
Rappels sur la responsabilité du banquier en matière de falsification de chèques
Publié le :
05/12/2019
05
décembre
déc.
12
2019
Dans un arrêt très récent rendu le 12 novembre 2019, la Cour d’Appel de Poitiers vient rappeler les principes et l’étendue du contrôle du banquier tiré.On rappellera que selon les dispositions des articles L. 131-1 et suivants du Code Monétaire et Financier, le banquier tiré doit contrôler la présence sur le chèque des mentions légalement prévues, à savoir : la dénomination de chèque, insérée dans le texte même du titre et exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre ; le mandat pur et simple de payer une somme déterminée ; le nom de celui qui doit payer, c’est à dire le tiré ; l’indication du lieu où le paiement doit s’effectuer ; l’indication de la date et du lieu où le chèque est créé ; la signature du tireur qui émet le chèque.
Il est également entendu que le banquier doit en outre s’assurer de l’absence d’opposition sur le chèque, de la régularité de la suite des endossements et plus généralement de l’absence de toute anomalie apparente.
C’est sur ce dernier point que le litige portait.
En l’espèce, une société qui exploitait un supermarché sous l’enseigne « Carrefour Market », était titulaire d’un compte bancaire ouvert dans les livres d’une banque locale.
Expliquant avoir été victime de la falsification d’un chèque émis au bénéfice d’un fournisseur, cette société a demandé à la banque de lui rembourser la somme de 43 000,20 € débitée le 30 mai 2016 de son compte puis par acte du 6 juin 2017, la société a saisi le Tribunal de Commerce de Poitiers aux fins de consécration de la responsabilité contractuelle de la banque et paiement de la somme de 43 000,20 €.
Par jugement prononcé le 28 mai 2018, le Tribunal de Commerce l’a débouté de sa demande, de sorte que la société a relevé appel.
Devant la Cour, la société faisait valoir qu’il était de jurisprudence constante que la responsabilité du banquier tiré était engagée lorsque le chèque concerné portait des traces de falsification du montant et/ou du nom du bénéficiaire, ce qui était le cas en l’espèce, peu important que l’effet bancaire fasse l’objet d’un traitement automatisé.
Selon elle, le banquier n’a pas rempli son obligation de vigilance et de vérification.
Elle indiquait en outre que le montant du chèque lui-même aurait dû suffire à attirer l’attention de la banque, l’ajout de 20 centimes d’euros à une somme de plusieurs dizaines de milliers d’euros, étant en soi inusuel.
Enfin, elle faisait valoir que le chèque litigieux comportait plusieurs anomalies apparentes et notamment : le trait sous le nom du bénéficiaire est effacé ; la somme inscrite en lettres dépasse anormalement les cases prévues, alors que la seconde ligne est partiellement vide ; les lettres effacées apparaissent en surcharge ; les écritures diffèrent entre les sommes initialement inscrites (c’est-à-dire 43,20 €) et la mention « mille € » rajoutée ensuite ; le grattage du papier est apparent.
En défense, la banque faisait valoir qu’il est de jurisprudence constante que si les chèques présentés à l’encaissement apparaissent réguliers et que rien ne permet de déceler le fait qu’ils auraient été falsifiés, la responsabilité de l’établissement bancaire n’est pas susceptible d’être engagée.
Qu’en l’espèce, la falsification du chèque litigieux était indécelable pour un employé normalement diligent et les anomalies évoquées par l’appelante n’apparaissent qu’après un examen approfondi de ce chèque ; aucune rature, aucun grattage, aucun effacement n’apparaît ici à l’œil nu et la falsification était particulièrement soignée ».
Subsidiairement, la banque faisait valoir qu’en raison de sa négligence, la société était à l’origine du dommage dont elle sollicite réparation ; ainsi la banque faisait valoir que la société n’a pas pris la peine de surveiller son compte régulièrement (le chèque a été encaissé près de deux mois après son émission) et n’a déposé plainte que plus de six mois après la découverte des faits dont elle se prétend victime.
Faisant une application scrupuleuse des textes et de la jurisprudence, la Cour fait droit à l’argumentation de la banque.
Elle fonde sa décision sur les dispositions des articles 1147 et 1937 du Code Civil ainsi que les articles L. 131-1 et suivants du Code Monétaire et Financier.La Cour juge que : « par application combinée de ces dispositions, constitue un paiement libératoire le paiement effectué par le banquier tiré sur présentation d’un chèque émis par son client, ne présentant aucune anomalie apparente. Ainsi la présomption de libération est-elle subordonnée d’une part à la vérification de la présence des mentions légales, d’autre part au contrôle de l’apparence de la régularité formelle du titre.
