéficié d'un acte préjudiciable à l'ensemble des créanciers s'il apporte la preuve que :
- cet acte est soumis à la loi d'un autre Etat membre que celui de l'ouverture
- et cette loi ne permet pas, en l'espèce, d'attaquer cet acte.
La simple présentation d'une copie certifiée conforme de la décision éventuellement traduite dans la langue du pays où le syndic entend agir, si ce pays l'exige, même si aucune procédure secondaire n'est ouverte.
La CJUE par un arrêt du 21 janvier 2010 C 444/07 a reconnu l'applicabilité de la loi polonaise du jugement d'ouverture prévoyant la suspension des poursuites à une mesure conservatoire pratiquée en Allemagne sur des biens allemands.
Ce principe est comme toujours assorti d'exceptions et comporte un bémol.
- La première exception est relative aux effets contraires aux règles d'ordre public du pays d'application
- La seconde exception touche les décisions limitant le secret postal ou les libertés individuelles
- Le bémol consiste en ce que la limitation du droit des créanciers n'est possible que pour ceux qui ont donné leur accord.
2 – Conséquences :
2-1 : Premier principe : l'interruption des instances et l'invitation à déclarer les créances (Cass. Com. 23 janv. 2007 n° 04/5976)
2-2 : Second principe : le syndic peut agir conformément à la loi d'ouverture. Il a pouvoir de déplacer les biens du débiteur ou exercer toute action révocatoire si des biens ont été transférés après le jugement d'ouverture.
2-3 : Limites : le syndic doit respecter la loi du pays où il agit et les droits des tiers (art. 18), notamment du vendeur avec réserve de propriété (art.6).
2-4 : Bémol : Un créancier qui a recouvré tout ou partie de sa créance doit restituer au syndic ce qu'il a obtenu (selon les termes de la loi française du 25 janvier 1985 et sa numérotation ou aurait dit : " Le docteur syndic a prié le créancier malade dire "33" ce qui l'a fait tousser et cracher ses louis d'or". Toutefois le débiteur du débiteur qui a payé le débiteur de bonne foi au lieu du syndic n'a pas à restituer à condition que le paiement ait eu lieu avant la publicité de la décision d'ouverture.
3 - Pouvoirs du syndic :
3-1 : il a les pouvoirs d'administration et d'organisation et de préparation d'un plan ou d'une cession en dehors même de la réalisation des actifs et de la répartition en cas de liquidation
3-2 : il a les devoirs de coopération civile et commerciale :
- Le syndic doit établir un compte consolidé des dividendes de tous les pays de l'Union où une procédure est ouverte
- Le syndic doit respecter l'égalité et collaborer avec les syndics des procédures secondaires et vice versa
- Le syndic peut faire une publicité bien que celle-ci ne soit pas une condition de reconnaissance de la procédure dans un autre pays.
II APPLICATIONS :
A – Décisions concernées :
- Toute décision relative au déroulement et à la clôture, concordat compris, est reconnue au même titre que celle de l'ouverture de la procédure, (art. 25)
o Y compris celles qui en dérivent directement ou s'y insèrent même rendues par une autre juridiction
o Y compris celles relatives aux mesures conservatoires,
- Toutefois pour une procédure secondaire en France rétive encore faut-il constater la cessation des paiements (Cass. Com. 18 mars 2008 n° 06-20749).
L'exécution de la décision se fera conformément au règlement Bruxelles II dont il vous a déjà été parlé.
- Cependant dans le cas d'une procédure en extension pour confusion des patrimoines la question de savoir si ce sont les règles de la procédure principale ou celles de la procédure secondaire qui s'appliquent a fait l'objet d'une question préjudicielle posée le 13 avril 2010 par la Cour de Cassation (n° 09-12642).
B – Ouverture d'une procédure postérieure secondaire :
C'est la justification seconde du règlement européen après la reconnaissance mutuelle.
Si l'importance des biens du débiteur dans un autre pays de l'Union le justifie le syndic de la procédure principale ou toute autre personne ou autorité est habilitée en fonction de la loi du pays dans lequel l'ouverture est demandée; il n'est pas nécessaire que l'insolvabilité du débiteur soit constatée dans ce pays.
La procédure secondaire ne peut être qu'une procédure de liquidation.
