Le licenciement économique
Publié le :
18/03/2008
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Une société bénéficiaire est fondée à procéder à des licenciements économiques si la branche d'activité du groupe à laquelle elle appartient connaît des difficultés économiques.
Cadre d'appréciation des difficultés économiques : Vidéocolor à rebours...A première vue, un attendu qui prend la tournure classique d'une position affirmée avec force depuis 1995 : "Mais attendu que les difficultés s'appréciant au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise qui licencie...".
Rien qui ne semble heurter cette solution désormais bien assise en vertu de laquelle le périmètre d'appréciation de l'élément causal du licenciement économique - en l'occurrence les difficultés économiques - est celui du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise.
Une formule qui a précédé la condamnation de maints licenciements économiques prononcés dans une entreprise certes en difficulté, mais appartenant au secteur d'activité d'un groupe florissant.
Mais en poussant plus avant la lecture, la Cour de cassation nous dévoile une application toute particulière de ce principe.
Au risque de s'éloigner définitivement de la lettre de l'article L. 321-1 du Code du travail, cet attendu illustre un cas d'espèce dans lequel la société ayant procédé au licenciement économique était certes bénéficiaire, mais appartenait au secteur d'activité d'un groupe en difficultés économiques.
La Cour de cassation en déduit que le licenciement économique était dès lors fondé sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 28 nov. 2007 n° 06-40.489, FS-P+B).
Retour sur un principe dont on découvre la logique application à rebours.
A. LE PRINCIPE VIDEOCOLOR
On peut retenir plusieurs sources possibles à l'évolution de la jurisprudence qui a fait de la branche d'activité au niveau du groupe le périmètre d'appréciation des difficultés économiques en matière de licenciement économique.
Sans aucun doute la constatation selon laquelle des entreprises situées sur le territoire national, procédaient à de nombreux licenciements économiques, dans des secteurs industriels et commerciaux pourtant en pleine expansion, au profit d'autres sociétés du même groupe situées dans d'autres pays du monde pratiquant un "dumping social", pour des raisons de rentabilité économique pure, a pesé de tout son poids sur la fixation du périmètre d'appréciation des difficultés économiques.
Sans doute également, suivant sa vocation et sa mission première, le juge s'est attaché à restituer aux faits leur exacte qualification sans s'arrêter aux frontières juridiques des personnes morales, au profit, s'agissant de l'appréciation des difficultés économiques, d'une appréciation à l'échelle de l'activité économique à laquelle est rattaché le travail du salarié.
On peut constater une marque forte de cette motivation dans le soin mis par la Haute Juridiction à employer des termes dont les contours en termes économiques sont parfaitement clairs (entreprise, branche d'activité, etc...), au préjudice des concepts juridiques réducteurs à cet égard, telle que la notion de société.
C'est ainsi que la Cour de Cassation, à propos de l'élément causal que constituent les difficultés économiques (1) a précisé qu'il s'appréciait au niveau du groupe auquel l'entreprise appartient, et plus précisément encore au secteur d'activité du groupe auquel elle participe (2).
Par ailleurs, très rapidement il a été considéré qu'il convenait de raisonner à l'échelle internationale et de ne pas réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national (3).
Ces jurisprudences, toujours réaffirmées, constituaient au regard de la lettre de l'alinéa 1 de l'article L. 321-1 du Code du travail, des perspectives plus larges, étant entendu que le Code du travail évoque "Le licenciement effectué par un employeur", consécutif "notamment à des difficultés économiques".
La lecture stricte du texte permet de considérer que "un employeur" aurait pu être réduit à la personne physique ou morale signataire du contrat de travail.
C'est dans ce contexte que le cas d'espèce soumis à la Cour de Cassation est intervenu.
B) UN CAS D'ESPECE SINGULIER
Ainsi, alors qu'habituellement la jurisprudence de la Cour de Cassation a été mise en place pour éviter que des sociétés déficitaires sur le territoire national procèdent à des licenciements économiques considérés comme fondés, alors que le secteur d'activité du groupe auquel elles appartiennent réalise de confortables profits à l'échelle internationale, le cas d'espèce présentait une singularité :
- un secteur d'activité à l'échelle d'un groupe international, en difficultés financières non contestables (s'agissant de produits mécaniques - en l'occurrence des pompes - les sociétés appartenant à la branche d'activité étant situées sur le territoire européen et au-delà) ;
- la seule société du groupe située en France poursuivant une activité bénéficiaire, du fait d'un contexte particulier ;
- des licenciements pour motif économique intervenant au niveau de cette filiale française.
C'est ainsi que vingt et un salariés licenciés ont saisi la juridiction prudhomale d'une contestation notamment de la cause économique de leur licenciement au titre de l'absence de difficulté économique de la société qui les employait.
Accueillant favorablement leurs demande, le Conseil de Prud'hommes a considéré qu'il convenait non seulement que les difficultés économiques soient caractérisées au sein de la branche d'activité à l'échelle internationale du groupe, mais également qu'elles soient caractérisées à l'échelle de la société qui les employait (Conseil de prud'hommes, Tours, 3 janvier 2005, EMK/Barbie et Autres).