En l’espèce, étant rappelé que le litige ne porte pas sur les mentions légales du chèque émis par la société Jaldis, c'est par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le premier juge a constaté que l'original du chèque litigieux ne permettait pas de déterminer le caractère apparent des falsifications.
La cour ajoute que l'examen normalement attentif de l'original produit devant elle ne met pas en évidence de manipulation grossière des mentions de cet instrument bancaire, aucune caractéristique matérielle du chèque ne pouvant faire naître une sérieuse suspicion de fraude, de sorte que le Crédit Agricole pouvait se convaincre de sa régularité.
A cet égard, le dépassement de la première ligne prévue pour l'indication en lettres de la somme à payer est d'un usage suffisamment courant pour ne pas être regardé comme une anomalie apparente ; par ailleurs, le montant lui-même de cette somme, en ce que quelques centimes d'€ sont ajoutés à une somme importante, ne peut être regardé comme une anomalie apparente ; enfin, le grattage de l'encre mentionné par la société Jaldis n'est mis en évidence que par un examen approfondi du chèque versé aux débats, examen approfondi qui n'est pas requis du banquier tiré ».
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

BACLE Florent
Avocat
DROUINEAU 1927 - Poitiers, DROUINEAU 1927 - La-Roche-Sur-Yon
POITIERS (86)
Historique
-
Violences au sein de la famille : les apports de la loi du 28 décembre 2019
Publié le : 02/01/2020 02 janvier janv. 01 2020Particuliers / Pénal / VictimesLa loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, signée non pas à Paris comme habit...
-
Attention au risque de ne pas déclarer son sous-traitant : le rappel de la CJUE à méditer
Publié le : 02/01/2020 02 janvier janv. 01 2020Collectivités / Marchés publics / Contestation et contentieuxDans un arrêt rendu le 3 octobre 2019, affaire C-267/18, Delta Antrepriză d...
-
Application immédiate des nouvelles formes de congé aux baux antérieurs à la loi PINEL
Publié le : 02/01/2020 02 janvier janv. 01 2020Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierLa Cour de Cassation rappelle dans un arrêt récent du 24 octobre 2019 (Cour...
-
La simplification du droit des fonds de commerce par la loi SOIHILI n°2019-744 du 19 juillet 2019
Publié le : 30/12/2019 30 décembre déc. 12 2019Entreprises / Vie de l'entreprise / Cession d'entrepriseLa rédaction de l'acte de vente ou d'apport en société d'un fonds de commer...
-
Droit de grève : rappel des obligations du salarié et de l’employeur
Publié le : 30/12/2019 30 décembre déc. 12 2019Particuliers / Emploi / Contrat de travailEntreprises / Ressources humaines / Contrat de travailLe droit de grève est un droit fondamental, reconnu et protégé par la Const...
-
Irrégularité d’une méthode de notation des offres basée sur l’auto-évaluation
Publié le : 30/12/2019 30 décembre déc. 12 2019Collectivités / Marchés publics / Procédure de passationLe Conseil d’Etat a censuré, dans deux arrêts du 22 novembre 2019 (CE, 22 n...
-
De la liberté limitée du débiteur dans l’imputation des paiements
Publié le : 30/12/2019 30 décembre déc. 12 2019Particuliers / Consommation / Contrats de vente / PrêtsEn application de l’article 1253 ancien du Code Civil, le débiteur de plusi...
-
Bail commercial, résiliation et procédure collective : revirement de jurisprudence ?
Publié le : 30/12/2019 30 décembre déc. 12 2019Entreprises / Contentieux / Procédures collectives / LiquidationL’article L. 641-12 du Code de Commerce prévoit que lorsque le bailleur dem...
-
L'information et la protection de l'acquéreur lors d’un achat immobilier à usage d’habitation : l’importance du notaire dans la transmission des informations relatives au bien
Publié le : 17/12/2019 17 décembre déc. 12 2019Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementDe nombreux textes (lois et décrets) ont été adoptes afin de protéger l’acq...
-
Adoption du projet de loi dédié aux maires en commission mixte paritaire le 11 décembre 2019 : quelles nouveautés ?
Publié le : 16/12/2019 16 décembre déc. 12 2019Collectivités / Services publics / Fonction publique / Personnel administratifLe projet de loi dit « engagement et proximité » destiné à protéger l’ex...
