Décision du 29 septembre 2022 : Le rappel de l’exigence de la notification préalable des actes de procédure
Publié le :
17/01/2023
17
janvier
janv.
01
2023
La notification préalable des actes de procédure aux représentants de la partie adverse est bien plus qu’une règle de courtoisie entre confrères.Certes, l’article 5.4 du règlement intérieur national précise que :
« L’avocat chargé d’introduire une procédure contre une partie dont il connaît le conseil, doit aviser au préalable son confrère, dans la mesure où cet avis ne nuit pas aux intérêts de son client.
En cours de procédure, les rapports de l’avocat avec son confrère défendant l’adversaire doivent s’inspirer des principes de courtoisie, de loyauté et de confraternité régissant la profession d’avocat.
L’avocat qui inscrit un appel à l’encontre d’une décision rendue par une juridiction pénale doit en informer aussitôt ses confrères concernés par la cause. Il en va de même pour les requêtes en nullité.
Il en est de même pour tout appel civil et, plus généralement, de l’exercice de toute voie de recours ou de toute procédure au fond. »
Au risque, le cas échéant, de s’exposer à une sanction d’ordre déontologique. Soit.
Mais pas seulement. Car ces règles reprennent notamment celle inscrite à l’article 678 du Code de procédure civile :
« Lorsque la représentation est obligatoire, le jugement doit en outre être préalablement porté à la connaissance des représentants des parties.
[…]
b) Dans la forme des notifications entre avocats dans les autres cas, à peine de nullité de la notification à partie ; mention de l'accomplissement de cette formalité doit être portée dans l'acte de notification destiné à la partie. ».
L’objet de cet article est donc moins vaste que celui qu’instaure le RIN, mais comporte une sanction bien plus conséquente. Celle de la nullité pour vice de forme.
Cette catégorie d’exception de procédure renvoie à l’article 114 du Code de procédure civile, selon lequel :
« Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. »
À cette lecture, on remarque d’emblée que la nullité pour vice de forme est loin d’être l’ultime menace.
Surtout que les règles générales des exceptions de procédure s’appliquent, encadrant aussi bien le moment que la compétence pour connaître de ce type d’attaque. Rappelons aussi qu’en application de l’article 2241 du Code civile, même une action frappée d’irrégularité interrompt le délai de prescription. Et en plus, on peut régulariser tant qu’aucune forclusion n’est intervenue.
Rien à voir avec une fin de non-recevoir ou à une caducité par exemple. Encore que. On va y revenir.
Dans le cas de 678, par exemple à la suite d’un jugement de première instance dont on souhaite faire appel, on a bien une nullité prévue par un texte.
Mais quid du grief dans les droits de la défense ?
C’est sur ce point qu’est intervenue la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation le 29 septembre dernier (n°21-13.625) :
« L'irrégularité de la signification d'un jugement à une partie résultant de l'absence de notification préalable à son avocat est un vice de forme qui n'entraîne la nullité de la signification destinée à la partie que sur justification d'un grief.
[…]
Pour déclarer l'appel de Mme [Z] irrecevable, l'arrêt retient, par motifs propres, que les pièces du dossier établissent que l'avocat de Mme [Z] avait connaissance du jugement qui lui avait été transmis par le tribunal avant même la signification qui en a été faite à sa cliente.
10. En statuant ainsi, par le seul visa de documents qu'elle n'a pas analysés, même sommairement, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. »
Elle casse donc l’arrêt au motif que la cour d’appel n’a pas suffisamment étudié le grief. Ce n’est donc pas aussi bénin qu’on aurait pu se le figurer.
Une telle absence pourrait empêcher le représentant d’une partie de la conseiller quant à l’exécution d’une décision, ainsi qu’au risque de la voir faire l’objet d’un recours. Pourquoi pas.
Mettons par exemple qu’elle rencontre des difficultés à maîtriser la langue, ou qu’elle soit dans un état de santé particulier, en tout état de cause dans une situation qui requière l’assistance de son conseil, le grief pourrait apparaître fondé.
En vérité, la décision de la Cour de Cassation renoue avec celle déjà rendue le 6 décembre 1978 (n° 77-12.650) qui supposait que le défaut de notification entraînait nécessairement un grief. Solution reprise par l’assemblée plénière le 15 mai 1992 (n°90-12.705).
Sauf qu’aujourd’hui, les décisions sont toujours notifiées aux conseils des parties par le greffe, notamment par RPVA.
Donc, sur ce point, les avocats n’ont pas besoin de se reposer sur la confraternité pour remplir leur office. En toute logique, le grief ne devrait plus être retenu comme auparavant.
Dans une décision du 22 septembre 2016 (n°15-22.386), la Cour de Cassation avait estimé que le grief ne pouvait pas être constitué lorsqu’un appelant avait pu former un premier appel en temps utile, même s’il ne l’avait finalement pas soutenu. Elle avait donc eu une analyse assez pragmatique.
Et pourtant, ici, la Cour de Cassation sanctionne.
Si la nullité venait à être fondée dans son grief à l’occasion de l’arrêt de renvoi – ce qui n’est pas impossible, puisque vraisemblablement, une partie des arguments en ce sens ont déjà été analysés et rejetés – cela entraînera des conséquences majeures pour la tenue du dossier.
Car la forclusion, elle est bien intervenue, puisque l’on est face à un délai préfix insusceptible par définition de toute interruption. Impossible donc de régulariser le défaut de signification de l’acte d’appel, vicié en ce qu’il n’a pas été précédé d’une notification à conseil.
Avec une caducité à la clé. Et donc, une procédure en réformation du jugement tout droit à la poubelle.
Relativisons toutefois.
Déjà, la caducité n’a pas été ordonnée dans cette affaire. Et puis cette sanction est tout de même singulièrement fonction de la casuistique du dossier. Ce n’est pas transposable à tous les cas.
Mais quoiqu’il en soit : la seule notification par le greffe d’une décision n’a pas couvert pas le grief tiré du défaut de la notification faîte d’un représentant à un autre.
Et ça, ça a de quoi, malgré tout, changer quelque peu la perspective sur cet aspect, dont il est bien probable que l’on ne saisissait – quand on le saisissait – que la dimension déontologique au détriment de ses répercussions procédurales très concrètes.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Etienne MOUNIELOU
Avocat Collaborateur
MOUNIELOU
SAINT GAUDENS (31)
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