Détournement de fonds publics : précisions sur le cumul d’infraction et la notion de remise de fonds
Le Maire d’une commune a souhaité favoriser l’embauche d’une employée municipale par une entreprise privée ; d’un commun accord avec le gérant de la société en question, il a alors mis en place un système de fausses factures au bénéfice de cette dernière.
C’est ainsi que six factures provenant de cette société ont été mises en paiement et ce malgré d’évidentes anomalies liées soit à une surévaluation des montants, soit à l’application de taux de majoration non prévus au contrat ou à des doublements de prestations.
Suite au règlement de ces factures, Madame A, directrice de cabinet du maire, a été poursuivie puis condamnée par la Cour d’Appel de PARIS[1] pour détournement de fonds publics et usage de faux ; le maire de la commune a été poursuivi et condamné en tant que complice de la première infraction.
La Cour d’Appel a ainsi considéré, s’agissant de la première infraction, que, s’il est établi que la directrice de cabinet n’a pas participé à la réunion au cours de laquelle le système de fausses factures a été établi, ni signé aucune des factures litigieuses et des bons de commandes afférents, elle a néanmoins eu un rôle déterminant dans la commission de l’infraction au travers des instructions qu’elle a pu donner aux différents agents signataires.
Aux termes de son pourvoi, Madame A a sollicité de la chambre criminelle qu’elle annule l’arrêt attaqué au motif, tout d’abord, que les infractions d’usage de faux et de détournement de fonds publics renvoient à une action unique et à une seule et même intention coupable de sorte qu’il ne serait pas possible d’envisager sa condamnation pour ces deux infractions sans contrevenir au principe de non bis in idem.
L’étude de ce premier moyen est l’occasion de rappeler le sens de la jurisprudence désormais adoptée par la chambre criminelle en la matière.
En effet, aux termes d’un arrêt particulièrement détaillé dans ses motifs[2], la chambre criminelle de la Cour de Cassation a considéré « que l'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes » :
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Soit que l’une des infractions constitue en réalité un des éléments, soit matériel soit aggravant, d’une infraction, englobante, et également retenue ;
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Soit que l’une des qualifications retenues, dite spéciale, n’est en réalité qu’une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction également retenue dite générale.
Dans l’arrêt de décembre 2021, il avait été considéré, sur la base de ce raisonnement, que les éléments constitutifs des délits d’escroquerie, de faux et usage de faux ne sont pas exclusifs les uns des autres mais surtout que ces infractions ne sont pas des éléments constitutifs ou des circonstances aggravantes l’une des autres.
Le raisonnement suivi dans l’arrêt du 26 mars 2022 est en tout point similaire et la chambre criminelle écarte ce premier moyen.
Le second moyen développé par la directrice de cabinet du maire porte sur l’absence de matérialisation de l’infraction de détournement de bien public.
En effet, la rédaction de l’article 432-15 du code pénal suppose de faire la preuve que le bien public, objet du détournement, a été remis, en raison de ses fonctions ou de sa mission, à l’auteur de l’infraction :
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« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l'infraction ».
Or, la directrice de cabinet du maire, si elle exerce bien une mission de service de public, ne se trouve pas normalement destinataire de fonds publics devant lui être remis en raison de cette mission.
C’est d’ailleurs ce que constate la Cour d’Appel qui constate seulement le « rôle déterminant » de la directrice de cabinet qui, par ses instructions et par les informations qu’elle a communiqué aux différents intervenants, a permis la signature des factures litigieuses.
Mais finalement, à aucun moment dans l’analyse du système délictuel dénoncé n’apparait le fait que la directrice de cabinet s’est vu remettre les biens qui constituent l’objet du détournement ; partant, il n’apparait pas possible de matérialiser le détournement en question.
Il est vrai que les textes relatifs au statut des directeur de cabinet ne font pas de ces derniers des agents obligatoirement compétent en matière d’engagement de dépenses au nom de la collectivité.
En réalité, l’article L. 333-10 du code général de la fonction publique dispose seulement que les fonctions exercées par le directeur de cabinet du maire d’une commune sont librement déterminées par ce dernier :
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« Les collaborateurs de cabinet ne rendent compte qu'à l'autorité territoriale auprès de laquelle ils sont placés, laquelle décide des conditions et des modalités d'exécution du service accompli auprès d'elle ».
Le positionnement adopté par la Cour de Cassation n’aurait pas été le même dans l’hypothèse où il serait apparu que les délégations, dont la directrice de cabinet aurait été bénéficiaire, faisaient de la mise en paiement des factures litigieuses une de ses missions accordées par le maire.
Mais, la chambre criminelle, qui constate que la Cour d’Appel ne s’est pas interrogée sur ce point, n’a pas d’autre choix que d’accueillir le pourvoi et de casser l’arrêt en ce qu’il condamne la prévenue des faits de détournement de bien public.
Reste que ce reproche formulé à l’égard des juges d’appel qui n’ont pas pris soin d’analyser le contenu des délégations accordées dans cette affaire, n’est pas la seule critique qui semble être émise par la Cour de Cassation.
En effet, cette dernière constate également que la Cour d’Appel ne s’est pas interrogée sur la possibilité d’une éventuelle autre qualification des faits reprochés ; la question d’un éventuel délit de trafic d’influence aurait possiblement pu se poser.
Notons enfin que la cassation de l’arrêt contesté bénéficie, pour l’heure et dans l’attente de la décision qui sera nouvellement rendue par la Cour d’Appel de PARIS devant laquelle l’affaire a été renvoyée, surtout au Maire de la commune.
Si la directrice de cabinet reste, définitivement, reconnue coupable des faits d’usage de faux pour lesquelles elle était également poursuivie, le Maire de la commune, qui n’était poursuivi qu’en tant que complice des faits de détournement de bien public est, du fait de cette cassation, parce qu’il n’y a pas de complice sans auteur principal et sans que sa situation n’ait eu besoin d’être évoquée, soulagé de toute condamnation.
La situation du Maire trouvera à évoluer si la Cour d’Appel vient à se convaincre que la directrice de cabinet peut, malgré tout, être considérée comme titulaire d’une délégation en matière d’engagement de dépenses au nom de la commune et donc être condamnée, en tant qu’auteur principal, pour détournement de biens publics.
Il ressort de cette décision une orthodoxie louable imposant de constater concrètement la possession avant la réalité du détournement de bien public.
Cass. crim., 16 mars 2022 n°21-82.254
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Clément Launay
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