A l'inverse la cour d'appel saisie a considéré que la situation de la société ayant procédé aux licenciements était sans incidence dès lors qu'il était établi que le secteur d'activité au sein du groupe connaissait des difficultés économiques non contestables (Cour d'appel d'Orléans, 24 novembre 2005, n° 06/00917).
C'est dans ces conditions que les salariés ont régularisé un pourvoi en cassation en faisant valoir entre autres moyens de cassation le fait que la cause économique devait être appréciée également au niveau de la société ayant procédé aux licenciements, laquelle enregistrait de très bons résultats financiers au regard de l'article L. 321-1 du Code du travail.
C) UNE LOGIQUE APPLICATION DU PRINCIPE A REBOURS
L'enjeu était important dans la mesure où la position développée par les salariés, indépendamment du sentiment de frustration et nonobstant l'intérêt général pour la collectivité des salariés de la branche d'activité concernée, pouvait prendre appui sur la lettre de l'article L. 321-1 du Code du travail : ce texte évoque en effet les difficultés économiques de l'employeur, c'est-à-dire de la personne morale ou physique signataire du contrat de travail comme il a été indiqué ci-dessus.
Il est à noter que n'étaient pas invoqués au titre de l'élément causal du licenciement économique, la sauvegarde de la compétitivité ou des mutations technologiques.
Les salariés licenciés considéraient donc qu'il convenait d'apprécier les difficultés économiques à l'échelle de la branche d'activité au niveau du groupe et de caractériser lesdites difficultés économiques à l'échelle de l'employeur également.
Ce caractère cumulatif des deux périmètres d'appréciation, l'un s'imbriquant dans l'autre, procède d'un raisonnement qui aurait pu, a contrario, être celui qui a inspiré un récent arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation le 18 septembre 2007 aux termes duquel la Cour avait constaté que les difficultés économiques n'étaient caractérisées ni à l'échelle de l'entreprise, ni à l'échelle de la branche d'activité au sein du groupe auquel elle appartenait (4).
C'est cependant sans ambiguïté que la Cour de cassation a refusé de s'inscrire dans cette complication juridique complémentaire en s'inscrivant résolument, jusqu'à son aboutissement ultime, dans le sens de la jurisprudence relative à la branche d'activité à l'échelle du groupe.
Elle a ainsi retenu que "les difficultés s'appréciant au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise qui licencie, la cour d'appel qui n'est pas sortie des limites du litige fixés par la lettre de licenciement n'avait pas à rechercher si les résultats de la société ayant procédé aux licenciements étaient bénéficiaires".
L'"attendu" de cet arrêt publié est d'autant plus fort qu'il intervient au visa du rôle causal des difficultés économiques et non au visa du rôle causal des mutations technologiques ou de la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise...
C'est ainsi que résolument la Cour de cassation considère qu'il est parfaitement possible pour une société dont les résultats sont bénéficiaires d'invoquer de façon pleinement justifiée des difficultés économiques comme cause du licenciement de ses salariés, à compter du moment où elle justifie que le secteur d'activité du groupe auquel elle appartient connaît des difficultés économiques dûment caractérisées.
Par là même, tout en prenant en compte sur le plan social la collectivité internationale des salariés des sociétés composant le secteur d'activité d'un groupe, puisque le licenciement des uns est destiné à éviter celui des autres, la Cour de cassation s'inscrit dans une logique incontestable de qualification véritable des faits qui transcende les structures juridiques habituelles : l'activité du salarié n'est pas rattachée à un employeur au sens juridique et habituel du terme, mais à un employeur qui constitue plutôt une entité économique, une branche d'activité susceptible de ne pas se confondre avec les structures juridiques.
L'avenir dira si des situations de fait, identiques à celles du présent cas d'espèce, sont susceptibles de se renouveler.
(1) Jean-Yves FROUIN : La légalité du licenciement pour motif économique ; Semaine Sociale Lamy, 5 septembre 2005 n° 1226 p. 437.
(2) Cass. soc. 5 avril 1995 n° 93-42.690, Bull. civ. V, n° 123 ; rapp. B. Boubli, Semaine Sociale Lamy, n°740, p. 8 et s. : "Les difficultés économiques doivent être appréciées au regard du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée"
(3) Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.571, Bull. civ. V, n° 214 : "Les difficultés économiques invoquées à l'appui d'un licenciement pour motif économique doivent être appréciées au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national".
(4) Cass. soc. 18 septembre 2007, n°06-42 702 : "la cour d'appel, qui a constaté l'absence de difficultés économiques actuelles ou prévisibles tant au niveau de l'entreprise qu'au niveau du groupe auquel elle appartenait, a (...) légalement justifié sa décision".
Liens- Le licenciement pour motif économique
- Code du travail
- Arrêt du 18 septembre 2007
- Contentieux
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
VACCARO François
Avocat Associé
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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