Annulation d'un sursis à statuer sur une demande de permis de construire et règles d'urbanisme
Publié le :
27/04/2016
27
avril
avr.
04
2016
Par son arrêt en Sous-Sections Réunies du 9 mars 2016, le Conseil d’Etat apporte deux précisions d’importance aux praticiens du droit de l’urbanisme, s’agissant de la succession de sursis à statuer lorsque l’un vient à être annulé.Le sursis qui ne compte pas mais qui compte quand même
CE, 9 mars 2016, Commune de BEAULIEU, n°383060
M. GARRIGUES avait saisi la Commune de BEAULIEU d’une demande de permis de construire aux fins d’établir un bâtiment de stockage de fourrage sur un terrain lui appartenant. Le 16 juin 2009, il lui était opposé une décision de sursis à statuer sur le fondement de l’Article L. 123-6 du Code de l’Urbanisme.
Cette décision était annulée par un Jugement devenu définitif du Tribunal Administratif de MONTPELLIER du 16 décembre 2010, au motif, classique, de l’absence d’avancement suffisant de la procédure de révision pour qu’un sursis à statuer puisse être légalement opposé[1]. Il était dès lors enjoint au Maire de statuer à nouveau sur la demande.
Fort à propos, le Conseil Municipal arrêtait, le 12 janvier 2011, le projet de PLU de la Commune. Le Maire entendait en conséquence opposer un nouveau sursis à statuer au pétitionnaire. Ce second arrêté faisait l’objet d’un nouveau recours pour excès de pouvoir, qui devait être rejeté par le Tribunal Administratif de MONTPELLIER. Par un arrêt du 26 mai 2014, la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE infirmait le Jugement de première instance, et retenait l’illégalité de ce second sursis[2].
Suivant les conclusions de son Rapporteur Public[3], la Cour retenait qu’il avait été sursis à statuer pendant plus de trois ans sur la demande, en méconnaissance de l’Article L. 111-8 du Code de l’Urbanisme. Pour retenir cette solution, la Cour appréciait la durée totale du sursis en tenant compte de la période au cours de laquelle il avait été sursis à statuer sur la demande au titre de la première décision de sursis annulée.
Le Tribunal de premier ressort avait exclu un tel raisonnement, considérant que le premier sursis ayant été annulé, il était réputé n’avoir jamais existé. Le second sursis n’était donc finalement qu’un « premier » sursis, entrant dans le champ du premier alinéa de l’Article L. 111-8 du Code de l’Urbanisme, et auquel une durée maximale de deux ans pouvait être légalement donnée.
Pour le Rapporteur Public à la Cour, pouvait être dégagé un principe selon lequel les victimes d’un sursis illégal annulé bénéficient de la même garantie de délai maximal de trois ans que s’agissant de la succession de sursis « légaux », au regard tant de l’esprit des dispositions de l’Article L. 111-8 que des objectifs poursuivis par le Législateur. C’est ce que retenait la Cour au terme de son arrêt.
Erreur de droit, nous dit le Conseil d’Etat ! Dans un premier considérant de principe, il juge que :
« en jugeant qu'il résulte de ces dispositions que le respect de la durée maximale pendant laquelle il peut être sursis à statuer, par plusieurs décisions successives, sur une demande de permis de construire doit être apprécié en tenant compte de la période pendant laquelle l'une de ces décisions a produit ses effets à l'égard du pétitionnaire avant de faire l'objet d'une annulation contentieuse, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ».
La Haute Juridiction donne ainsi raison au Tribunal de première instance, et signe un retour à une application rigoureuse des effets d’une annulation contentieuse : le premier sursis étant supprimé rétroactivement de l’ordonnancement juridique, il n’a pu produire d’effets. Dès lors :
« il résulte des articles L. 111-8 et L. 123-6 du code de l'urbanisme que le respect de la durée maximale pendant laquelle il peut être sursis à statuer, par plusieurs décisions successives, sur une demande de permis de construire s'apprécie sans tenir compte de la période pendant laquelle l'une de ces décisions a produit ses effets à l'égard du pétitionnaire avant de faire l'objet d'une annulation contentieuse » (abstract au Recueil Lebon).
Bien qu’il n’ait pu produire d’effets, et ne peut donc compter dans le calcul de la durée totale du sursis opposé à la demande, le sursis annulé emporte quand même un effet de taille ; c’est là le second apport de cet arrêt.
Pour le Conseil d’Etat, et dans un second considérant de principe, « doit être regardé comme un refus, au sens [des dispositions de l’Article L. 600-2 du Code de l’Urbanisme], une décision de sursis à statuer prise sur le fondement de l’Article L. 123-6 du même Code ».
Rappelons que l’Article L. 600-2 fait obstacle à ce qu’un pétitionnaire se voit opposer un nouveau « refus » sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’un premier « refus », lorsque ce dernier a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle devenue définitive et sous réserve d’une confirmation de la demande dans les 6 mois suivant l’annulation. Ainsi, dès lors que « l’Article L. 600-2 du Code de l’Urbanisme est applicable aux décisions de sursis à statuer », un sursis annulé fige les règles de droit opposables à la demande, et toutes dispositions d’urbanisme postérieures au premier sursis annulé ne peuvent fonder un nouveau sursis à statuer.