1 - Obligations et facultés :
- Obligation de production des créances par les créanciers "secondaires"
- Obligation de production des créances par le syndic secondaire à la procédure principale
- Obligation, lorsque le pays de la procédure secondaire l'exige et en cas d'insuffisance de l'actif s'y trouvant, pour le demandeur à l'ouverture d'une procédure secondaire de faire l'avance des frais ou donner une garantie (art. 30).
2 – Déroulement et clôture :
- La procédure secondaire peut être suspendue trois mois si le syndic principal le demande sous réserve que ce soit l'intérêt des créanciers de la procédure principale
De la même manière la fin de la suspension peut être sollicitée par le syndic principal si elle est nécessaire pour les créanciers des deux procédures
- Le syndic principal peut demander la conversion en liquidation judiciaire de la procédure secondaire ouverte auparavant si elle est utile aux créanciers
- La clôture de la procédure secondaire intervient sur la demande ou avec l'accord du syndic principal ou, à défaut, si elle n'affecte pas les créanciers de la procédure principale
Le syndic de la procédure secondaire DOIT transférer les actifs dans la procédure principale (art. 35)
- Lorsqu'un syndic provisoire est nommé par la juridiction de l'établissement principal du débiteur pour assurer la conservation des biens, ce syndic provisoire est habilité à demander toute mesure de conservation ou de protection sur les biens du débiteur qui se trouvent dans un autre Etat membre prévue par la loi de cet Etat jusqu'au jugement d'ouverture (art.38).
C – Droits et obligations des créanciers :
- Une information dans la langue de la procédure principale doit être donnée aux créanciers connus par la juridiction ou le syndic ou encore toute autorité devant recevoir la production; un formulaire à la Prévert ou à la Jean-Michel Hocquard a été établi dans toutes les langues de l'Union Européenne portant le titre "Invitation à produire une créance. Délais à respecter"; à défaut de formulaire d'invitation à déclarer la forclusion n'est pas opposable. (Cass. Com. 7 juil. 2009 07-17028 et 07-20220)
- La production de la créance doit se faire par ECRIT selon les formes et délais du pays d'ouverture (Cass. Com. 16 nov. 2010 n° 09-16572) en précisant la nature, le montant, la date de naissance de la créance, les privilège, sûreté ou clause de réserve de propriété la garantissant et sur quels biens et en joignant les pièces justificatives.
La production doit se faire par une personne habilitée (Cass. 22 juin 2010 n° 09-65481) encore que la justification des pouvoirs puisse être fournie par une attestation postérieure à l'expiration du délai (Cass. Com. 15 déc. 2009 n° 08-14949).
- La production peut se faire dans la langue de l'Etat du domicile du créancier (mais la traduction peut en être réclamée); les mots "PRODUCTION DE CREANCE" doivent cependant figurer dans la langue du pays d'ouverture (art.42 du règlement).
D – Droit transitoire :
Le Règlement s'applique aux procédures postérieures à l'entrée en vigueur fixée au 31 mai 2002 (cf. Cass. Com. 8 juil. 2008 n° 07-15010 pour une procédure ouverte en…1993!)
Le Règlement remplace les Conventions bi ou multilatérales.
Un rapport doit être déposé sur son application au plus tard au 1er juin 2012 afin de le modifier ou compléter.
CONCLUSION
Le remède européen à l'insolvabilité n'est ici que palliatif mais d'autres dispositions de la législation européenne tendent à éviter que les débiteurs ne soient en cessation des paiements.
La Directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 sur les retards de paiements dans les transactions commerciales (le crédit fournisseur étant très supérieur au crédit bancaire) a visé ce but mais sans doute était-elle insuffisante puisque vient d'être publiée le 17 février 2011 la Directive 2011/7/UE qui porte le même nom et resserre les délais y compris pour les Etats et collectivités territoriales.
Toutefois rien de comparable à la législation européenne fournie relative à la protection des consommateurs y compris en matière de crédit enfin introduite en France.
Pour l'insolvabilité pas de droit commun ni de procédure commune européenne notamment pour les sanctions.
Liberté, sécurité, justice figurent au fronton de l'espace européen et sont en exergue de ce Règlement mais c'est le bon fonctionnement du marché européen qui motive la recherche du bon fonctionnement des procédures d'insolvabilité lesquelles relèvent du domaine de la coopération judicaire civile au sens du Traité, thème que nous allons (et que nous avons) abordé dans ce Congrès de Côme exemple de coopération franco-italienne réussie.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © alain wacquier - Fotolia.com
Auteur
PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
Eklar Avocats
MARSEILLE (13)
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