Déséquilibre significatif : premières précisions de la Cour de cassation depuis la réforme de 2016
Publié le :
28/02/2022
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Par un important arrêt du 26 janvier 2022 (n°n°20-16.782), la Cour de cassation a eu, pour la première fois, à se pencher sur la notion de déséquilibre significatif qui a été introduite dans le code civil par l’ordonnance du 10 février 2016.Les précisions apportées par la Cour de cassation sont de trois ordres. La première, et sans doute la plus importante, porte sur l’articulation entre la notion de déséquilibre significatif de l’article 1171 du code civil et celles déjà contenues dans des textes spéciaux que sont le code de commerce et le code de la consommation. La seconde concerne la façon dont doit s’apprécier le déséquilibre significatif. Enfin, la troisième est relative à la portée de la sanction du déséquilibre significatif.
Sur l’articulation entre droit commun et droit spécial
Sur ce point, la Cour de cassation pose le principe selon lequel l’article 1171 du code civil sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 (devenu L. 442-1) du code de commerce et L. 212-1 du code de la consommation.En l’espèce, l’affaire qui lui était soumise opposait la société Locam, spécialisée dans la location de matériel, à une société de restauration avec laquelle la première avait conclu un contrat de location financière. Se fondant sur l’article 1171 du code civil, la société de restauration invoquait le caractère abusif de la clause résolutoire contenue dans ledit contrat.
La société Locam soutenait, pour sa part, que le contrat ayant été conclu entre commerçants, c’est l’article L. 442-6 du code de commerce qui aurait dû être invoqué.
Ce à quoi la Cour de cassation a répondu que l’article 1171 du code civil doit s’appliquer « aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu’ils ne relèvent pas de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ».
En l’occurrence, les contrats de location financière conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement relèvent de l’article L. 311-2 du code monétaire et financier et échappent, de ce fait, à l’application de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce[1].
Selon la Cour de cassation, l’article 1171 du code civil avait donc bien vocation à s’appliquer dans cette affaire et ce, même si le contrat en cause était conclu entre deux commerçants.
Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision.
En premier lieu, une partie souhaitant invoquer le déséquilibre significatif créé par une clause la liant à l’un de ses co-contractants devra se montrer particulièrement vigilante s’agissant de la disposition sur laquelle elle fondera sa demande, l’arrêt du 26 janvier 2022 semblant exclure tout régime d’option entre les règles du code civil et celles de droit spécial. Une demande fondée sur le mauvais texte pourrait donc être rejetée même si la clause litigieuse est bien constitutive d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
En second lieu, ceux qui se pensaient « protégés » contre le risque de déséquilibre significatif ne le sont sans doute plus vraiment. Tel est notamment le cas des coopératives de commerçants-détaillants ou des GIE, dont les rapports avec leurs membres ont été expressément exclus du champ d’application de l’article L. 442-6 (devenu L. 442-1) du code de commerce par la Cour de cassation[2].
Désormais, s’ils peuvent être assimilés à un contrat d’adhésion au sens de l’article 1110 du code civil, les documents constitutifs (statuts, règlement intérieur, pacte d’actionnaires, etc.) d’une société ou d’un groupement quels qu’ils soient ne devraient plus échapper à la prohibition des clauses abusives.
Sur l’appréciation du caractère significativement déséquilibré d’une clause
La Cour de cassation précise utilement que le défaut de réciprocité d’une clause ne peut suffire, à lui seul, à caractériser un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Il convient en effet de vérifier si cette absence de réciprocité n’est pas justifiée par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties.En l’occurrence, la société Locam soutenait que l’absence de réciprocité de la clause résolutoire qui lui était opposée s’expliquait par le fait qu’en matière de location financière, le loueur exécute instantanément l’intégralité des obligations mises à sa charge, rendant inutile toute clause résolutoire en faveur du locataire.
La Cour de cassation a logiquement suivi la société Locam.
Ce faisant, la Cour de cassation rappelle que le caractère abusif d’une clause doit s’apprécier au regard de l’équilibre général du contrat et non en considération de la seule clause litigieuse et ce, que le déséquilibre significatif soit soulevé au visa de l’article L. 212-1 du code de la consommation, L. 442-1 du code de commerce[3] ou 1171 du code civil.
Sur les effets de la sanction du déséquilibre significatif
Enfin, la Cour de cassation souligne que la sanction attachée au caractère déséquilibré d’une clause, à savoir le réputé non écrit, ne doit s’appliquer qu’à la seule clause créant le déséquilibre significatif, les autres clauses devant être maintenues en l’état.En l’occurrence, après avoir conclu que l’article 12 b du contrat litigieux caractérisait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la Cour d’appel a réputé non écrit l’article 12 a. L’arrêt est donc logiquement cassé sur ce point également.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Caroline BELLONE-CLOSSET
Avocate Collaboratrice
CORNET VINCENT SEGUREL LILLE
LILLE (59)
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