Il en résulte qu’en suite de l’annulation du sursis du 16 juin 2009, le Maire de BEAULIEU ne pouvait légalement opposer au Sieur GARRIGUES un nouveau sursis fondé sur la délibération du Conseil Municipal du 12 janvier 2011, postérieure au sursis annulé[4]. Le Conseil d’Etat retient ce motif d’annulation qu’il vient substituer au motif initial erroné, pour confirmer le dispositif de la Juridiction d’Appel et rejeter le pourvoi.
Cette seconde solution est moins novatrice que ne l’est le premier point de l’arrêt. La solution avait déjà en effet été à moitié consacrée par la Haute Juridiction, aux termes d’un arrêt où elle jugeait qu’il ne pouvait être opposé un sursis à statuer sur la base de dispositions postérieures à un refus (un vrai), lorsque ce dernier avait été annulé[5]. En outre, nombre de Juridictions inférieures avaient déjà retenu – et pour certaines de longue date – l’assimilation des sursis à statuer aux refus d’autorisation pour l’application des dispositions de l’Article L. 600-2[6]. La confirmation du Conseil d’Etat demeure néanmoins bienvenue, et la présente décision d’importance[7].
On y apprend, dans le même temps, qu’un sursis annulé ne peut prémunir le pétitionnaire d’un délai de sursis supérieur à trois ans dans les faits, mais permet de le prémunir de toute évolution du droit qui lui serait défavorable. C’est ainsi un sursis qui est censé n’avoir jamais produit d’effet, mais qui en produit tout de même certains.
Au final, un sursis annulé ne compte pas, mais compte un peu quand même…
Index:[1] En ce sens, CE, 14 mars 1994, Ministre de l’EQUIPEMENT, n°105509.
[2] CAA Marseille, 26 mai 2014, M. GARRIGUES, n°12MA000113.
[3] Publiées à la Semaine Juridique Administrations et Collectivités Territoriales n°12, 23 mars 2015, 2078.
[4] Etant remarqué qu’une délibération arrêtant un projet de PLU constituerait donc implicitement une « disposition d’urbanisme », au moins au sens de l’Article L. 600-2.
[5] CE, 15 novembre 2010, SARL FRANCIMO, n°342672.
[6] Voir par exemple : CAA Lyon, 27 décembre 2001, Commune de LA CLUSAZ, n°98LY01450 ; CAA Paris, 20 janvier 2004, Commune de BOUGIVAL, n°00PA02366.
[7] Elle a d’ailleurs été fichée comme telle en A au Recueil Lebon.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © herreneck - Fotolia.com
Auteur
MILLET Marion
Historique
-
L’aliénation des chemins ruraux
Publié le : 02/05/2016 02 mai mai 05 2016Collectivités / Urbanisme / Ouvrages et travaux publics/ConstructionLe domaine privé des collectivités est souvent très vaste et, s’il n’existe aucune obligation d’entretien à la charge des Communes en ce qui concerne ses che...
-
Les accidents médicaux : La procédure devant la Commission Régionale de conciliation et d’indemnisation
Publié le : 02/05/2016 02 mai mai 05 2016Particuliers / Santé / Responsabilité médicaleLes patients qui considèrent subir des conséquences anormales d’un acte médical peuvent saisir la Commission Régionale de Conciliation et d'Indemnisation des...
-
Le sous-bail commercial est-il un bail presque comme les autres ?
Publié le : 02/05/2016 02 mai mai 05 2016Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierPar principe prohibé par l’article L. 145-31 du Code de commerce, le sous-bail commercial n’est régulier qu’à condition que le bailleur ait donné son accord...
-
L'adaptation des SAFER à la réforme régionale
Publié le : 28/04/2016 28 avril avr. 04 2016Collectivités / Urbanisme / Permis de construire/ Documents d'urbanismeL’Ordonnance n°2016-316 du 17 mars 2016 accorde un délai supplémentaire aux SAFER dont la zone d’action est incluse en tout ou partie dans le périmètre des n...
-
La faute de l’agent immobilier rédacteur d’acte : révision de sa rémunération et responsabilité délictuelle
Publié le : 28/04/2016 28 avril avr. 04 2016Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementLa 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu, le 14 janvier 2016, un arrêt particulièrement intéressant quant à la responsabilité des agents immobi...
-
Les brevets et la protection des inventions en Espagne
Publié le : 28/04/2016 28 avril avr. 04 2016Entreprises / Marketing et ventes / Marques et brevetsLe brevet est un actif immatériel de l’entreprise, qui lui permet de protéger son invention en conférant un monopole d’exploitation sur celui-ci. Il permet a...
-
Annulation d'un sursis à statuer sur une demande de permis de construire et règles d'urbanisme
Publié le : 27/04/2016 27 avril avr. 04 2016Collectivités / Urbanisme / Permis de construire/ Documents d'urbanismePar son arrêt en Sous-Sections Réunies du 9 mars 2016, le Conseil d’Etat apporte deux précisions d’importance aux praticiens du droit de l’urbanisme, s’agiss...