-
L'obligation d'information d'un hôpital à l'égard d'une femme enceinte précédemment suivie dans un cadre privé
Publié le : 16/12/2019 16 décembre déc. 12 2019Particuliers / Santé / Responsabilité médicaleCollectivités / Contentieux / Responsabilité administrativeEn ne vérifiant pas que les informations dues avaient été dûment communiqué...
-
Construction de panneaux solaires en zone agricole
Publié le : 10/12/2019 10 décembre déc. 12 2019Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierCollectivités / Urbanisme / Permis de construire/ Documents d'urbanismeLes constructions en zone agricole sont particulièrement délimitées, et co...
-
Risques et problématiques d’un usage collectif d’une marque individuelle
Publié le : 06/12/2019 06 décembre déc. 12 2019Entreprises / Marketing et ventes / Marques et brevetsL’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union Européenne, le 24 septembr...
-
De l’ardente nécessité d’un débat public sur l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN)
Publié le : 06/12/2019 06 décembre déc. 12 2019Collectivités / Environnement / EnvironnementL’érosion de la biodiversité à l’échelle mondiale est une réalité....
-
Rappels sur la responsabilité du banquier en matière de falsification de chèques
Publié le : 05/12/2019 05 décembre déc. 12 2019Actualités EUROJURISEntreprises / Finances / Banque et financeDans un arrêt très récent rendu le 12 novembre 2019, la Cour d’Appel de Poi...
-
Fusion-absorption du créancier, caution libérée ?
Publié le : 04/12/2019 04 décembre déc. 12 2019Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéLe cautionnement est une sûreté résultant d’un contrat conclu entre un créa...
-
Pas de rémunération pour l’agent immobilier s’il n’y a pas de vente
Publié le : 04/12/2019 04 décembre déc. 12 2019Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementL’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 n°70-9 énonce qu’ « aucun bien, eff...
-
Bail d'habitation : comment régler les litiges entre un locataire et son propriétaire ?
Publié le : 03/12/2019 03 décembre déc. 12 2019Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementDe nombreux sujets de discorde peuvent survenir entre un locataire et son p...
-
Régularité du mandat de vente signé par un seul des époux
Publié le : 03/12/2019 03 décembre déc. 12 2019Particuliers / Patrimoine / GestionLes règles du contrat de mandat signé auprès d’un agent immobilier sont sou...
-
Fonctionnaires : du nouveau pour le calcul de la GIPA
Publié le : 03/12/2019 03 décembre déc. 12 2019Collectivités / Services publics / Fonction publique / Personnel administratifLes agents de la fonction publique de l’État et des fonctions publiques ter...
-
Absence de document unique d'évaluation des risques professionnels et préjudice du salarié
Publié le : 03/12/2019 03 décembre déc. 12 2019Entreprises / Gestion de l'entreprise / Gestion des risques et sécuritéPar un arrêt du 25 septembre 2019 (Cass. soc. 25-9-2019 n° 17-22.224 F-D, Y...
-
A quel moment le vendeur d’un bien immobilier doit-il informer l’acquéreur des risques environnementaux ?
Publié le : 29/11/2019 29 novembre nov. 11 2019Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementPar application des dispositions combinées de l’article L. 125-5 du code de...
-
Télémédecine : quel cadre réglementaire ?
Publié le : 28/11/2019 28 novembre nov. 11 2019Particuliers / Santé / Responsabilité médicaleLa télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les...
-
Bail commercial : quelles sont les conséquences de l’exercice par le bailleur de son droit de repentir ?
Publié le : 27/11/2019 27 novembre nov. 11 2019Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierLa Cour de Cassation dans un arrêt de la 3éme Chambre Civile du 12 septembr...
-
EUROJURIS FRANCE présente son expertise sur les nouvelles technologies au Village de la legaltech
Publié le : 25/11/2019 25 novembre nov. 11 2019Actualités EUROJURISEurojuris, premier réseau de cabinets d’avocats indépendants et de professi...
-
La Saga Tapie : quels sont les derniers rebondissements ?
Publié le : 22/11/2019 22 novembre nov. 11 2019Entreprises / Contentieux / Justice commercialeLes démêlés d’un « sauveur d’entreprise » confronté désormais à une procédure...
-
Eurojuris au Village de la Legaltech
Publié le : 18/11/2019 18 novembre nov. 11 2019Actualités EUROJURISEUROJURIS FRANCE sera présent les 26 et 27 novembre 2019 au Village de la Leg...
-
Professions libérales : la place de la confiance dans la rupture des relations commerciales
Publié le : 18/11/2019 18 novembre nov. 11 2019Entreprises / Marketing et ventes / Contrats commerciaux/ distributionL'article L 442 – 6 du Code de commerce définit un certain nombre de situat...