Faute grave : La carrière exemplaire du salarié atténue-t-elle sa faute ?
Publié le :
31/05/2024
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Le comportement inadapté et harcelant d’une salariée caractérise une faute grave, nonobstant l’ancienneté et l’absence d’antécédents disciplinaires de la salariée.C’est la solution qu’a retenue la Chambre sociale de la Cour de cassation s’agissant d’une salariée, bénéficiant pourtant d’une ancienneté de plus de 22 ans au sein d’une entreprise, au cours desquels elle avait toujours donné satisfaction à son employeur.
Pour preuve, cette salariée, initialement embauchée en 1996 en qualité de secrétaire, avait même été promue assistante marketing en 2010.
En dépit de son parcours professionnel jusque là irréprochable, cette salariée s’est vu notifier son licenciement pour faute grave le 2 mai 2018, licenciement qu’elle n’a pas manqué de contester en saisissant la juridiction prud’hommale, afin de le voir requalifié en licenciement privé de cause réelle et sérieuse.
Déboutée de ses demandes par la Cour d’appel de PARIS, la salariée s’est pourvue en cassation, faisant notamment valoir que, très appréciée de ses supérieurs hiérarchiques pour la qualité de son travail et de ses relations avec sa hiérarchie et ses collègues de travail, et n’ayant jamais fait l’objet du moindre reproche en vingt-deux ans de carrière, elle attirait la jalousie des autres salariés et était perçue comme la salariée « à abattre ».
Au soutien de son pourvoi, elle rappelait également que le licenciement pour faute grave devait être fondé sur des éléments précis et matériellement vérifiables, personnellement imputables au salarié, d’une importance telle qu’ils rendent impossible son maintien dans l’entreprise, et qu’en tout état de cause, la faute grave devait être appréciée in concreto, en tenant compte de l’ancienneté du salarié, de ses qualités professionnelles et de ses antécédents disciplinaires.
Elle faisait ainsi grief aux juges du second degré d’avoir retenu, pour juger son licenciement fondé sur une faute grave, qu’elle aurait adopté un comportement inadapté et harcelant, sans prendre en considération, pour apprécier la légitimité du licenciement, son comportement antérieur, exempt de tout reproche depuis son embauche en 1996, de même que le fait qu’elle n’ait jamais fait l’objet, en vingt-deux années d’ancienneté, de la moindre sanction disciplinaire.
La Chambre sociale (Cour de cassation, Chambre sociale, 14 février 2024, N°22-23.620 ) n’a toutefois pas suivi cette argumentation et a confirmé la position de la Cour d’appel, laquelle a retenu que la salariée avait adopté un comportement se manifestant par des critiques, des moqueries, de la violence verbale et physique, une déstabilisation dans les relations professionnelles et une forme de manipulation allant au-delà de simples plaisanteries entre collègues, et que l’ambivalence de la salariée était source de souffrance au travail.
Si en pratique le juge tient compte des circonstances de fait pour apprécier la faute, telle que l’ancienneté du salarié, le fait qu’il s’agisse d’un acte isolé, ou de potentielles provocations, permettant dans certains cas d’enlever à la faute sa gravité, comme en témoigne la jurisprudence de la Chambre sociale qui a, à de nombreuses reprises écarté la faute grave lorsque l’acte était exceptionnel, et l’ancienneté du salarié conséquente (Cass. Soc., 13 juin 20021, N°99-43.814), les salariés ne sauraient se retrancher derrière une longue carrière dans l’entreprise et une absence d’antécédents disciplinaires, dans le cas d’une faute d’une particulière gravité.
Dans ce cas d’espèce, la carrière exemplaire de la salariée, de même que son ancienneté, n’ont pas suffi à atténuer la gravité des faits commis par elle, ayant consisté en un comportement toxique et harcelant.
Cette décision s’inscrit donc parfaitement dans la récente trajectoire jurisprudentielle de la Chambre sociale qui a tenu la même position dans le cas de violences physiques (Cass. Soc., 9 juin 2021, N°20-14.365), et de propos dégradants à caractère sexuel tenus à l’encontre d’une collègue de travail (Cass. Soc., 27 mai 2020, N°18-21.877).
En définitive, les employeurs sont une fois de plus incités à veiller au bien-être de leurs collaborateurs par le biais de la prévention des risques psycho-sociaux dont fait incontestablement partie le harcèlement moral.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Eloïse GRAS-PERSYN
Avocate
CORNET VINCENT SEGUREL LILLE
LILLE (59)
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