Nouvelle sanction adoptée après la suspension de la première : pas de violation du principe non bis in idem
Publié le :
01/03/2024
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Par un arrêt du 22 décembre 2023, publié au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a apporté deux précisions importantes sur la marge de manœuvre d’une personne publique en matière de sanction disciplinaire, tant avant la prise de la décision (sur la communication de témoignages à l’agent poursuivi), qu’après une contestation de la décision disciplinaire (à la suite d’une suspension de la sanction par le juge administratif).Ces deux points, qui peuvent être séparés, feront l’objet de deux articles distincts.
(Voir l'article sur l’anonymisation des documents communiqués après une enquête administrative)
L’un des apports de l’arrêt du Conseil d’Etat précité concerne le principe non bis in idem en droit disciplinaire.
Les faits étaient les suivants.
A la suite d’une plainte d’une élève et d’un signalement du chef d’établissement relatifs au comportement d’un professeur de philosophie, une mission conjointe de l’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) et de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) a été menée. Les élèves de ce professeur ont notamment été entendus. Au vu du rapport d’inspection et d’un rapport du chef d’établissement, le Ministre de l’Education Nationale a engagé une procédure disciplinaire et a pris à l’encontre du professeur une sanction de mise à la retraite d’office, pour manquements à ses obligations déontologiques, à son devoir de neutralité et d’obéissance hiérarchique.
Cette sanction a été suspendue par le Juge des Référés, en raison du doute sérieux quant à sa proportionnalité.
Le Ministre de l’Education Nationale et de la Jeunesse a alors, réintégré l'intéressé et pris à son encontre la sanction d'exclusion temporaire, pour une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois.
Le Tribunal Administratif de Paris a annulé la sanction de mise à la retraite d'office et rejeté la demande de l’agent tendant à l'annulation de la sanction d'exclusion temporaire.
La Cour Administrative d’Appel de PARIS a considéré que la première sanction n’ayant pas été annulée, son exécution seule ayant été suspendue, elle demeurait dans l’ordonnancement juridique. Elle a annulé le jugement du Tribunal en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la sanction d'exclusion temporaire et annulé cette sanction, au motif que la nouvelle sanction avait été infligée en méconnaissance du principe non bis in idem.
Pour mémoire, le principe non bis in idem est un principe général du droit, selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits (CE, 6 avril 1973, Sieur, n° 88516. Publié). Une autorité administrative qui a pris une première décision définitive à l'égard d'une personne qui faisait l'objet de poursuites à raison de certains faits, ne peut donc ensuite engager de nouvelles poursuites à raison des mêmes faits en vue d'infliger une sanction.
Cette règle s'applique tant lorsque l'autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu'elle avait décidé de ne pas en infliger une (CE 30 décembre 2016, ACNUSA, n° 395681, Publié).
En l’espèce, le Conseil d’Etat devait dès se prononcer sur la question suivante : « le principe non-bis in idem s’oppose-t-il, lorsque l’exécution d’une sanction est suspendue en référé, à ce que l’administration, sans attendre le jugement au fond ni retirer la sanction dont l’exécution est suspendue, prenne une nouvelle sanction en tenant compte du moyen jugé de nature à créer un doute sérieux sur la première sanction ? » (Conclusions de Mme la rapporteur publique, Mme Pradines).
Le Conseil d’Etat avait déjà jugé, dans un arrêt de 2003 que :
« si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins, conformément au principe rappelé à l'article L.11 du code de justice administrative, exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires ; qu'il en résulte notamment que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension - soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521- 4 du code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond - l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension » (CE, 5 novembre 2003, Association Convention vie et nature pour une écologie radicale, Association pour la protection des animaux sauvages. Req. n°259339. Publié).
Autrement dit, l’administration peut reprendre la même décision, mais purgée du vice mis en évidence par le Juge des référés.
Tel a été le cas en l’espèce.
L’administration a repris une sanction disciplinaire, purgée du vice pris en considération par le Juge des référés : elle a pris une sanction disciplinaire plus douce que la première.
Le Conseil d’Etat a considéré, dans l’arrêt commenté, que
« 7. Lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'une sanction en raison de son caractère disproportionné, l'autorité compétente, peut, sans, le cas échéant, attendre qu'il soit statué sur le recours en annulation, prendre une nouvelle sanction, plus faible que la précédente, sans méconnaître ni le caractère exécutoire et obligatoire de l'ordonnance de référé, ni le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits, ce sans préjudice de l'obligation de retirer l'une ou l'autre des sanctions en cas de rejet du recours tendant à l'annulation de la sanction initialement prononcée ».
Il résulte de cet arrêt que le Conseil d’Etat confirme qu’une sanction plus faible peut être prise, à la suite de la suspension d’une première décision par le Juge des référés, en raison de son caractère disproportionné par rapport à la faute commise. Il n’y a méconnaissance ni du caractère exécutoire et obligatoire de l’ordonnance de référé, ni du principe non bis in idem, puisque la seule sanction susceptible de produire des effets est la nouvelle sanction. Le Conseil d’Etat prend donc en considération la portée effective des décisions plutôt que leur existence juridique.
Mais encore, l’administration a l’obligation de retirer l’une ou l’autre des sanctions en cas de confirmation par le juge du fond de la première sanction.
Par cette décision, le Conseil d’Etat a laissé une marge de manœuvre importante à l’autorité disciplinaire. Cette dernière a le choix entre plusieurs options :
- retirer sans délai la sanction disciplinaire et en reprendre une autre (sur le fondement de l’article L. 243-4 du Code des Relations entre le Public et l’Administration) ; cette solution a le mérite de la clarté mais obère les chances de confirmation de la sanction initiale par le juge du fond ;
- maintenir la décision (dont les effets sont suspendus) et réintégrer l’agent, dans l’attente de la décision du juge du fond et tirer ultérieurement les conséquences de cette décision (application de la sanction disciplinaire si celle-ci est validée par le juge ou édiction d’une sanction plus douce, si la sanction initiale est annulée par le juge) ;
- maintenir la décision (dont les effets sont suspendus) et prendre une nouvelle sanction plus douce. Si le juge du fond rejette le recours de l’agent, l’autorité disciplinaire devra retirer l’une des deux décisions prises (et décider de l’application de la sanction la plus sévère ou de la plus douce). Une seule sanction sera appliquée.
En définitive, seule une analyse au cas par cas de chaque situation permettra à l’administration de déterminer la stratégie la plus adéquate dans son dossier, au vu du contexte de la sanction (nécessité d’évincer l’agent du service par exemple), des enjeux et des motifs de suspension par le Juge des référés. On ne peut que conseiller aux autorités disciplinaires de s’entourer des conseils d’un Avocat pour ce faire.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Florence BARRAULT
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