Retour sur le premier bilan d'étape de la mission lescure
Publié le :
20/02/2013
20
février
févr.
02
2013
Réorientation de la répression vers les intermédiaires techniques, création de nouvelles exceptions au droit d'auteur, l'heure est aux premiers bilans pour la Commission Lescure.
Bilan à propos du téléchargement illégal et du droit d'auteurPierre Lescure, qui s’est vu confié en août 2012 (lettre de mission) par la Ministre de la Culture Aurélie Filipetti une ambitieuse mission de «concertation sur les contenus numériques et la politique culturelle à l’ère du numérique», a fait un premier bilan d’étape en décembre 2012 (1).
Un bilan du travail soutenu de sa Commission éponyme qui s’est organisé assez classiquement autour de l’audition des acteurs du numérique, et de quelques déplacements en province assez novateurs sur la forme et dans l’intention. Mais pas des contributions ou des commentaires des internautes car le blog participatif (www.culture-acte2.fr) n’a attiré pas grand monde; la discussion, fortement technique, économique et juridique n’ayant pas mobilisé, c’était assez prévisible, au-delà des sphères habituelles.
Les débats se sont concentrés sur la question de la répartition de la valeur entre les différents acteurs du numérique, créateurs, éditeurs ou diffuseurs, intermédiaires techniques, et les principales pistes de réflexion ont déjà fait l’objet de vifs commentaires sur le net, selon l’intérêt catégoriel représenté, témoignant de la difficulté de trouver un consensus lorsqu’on s’attaque, sur le fond, aux principes touchant à la neutralité du net.
Les parties du bilan d’étape consacrées, d’une part, à la lutte contre le piratage et, d’autre part, à l’adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique appellent également quelques observations.
Sur la question des téléchargements et des exploitations illicites des œuvres (essentiellement films, séries et musique), l’état des lieux est connu de tous : Malmenée par le candidat Hollande à l’élection présidentielle, et plus encore par sa Ministre de la Culture, HADOPI a définitivement cessé de plaire, plombée par sa très impopulaire et pour beaucoup liberticide mesure de suspension de l’abonnement internet, et par une inefficacité liée à l’obsolescence d’un champ d’action concentré sur le Peer to Peer à l’heure où les internautes sont tournés vers d’autres types de pratiques (de type streaming et téléchargement).
La Commission Lescure affiche clairement ses intentions : alors qu’HADOPI ciblait, de manière pédagogique d’abord, puis par la sanction, les internautes utilisateurs, il est désormais question de «réorienter la répression » vers les véritables bénéficiaires financiers de la contrefaçon, c’est-à-dire les «sites (sites de streaming ou de téléchargement, hébergeurs, annuaires de torrents…) qui tirent un profit commercial de leurs atteintes massives et répétées aux droits de propriété intellectuelle».
Soit, mais à dire vrai, on ne comprend pas bien en quoi les deux approches ne seraient pas complémentaires.
S’il faut sans doute réajuster des dispositifs qui n’ont pas fait la preuve de leur pleine efficacité, un tel signal risque de déresponsabiliser les internautes, ce qui n’est pas très bon non plus.
C’est d’autant plus vrai que la « réorientation de la répression » en direction des intermédiaires techniques suggère des solutions alternatives à première vue peu novatrices voire déjà mises en œuvre, ou qui risquent pour certaines de se heurter au droit de l’Union Européenne.
- « mieux responsabiliser les hébergeurs en les obligeant à retirer promptement les contenus illicites et à prévenir leur réapparition, et en renforçant la coopération judiciaire internationale pour punir les sites récalcitrants » ?
S’agissant de la responsabilisation des hébergeurs, la loi de confiance dans l’économie numérique dite « LCEN » est un outil qui répond déjà largement à la problématique de la suppression rapide des contenus illicites.
Le sujet de la réapparition de contenus déjà signalés est un sujet déjà ancien qui empoisonne les relations entre titulaires de droits et hébergeurs (exemple récent : jugement TGI PARIS, 13 septembre 2012 (2) ). Mais la lutte contre la réapparition de contenus signalés (ce que l’on appelle le «notice and stay down») donne déjà lieu à des coopérations entre les grands hébergeurs de contenus et les titulaires de droits, sur une base contractuelle, via les bases d’empreintes numériques.
Quant à la coopération internationale, il y a effectivement un consensus depuis des années sur le sujet : beaucoup de sites problématiques en termes de diffusion de contenus illicites sont hébergés dans des pays extérieurs à l’Union, et parfois exotiques, rendant vaines les poursuites engagées sur le territoire européen. Il faudra donc dépasser le stade de ce constat bien connu, pour voir les propositions concrètes de la Commission sur le sujet. La tâche sera ardue, car la mise en place d’instruments juridiques contraignants dépasse largement le cadre hexagonal.
- « réduire la visibilité de l’offre illégale en agissant sur le référencement par les moteurs de recherche, le cas échéant avec le concours de la puissance publique » et « assécher les sources de revenus des sites contrefaisants (approche «Follow the money»), en responsabilisant les intermédiaires (annonceurs, régies, services de paiement en ligne) ». Rappelons à ce sujet que le législateur français n’a pas les mains libres car le statut des hébergeurs et des intermédiaires techniques est protégé par le droit communautaire, de sorte que les volontés françaises seront sans doute modérées par le droit de l’Union.
Parallèlement, la licence globale, en vogue chez les partisans d’un internet libre, est écartée sans ménagement (3) .
Ainsi, derrière les intentions affichées d’une réorientation de la politique de lutte contre le téléchargement illégal, le paysage juridique n’en sera vraisemblablement pas fondamentalement modifié… HADOPI en moins.
En revanche, sur la question spécifique du droit d’auteur, la Commission avance de façon plus spectaculaire en faisant sienne une idée dangereuse couramment répandue selon laquelle le droit d’auteur serait un frein au développement du net : on lit sous la plume prudente des rapporteurs que le droit d’auteur est « partiellement inadapté aux usages du numérique ».
La Commission Lescure veut ainsi réformer certaines des exceptions du droit d’auteur qui définissent strictement les cas dans lesquels l’auteur ne peut interdire l’exploitation de son œuvre : l’exception de courte citation serait élargie, et il serait aussi envisagé la création d’une «liberté de panorama», afin de permettre à tout citoyen de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public.
On devrait pourtant prendre garde avant affaiblir ou de détricoter le droit d’auteur.
Le droit d’auteur est une conquête sociale et un atout formidable pour les auteurs, les créateurs, tous les acteurs qui innovent, et plus généralement pour nos économies modernes de la connaissance.
Il vaudrait mieux réfléchir, et l’idée n’est d’ailleurs pas rejetée par la Commission, à la promotion des diffusions sous licence open-source, afin de laisser le choix aux auteurs ou à leurs ayants droits de dire ce qu’ils souhaitent dans la diffusion des œuvres : rien ne leur interdit de diffuser librement s’ils le souhaitent, sous une licence Creative Commons par exemple. Mais rien ne doit leur interdire d’en disposer autrement !
Il n’est pas certain qu’une telle démarche n’aille pas à l’inverse de l’objectif premier de préservation et de développement des filières françaises de création.
Pour reprendre une formule célèbre, à ne plus vouloir protéger le droit d’auteur, on finira par avoir un droit sans auteur.
Notes de bas de page:
1) Source: Ministère de la Culture et de la Communication
2) Source: Editeur Legalis
3) «L’idée de légaliser les échanges non marchands (via une « licence globale » ou une « contribution créative ») fait l’objet d’un rejet assez général, à quelques exceptions près … » (bilan, page 17)
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
Historique
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