La responsabilité de l’agent immobilier rédacteur d’acte à l’égard de l’acquéreur qui ne l’a pas mandaté
Publié le :
30/03/2016
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Dans le cadre d’un mandat exclusif de vente, un agent immobilier avait négocié et rédigé le compromis de vente d’un terrain sur lequel les acquéreurs projetaient de faire construire une maison.Suite à la réitération dudit compromis par acte authentique, il s’est finalement avéré que le terrain, d’une superficie inférieure à celle annoncée, était - de surcroît - grevé d’une servitude conventionnelle non aedificandi, qui rendait impossible la réalisation du projet de construction.
Invoquant un manquement de l’agent immobilier à son obligation d’efficacité, d’information et de conseil, les acquéreurs ont alors refusé de lui régler la commission convenue.
Assignés en paiement par l’agent immobilier, ils ont sollicité, à titre reconventionnel, la réduction du montant de cette commission et le versement de dommages et intérêts.
Aux termes d’un arrêt en date du 4 septembre 2014, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a cru devoir débouter les acquéreurs de leurs demandes, aux motifs :
- que la rémunération, conventionnellement arrêtée, demeurait la loi des parties et qu’il n’appartenait pas aux juges du fond de la modifier, d’autant que, ne s’agissant pas d’une clause pénale, son montant ne pouvait être modéré,
- qu’en l’absence de mandat conclu avec l’agent immobilier, il ne pouvait exister de manquement contractuel de sa part et que, faute d’avoir exigé l’insertion, dans la promesse synallagmatique de vente, d’une condition suspensive supplémentaire, subordonnant la vente à la délivrance d’un certificat d’urbanisme révélant la possibilité de construire une autre maison, les acquéreurs ne pouvaient se prévaloir d’aucun manquement délictuel.
Par un arrêt du 14 janvier 2016, la cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel.
Au visa de l’article 6-I de la loi n°70-09 du 2 janvier 1970 et de l’article 1999 du code civil, elle a tout d’abord rappelé que la soumission de la rémunération de l’agent immobilier à des règles spécifiques ne faisait pas obstacle au pouvoir que le juge tient de la loi de réduire - voire supprimer - cette rémunération, en considération des fautes que l’intermédiaire aurait pu commettre dans l’exécution de sa mission.
La solution n’est pas nouvelle : la cour de cassation a, depuis longtemps déjà, reconnu aux tribunaux le pouvoir de réduire les honoraires des mandataires et agents d’affaires, lorsque ceux-ci n’exécutent pas correctement la mission qui leur a été confiée 1. Ce pouvoir de révision s’étend même à l’hypothèse où le montant des honoraires serait considéré comme excessif par le juge 2.
Il en résulte une immixtion toujours plus grande du pouvoir judiciaire dans les relations contractuelles.
Reste qu’aucun contrat n’avait, en l’espèce, été conclu entre l’agent immobilier - mandaté par le vendeur - et les acquéreurs…
Il n’en demeure pas moins que l’agent immobilier était susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle à l’égard des acquéreurs.
C’est donc sur le fondement de l’article 1382 du code civil que la cour de cassation a indiqué que « l’intermédiaire professionnel qui prête son concours à la rédaction d’un acte, après avoir été mandaté par l’une des parties, est tenu de s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique de la convention, même à l’égard de l’autre partie ».
Aussi, et dès lors que l’interdiction de construire résultait, non de contraintes d’urbanisme, mais d’une servitude conventionnelle, l’agent immobilier aurait dû procéder à toutes vérifications utiles pour assurer l’efficacité juridique de la convention, comme la consultation du titre de propriété du vendeur, qui aurait révélé l’existence de cette servitude et l’impossibilité consécutive d’affecter le terrain vendu à l’usage auquel les acquéreurs le destinaient.
Il importait peu, par conséquent, que les acquéreurs n’aient pas contracté avec l’agent immobilier : ce dernier est débiteur d’une obligation de conseil et d’information non seulement à l’égard de son mandant, mais également vis-à-vis de l’ensemble des parties à l’acte qu’il a lui-même rédigé (et ce, indépendamment de leurs compétences personnelles ou de celles des personnes qui les ont assistées 4).
Cet arrêt est à rapprocher d’une décision rendue le 16 octobre 2013 par la cour de cassation, qui avait déjà eu l’occasion de souligner que, si l’agent immobilier, rédigeant une promesse de vente en l’état des déclarations erronées d’une partie quant aux faits rapportés, n’engage sa responsabilité que lorsqu’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est cependant tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, et spécialement lorsqu’il existe une publicité légale aisément accessible, les déclarations faites par son mandant, et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse 5.
En l’espèce, la responsabilité de l’agent immobilier impliquait néanmoins que les acquéreurs l’aient préalablement informé de leur projet de construction et du caractère déterminant de sa mise en œuvre dans leur consentement.
En effet, il serait excessif d’exiger d’un agent immobilier, intervenant en qualité de rédacteur d’acte, l’obligation d’imaginer, voire de deviner, toutes les attentes possibles de ses clients, et - a fortiori - des cocontractants de son mandant !
L’obligation de conseil et d’information pesant sur l’agent immobilier ne pouvait donc être admise qu’à partir du moment où les acquéreurs avaient eux-mêmes respecté, à son égard, leur obligation de renseignements 3.
Mais, dès lors que l’agent immobilier avait reçu les informations appropriées relativement au projet de construction qu’entendaient réaliser les acquéreurs sur le terrain objet du compromis, il lui appartenait nécessairement d’assortir la convention d’une condition suspensive relative aux servitudes, notamment conventionnelles, susceptibles de contrarier ledit projet.
Index:1. Civ 1ère, 02.06.1993, n°91-10.578
2. Civ, 29.01.1867 ; Civ 1ère, 24.09.2002 ; Civ 1ère, 21.02.2006
3. Civ 1ère, 25.06.2009, n°08-13.761
4. Civ 1ère, 04.05.2012, n°11-16.328
5. Civ 1ère, 16.10.2013, n°12-24.267.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Daiga - Fotolia.com
Auteur
MASSON Marien
Juriste
CDMF avocats
GRENOBLE (38)
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