Un parfum peut-il être protégé par un droit d’auteur ?
Publié le :
15/12/2009
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Il existe une divergence d’appréciation entre la Cour de cassation, défavorable à la protection des fragrances par le droit d’auteur, et les juges du fond qui accueillent assez régulièrement la protection des senteurs.
Protection de la fragrance d'un parfumLa création d’une fragrance, « c’est une émotion à laquelle on donne vie » écrit joliment Jean Duriez, nez de la Maison Jean Patou.
C’est aussi et assurément, en amont, un travail considérable de recherches et des investissements, généralement sur plusieurs années. Il est donc tentant (légitime ?), quand une fragrance nouvelle est créée, de vouloir protéger ce travail et cette création par un monopole tiré d’un droit de propriété intellectuelle ou industrielle, pour s’assurer l’exclusivité de son exploitation.
Peut-on protéger cette création par un droit de marque ?
La question n’est pas incongrue puisque l’OHMI (Office de l’Harmonisation pour le Marché Intérieur, en charge de la gestion des Marques communautaires) avait admis en 1999 l’enregistrement d’une marque dite « olfactive » [OHMI, 11 février 1999, Smell of Fresh Cut Grass, « l’odeur de l’herbe fraîchement coupée »].
Mais la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) s’est depuis lors prononcée de manière beaucoup plus restrictive [voir notamment : CJCE, 12.12.2002, arrêt SIECKMAN] et a refusé l’enregistrement d’une marque olfactive en jugeant que : « peut constituer une marque un signe qui n'est pas en lui-même susceptible d'être perçu visuellement, à condition qu'il puisse faire l'objet d'une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. S'agissant d'un signe olfactif, les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments. »
Depuis lors, aucune demande d’enregistrement d’une marque olfactive n’a jamais plus abouti, et le vent frais de l’herbe juste coupée n’aura pas eu de lendemain.
Pour les marques françaises, l’INPI s’est également toujours refusé à enregistrer des marques olfactives et, pour les marques internationales, le traité de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) même expressément les « marques olfactives » de l’enregistrement à titre de marque internationale.
Quid d’une protection par le droit d’auteur ?
Si le débat d’une protection par le droit des marques semble figé dans le marbre (avec une réponse négative), le débat d’une protection via le droit d’auteur l’est beaucoup moins.
Certes, la protection de la fragrance d’un parfum par le droit d’auteur est également juridiquement controversée, la Cour de cassation s’y opposant fermement. Mais des juges des tribunaux de grande instance ou de Cour d’appel continuent de défier cette position, et ce encore récemment.
La cour de cassation saisie à plusieurs reprises de ce sujet, a jugé que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur » (récemment : Civ. 1ère 22 janv. 2009, n°08-11404). Une telle décision emporte d’importantes conséquences sur le régime de protection des senteurs. En considérant les fragrances comme « une simple mise en œuvre d’un savoir-faire », leur protection vis-à-vis des tiers usurpateurs est limitée à une protection (difficile) par le jeu de la responsabilité civile, via des actions en concurrence déloyale ou en parasitisme. Car Les fragrances ne seraient pas, selon la Haute juridiction, des œuvres. Cela signifie qu’elles ne sont pas susceptibles d’appropriation et donc non protégeables au titre d’un droit de propriété.
Pourtant certains juges de juridictions de première instance ou d’appel ont jugé qu’une fragrance pouvait être une œuvre originale, ce qui a permis sa protection par le droit d’auteur. L’arrêt d’appel ayant donné lieu à cassation (décision précitée du 22 janvier 2009) avait par exemple jugé que la fragrance exprimait la créativité de l’auteur. Elle était le « résultat d’une démarche créative entreprise par la société visant à la création d’une substance/forme olfactive aux propriétés particulières répondant à des critères ou à des gouts nouveaux par l’association et le dosage inédit d’essences ; ce parfum est le fruit d’une combinaison originale et identifiable, découlant d’une recherche approfondie pour associer des composants odoriférants ».
Plus récemment encore, des tribunaux ont à nouveau décidé de méconnaitre la position de Cour de Cassation en accordant une protection aux fragrances. Par jugement du 22 octobre 2009, les juges du Tribunal de Grande Instance de LILLE ont considéré que des fragrances étaient originales. Ils ont condamné le défendeur pour avoir « commis des actes de contrefaçon artistique des fragrances originales des parfums (…) ». Les juges du Tribunal de Grande Instance de NANCY ont également jugé, le 6 avril 2009, qu’« à la condition qu’il soit original, un parfum est susceptible de constituer une œuvre de l’esprit protégeable ».
Il existe donc une véritable divergence d’appréciation entre la Cour de cassation, défavorable à la protection des fragrances par le droit d’auteur, et les juges du fond qui accueillent assez régulièrement la protection des senteurs, à la condition bien entendu qu’elles revêtent un caractère d’originalité.
Qu’on se le dise, le débat n’est pas clos !
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
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