Vente en ligne de médicaments : de la restriction à l'autorisation?

Publié le : 18/02/2013 18 février févr. 02 2013

Si Outre-Manche et Outre-Atlantique il est possible depuis bien longtemps d'acheter des médicaments sans ordonnance sur la Toile, la législation française était très restrictive en la matière.

Ouverture du commerce du médicament sans ordonnance sur la Toile par le Conseil d'Etat►Vers un développement de l'automédication dans l'hexagone: l'ordonnance du Conseil d'Etat du 14 février 2013

Si l'automédication est fustigée par certains, force est de constater que chez nos voisins anglo-saxons la pratique est fort répandue depuis des décennies. L'expansion de cette tendance à l'automédication, qui consiste à s'administrer soi-même des médicaments sans passer par le truchement d'un médecin, est possible notamment grâce à la vente en ligne de médicaments bien que d'aucuns pensent également aux célèbres Boots qui peuplent les rues londoniennes.

La France est fort réticente à cette tendance. Cette réticence s'est ressentie lorsque Leclerc a tenté de s'immiscer dans le marché des médicaments sans ordonnance distribués en grande surface. Une initiative qui fut pour le moins mitigée.

►L'article L 5125-4 du Code de la Santé Publique en contradiction avec le droit communautaire:

Le Conseil d'Etat, dans une décision du 14 février 2013 a souligné que l'article L 5125-34 du Code de la santé publique ne serait pas en adéquation avec le droit communautaire.

≈Les faits:

Un pharmacien normand avait saisi le juge des référés afin que ce dernier constate l'illégalité des articles L 5125-34 et L 5125-36 du Code de la santé publique. Le pharmacien arguait que ces dispositions violaient la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 en limitant la vente en ligne de certains médicaments non soumis à ordonnance. En sus, cette situation portait atteinte en son essence au principe de libre concurrence.

Il faut savoir qu'en droit communautaire les médicaments peuvent être scindés de manière dichotomique en deux catégories:

-les médicaments soumis à prescription

-les médicaments non soumis à prescription

Le droit français a ceci de particulier qu'il fait un distinguo au sein des médicaments non soumis à prescription avec une catégorie dite de médication officinale dont les médicaments ne pouvaient jusqu'alors être vendus sur la Toile. Ces médicaments sont ceux qui sont ouverts à prescription médicale facultative et qui ne sont pas offerts en accès direct dans les pharmacies. Ce distinguo était motivé par la lutte contre la fraude et la contrefaçon de médicaments.

Cependant, le droit communautaire a mis en exergue au travers de sa jurisprudence que les Etats membres ne pouvaient ostraciser du commerce en ligne les médicaments non soumis à prescription (Voir notamment l'arrêt de la CJUE C-322/01 du 11 décembre 2003).

►Une ordonnance favorable à la concurrence:

La vente en ligne était donc auparavant restreinte à la portion congrue avec seulement 455 médicaments, leur commercialisation sur Internet dépendant de leur composition moléculaire.

Le Conseil d'Etat retient que le pharmacien normand :"est fondé à demander la suspension de l'exécution de l'article L. 5125-34 du code de la santé publique en tant qu'il ne limite pas aux seuls médicaments soumis à prescription obligatoire l'interdiction de faire l'objet de l'activité de commerce électronique".

Au lendemain de cette ordonnance du Conseil d'Etat, 3 500 médicaments pouvaient dès lors être commercialisés en ligne.

Cette ordonnance peut être rapprochée de l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 31 janvier dernier dit Pierre Fabre. La société de produits dermo-cosmétiques interdisait à ses distributeurs agréés de revendre ses produits sur Internet. Selon la société castraise, le conseil d'un diplômé en pharmacie était essentiel. Après un arrêt de la CJUE qui a constaté que cette situation consistait en une restriction de la concurrence et une violation de l'article 101 TFUE à la condition que la clause contractuelle ne soit pas "objectivement justifiée" (CJUE 13 octobre 2011), la Cour d'Appel de Paris a condamné la société de dermo-cosmétique.

Les Laboratoires Pierre Fabre ont alors publié une annonce sur leur site le 1er février dernier afin de communiquer sur la vente de leurs produits en ligne. Prenant acte de l'arrêt de la Cour d'Appel, les Laboratoires Pierre-Fabre vont cependant mettre en place des garde-fous afin de ne pas obérer la santé et la sécurité du consommateur. Un diplômé de pharmacie prodiguera ainsi des conseils en ligne pour tout consommateur qui le solliciterait ("Revente de produits dermo-cosmétiques sur Internet", site des Laboratoires Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques).

Bien que les produits cosmétiques ne soient pas soumis aux mêmes conditions de vente en ligne que les produits pharmaceutiques, cet arrêt illustre que la résistance à la vente en ligne de produits s'analyse de plus en plus en une restriction de concurrence sous l'emprise du droit communautaire.

Ainsi, s'il y a un sentiment qui contient l'hémorragie des consommateurs vers l'automédication en ligne c'est bien la crainte de l'achat de contrefaçons délétères. Reste à savoir si les français seront culturellement enclins à commander de tels médicaments en ligne, une tendance à suivre de près dans les prochains mois!



SOURCES:CE, 14 février 2013, ordonnance n°365946, M.L.

Lamy Actualités, "Médicaments: le Conseil d'Etat assouplit la vente sur Internet", 18 février 2013



POUR ALLER PLUS LOIN:Les Echos, "Distribution sélective: l'affaire Pierre Fabre vue par les juges européens", 5 décembre 2011



Chloé RAMA, Eurojuris France



Cet article n'engage que son auteur.

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