Sécurité au travail

Responsabilité pénale du chef d’entreprise et délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité

Publié le : 07/02/2020 07 février févr. 02 2020

Si le chef d’entreprise représentant légal de celle-ci détient en principe l’autorité au sein de l’entreprise, matériellement, il n’est pas toujours en mesure de surveiller le respect des réglementations et notamment celles destinées à la sécurité de ses salariés.
Sa responsabilité pénale personnelle peut ainsi être engagée, en plus de celle de la personne morale dont il est le représentant et parfois l’ayant-droit économique, l’ensemble aboutissant à son égard à des poursuites de nature correctionnelle et bien souvent indemnitaire.
 
Dans ces conditions, un dirigeant d’entreprise ayant rarement la possibilité, ni même la fonction, d’être en permanence présent sur ses chantiers pour assumer personnellement de telles responsabilités, la pratique de la délégation de pouvoir connaît désormais un succès important.
 
La responsabilité pénale de l’irrespect des règles de sécurité, lesquelles sont nombreuses, complexes et spécialisées en fonction des métiers, peut ainsi ne plus peser sur le seul responsable légal de l’entreprise employeur, mais sur un autre salarié de celle-ci, spécialement affecté à cette tâche, et en général, dans les entreprises de BTP, le chef de chantier.
 
Néanmoins, l’opposabilité à des poursuites pénales de cette délégation de pouvoir est drastiquement encadrée, ce qui permet, pour une défense avisée, soit de plaider que le chef d’entreprise a délégué ses pouvoirs, soit de plaider que la délégation établie à la charge du salarié poursuivi n’est pas valable.
 
En réalité, et dès avant le stade de l’accident ou des poursuites pénales, la rédaction de la délégation de pouvoir envisagée, son suivi, son renouvellement, son adaptation à chaque nouveau chantier, ne pourra qu’être confiée à un avocat, sauf à courir un risque important de voir cette délégation privée de tout effet au moment opportun…
 

I – L’admission par la jurisprudence pénale d'une délégation de responsabilité

Un tel mécanisme apparaît quelque peu original, pour la matière pénale, raison sans doute du degré élevé d’exigence exprimé par les juges du fond pour reconnaître sa pleine validité à un tel acte contractuel, lequel est déséquilibré par principe en raison de l’identité des deux contractants (l’employeur d’une part et l’employé d’autre part).
 
L’expérience montre d’ailleurs que cette exigence est loin d’être inutile, au vu de la facilité avec laquelle telle ou telle structure sera en mesure d’imposer à des salariés parfaitement dénués du moindre pouvoir individuel une responsabilité excédant clairement leur condition.
 
Ainsi, Cass. Crim, 11 mars 1993, Bull. Crim. n°112, « Hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ».
 
Différents critères doivent néanmoins être remplis afin que l’acte de délégation soit valable.
 
Notamment, des conditions relatives au délégataire « le délégant doit disposer pleinement de la compétence, de l’autorité, des moyens nécessaires pour accomplir la mission confiée ». (C cass. Crim, 30.10.96).
 
  • La compétence :
 
La jurisprudence considère que le délégataire doit disposer des connaissances techniques et juridiques correspondant aux prescriptions qu’il est chargé d’appliquer, l’ensemble se déduisant de la qualification, de la formation professionnelle du salarié et des postes occupés.
 
  • L’autorité :
 
La jurisprudence considère que le délégataire doit disposer du pouvoir concret de donner des ordres, de les faire respecter et de faire cesser toute situation à risque : pour que ce critère soit rempli, le délégataire doit présenter un minimum d’indépendance dans ses fonctions. 
 
  • Les moyens nécessaires :
 
Le délégataire doit disposer des moyens humains, techniques et matériels pour accomplir réellement sa mission : le juge tient généralement pour responsable la personne qui dispose effectivement du pouvoir pour décider des investissements nécessaires au respect de la réglementation.
 
Il en est exactement de même du pouvoir disciplinaire : « Une délégation de pouvoirs qui n’attribue au délégataire aucun pouvoir précis de sanction n’est pas valable ». (Ccass, crim, 4 juin 1998 n°87-81186).
 

II – La rédaction d'un acte de délégation "utile"

Par « utile », on entend ici un acte de délégation de pouvoir ayant une chance de ne pas être annulée au moment d’un accident ou d’une poursuite, à la suite d’un contrôle de l’administration par exemple.
 
Cet acte doit ainsi respecter plusieurs conditions.
 
La délégation de pouvoir doit être précise et limitée. Elle ne doit concerner qu’un secteur des fonctions et/ou des missions déterminés : « une délégation de pouvoirs avec une mission générale de surveillance et d’organisation des mesures de sécurité sur les chantiers serait inopérante en l’absence d’instructions précises ». Ccass. crim, 28 janvier 1975.
 
Les juges considèrent qu’une délégation ne peut régulièrement être consentie lorsqu’elle provoque un abandon complet de responsabilités chez le dirigeant (Ccass crim, 28 janvier 1975).
 
Ensuite, la délégation doit être permanente, son efficacité dépend d’une certaine stabilité et durée, suffisamment longue.
 
Le délégataire doit être précisément informé par le délégant du contenu de la délégation (nature des pouvoirs transférés, objet et étendue de la mission dont il est chargé, réglementation applicable), mais aussi de ses obligations et de la responsabilité pénale qu’il encourt éventuellement, cette information étant délivrée, en pratique, dans la délégation de pouvoir telle que signée par celui-ci.
 
Enfin, il est bien évident qu’une délégation de pouvoir doit respecter les conditions posées pour sa validité dans la convention collective applicable.
 
A titre d’exemple, la convention collective nationale des ETAM des travaux publics prévoit qu’en matière de délégation de pouvoir :

« Les entreprises formalisent, par écrit, à partir du niveau F, les délégations de pouvoirs données aux ETAM indiquant de manière précise :
- les fonctions effectivement occupées ;
- les pouvoirs transférés au délégataire et dans quels domaines ;
- les procédures ordinaires ou urgentes par lesquelles le délégataire rend compte de sa délégation ;
- les moyens matériels, humains et financiers dont dispose le délégataire pour assurer ses responsabilités ;
- le pouvoir de sanction dont il dispose ;
- la durée de la délégation qui doit être en rapport avec la mission à effectuer et sa durée ;
- le cas échéant, les formations permettant au délégataire d'avoir les compétences requises ».
 
On mesure bien, dans ces conditions, à quel point des formules générales et courtes, tenant en un seul paragraphe par exemple, sont totalement insuffisantes : il ne suffit pas d’écrire, de manière expéditive, que « tous pouvoirs » sont délégués (opération en soi contradictoire), encore faut-il écrire comment, de manière concrète, ceux-ci seront alors exercés, selon quel périmètre, quelles modalités, quelle autonomie décisionnelle etc…
 

 
Cet article a été rédigé par Pascal ZECCHINI, Avocat au Barreau de TOULON, en collaboration avec Mme Aude MAYOUSSIER, élève-avocate

 
 
  
Cet article n'engage que ses auteurs.
 

Auteur

Pascal ZECCHINI
Avocat Associé
CLAMENCE AVOCATS
TOULON (83)
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